Extraits pertinents :

Un médecin qui traitait l'appelant à l'hôpital après un accident de la circulation a recueilli, à des fins médicales sans le consentement de l'appelant ou sans qu'il en ait connaissance, une éprouvette de sang qui coulait. Peu de temps après, l'appelant a expliqué qu'il avait pris de la bière et des médicaments. Après avoir prélevé l'échantillon de sang, le médecin a parlé à l'agent de police qui s'était occupé de l'accident et, à la fin de leur conversation, lui a remis l'échantillon. Aucune constatation de l'agent n'indiquait que l'appelant aurait bu; il n'a pas demandé à l'appelant de fournir un échantillon de sang ni au médecin d'en prélever et il n'avait pas de mandat de perquisition. L'échantillon a été analysé et l'appelant a par la suite été accusé et reconnu coupable de conduite avec facultés affaiblies. À l'époque, il n'existait pas d'obligation de fournir un échantillon de sang aux termes du par. 237(2) du Code criminel.

 La Division d'appel de la Cour suprême de l'Île‑du‑Prince‑Édouard a rejeté l'appel du jugement de la Cour suprême de l'Île‑du‑Prince‑Édouard qui avait accueilli l'appel interjeté contre la déclaration de culpabilité. En l'espèce il faut déterminer si la Division d'appel a commis une erreur : (1) en concluant que la prise de possession de l'échantillon de sang par la police constituait à une saisie au sens de l'art. 8; (2) en concluant que cette prise de possession constituait une fouille et une saisie abusives; et (3) en écartant l'élément de preuve que constituait l'analyse du sang en vertu du par. 24(2).

                  Arrêt (le juge McIntyre est dissident): Le pourvoi est rejeté.

1.                    LE JUGE LA FOREST‑‑La question qui se pose en l'espèce est de savoir si un agent de police, en prenant possession d'une éprouvette contenant le sang d'un patient hospitalisé, remise de plein gré par le médecin qui l'avait lui‑même recueilli d'une plaie ouverte du patient inconscient, a violé l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés et, dans l'affirmative, si cet élément de preuve doit être écarté, en vertu du par. 24(2) de la Charte, dans le cadre de poursuites intentées contre le patient.

2.                       L'article 8 et le 24(2) de la Charte sont ainsi conçus:

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

24 (2) Lorsque, dans une instance visée au paragraphe (1), le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Les faits 

3.                     L'intimé, M. Dyment, a subi une lacération à la tête lorsque, le 23 avril 1982, sa voiture a quitté la route pour atterrir dans un fossé. Un médecin appelé sur les lieux a trouvé M. Dyment ensanglanté, assis au volant du véhicule. Un agent de la G.R.C. a conduit M. Dyment à l'hôpital, sans l'arrêter ni le détenir. Ni le médecin ni l'agent n'ont remarqué que M. Dyment avait bu.

4.                     Le médecin est revenu à l'hôpital et s'est mis en devoir de suturer les lésions que M. Dyment avait à la tête, mais il a d'abord recueilli dans une éprouvette un échantillon du sang qui s'écoulait de ses plaies. Cela a été fait pour des fins médicales. Le médecin croyait que l'accident pouvait avoir eu une cause médicale. Peu après, M. Dyment lui a avoué qu'il avait pris une bière et des comprimés antihistaminiques, ce qui a permis au médecin de comprendre pourquoi l'accident s'était produit.

7.                   Plus tard, l'agent a fait procéder à une analyse de l'échantillon, qui a révélé un taux d'alcoolémie de plus de 100 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang. M. Dyment a alors été accusé, puis reconnu coupable, d'avoir conduit un véhicule ou d'en avoir eu la garde à l'arrêt alors que son taux d'alcoolémie dépassait 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, contrairement à l'art. 236 du Code criminel, alors en vigueur.

Les tribunaux d'instance inférieure

9.                       Bien qu'une infraction à la Charte n'exige pas automatiquement d'écarter l'élément de preuve en cause, il a jugé qu'il devait être écarté en l'espèce. Prendre un échantillon d'une substance corporelle d'une personne sans son consentement, à moins que cela ne soit requis par la loi ou que cela ne fasse partie d'un traitement médical d'urgence pratiqué sur un patient inconscient, viole le droit à la sécurité de la personne. Ce droit est aussi violé lorsque le médecin qui a prélevé un échantillon pour des raisons médicales le remet à un tiers pour des fins non médicales. Un échantillon prélevé pour des raisons médicales devient partie intégrante du dossier médical personnel du patient, lequel est confidentiel. Le fait que le sang n'a pas été extrait de son corps ne signifie pas qu'il l'avait abandonné. Son utilisation comme élément de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. [TRADUCTION] "Ce qui s'est produit ici", conclut‑il, "constitue une atteinte à l'inviolabilité, à l'intégrité et au caractère intime des substances corporelles de l'appelant et des dossiers médicaux tellement grave que la société serait indignée et consternée si un tribunal admettait cet élément de preuve en dépit de la Charte."

10.                   Le juge Mitchell a donc accueilli l'appel. Le ministère public a alors interjeté appel à la Division d'appel de la Cour suprême de l'Île‑du‑Prince‑Édouard: voir(1986), 1986 CanLII 115 (PE SCAD), 57 Nfld. & P.E.I.R. 210. Le juge MacDonald, s'exprimant au nom de la Cour, a été d'avis que le médecin, en recueillant le sang dans une situation d'urgence et en le remettant subséquemment à l'agent de police, n'avait pas enfreint l' 7de la Charte. Toutefois, il partageait la conclusion du juge Mitchell qu'en prenant l'échantillon l'agent de police avait enfreint l'art. 8 de la Charte et que l'échantillon aurait dû être écarté en vertu du par. 24(2). La prise de possession de l'échantillon de sang par l'agent de police, a‑t‑il dit, constituait une fouille et une saisie, puisque le consentement de M. Dyment n'avait pas été obtenu et qu'il n'y avait pas eu de mandat. Elles étaient illégales parce que l'agent de police n'avait pas déclaré dans son témoignage qu'il avait un motif raisonnable de croire que M. Dyment avait commis une infraction. Elles étaient aussi illégales parce qu'elles enfreignaient les dispositions du règlement d'application de la Hospitals Act, R.S.P.E.I. 1974, chap. H‑11. L'article 37du Hospital Management Regulations oblige chaque conseil d'hôpital à constituer un dossier médical pour chaque patient ou patiente, dans lequel doivent être consignées les diverses mesures prises au cours de son traitement médical. En vertu de l'art. 47 de ce règlement, un conseil d'hôpital est autorisé à [TRADUCTION] "retirer, examiner ou recevoir des renseignements pris dans un dossier médical" seulement à certaines conditions, notamment lorsqu'un tribunal l'ordonne. Selon le juge MacDonald, l'échantillon de sang faisait partie intégrante du dossier médical, puisque l'objet de l'art. 37 du règlement est de préserver le caractère confidentiel des données concernant les patients et que l'échantillon de sang, une fois analysé, révélerait ce genre d'information.

11.                   Le juge MacDonald a alors jugé que l'élément de preuve que constituait l'échantillon de sang devait être écarté en vertu du 24(2) de la Charte, pour le motif qu'il serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. L'atteinte au droit conféré par l'art. 8 à M. Dyment était flagrante. Il n'y avait pas urgence en l'espèce et il existait d'autres techniques d'investigation auxquelles on aurait pu avoir recours pour obtenir l'élément de preuve. Certes, il n'y avait aucune preuve directe que les droits de M. Dyment en vertu de la Charte avaient été sciemment violés, mais le comportement de l'agent de police avait été imprudent au point d'être inexcusable. Il a ajouté que l'infraction au règlement hospitalier minerait la confiance du public tant dans l'administration des services de santé que dans celle de la justice.

Les moyens de pourvoi

13.                   Au cours de sa plaidoirie devant la Cour, l'avocat du ministère public a fait valoir que la Cour d'appel avait erré sous trois rapports distincts, savoir:

(1)               en concluant que la prise de possession de l'échantillon de sang par l'agent de police constituait une saisie au sens de l'art. 8 de la Charte;

(2)               en concluant que cette prise de possession était abusive et contrevenait donc à l'art. 8;

(3)               en écartant l'élément de preuve que constituait l'analyse du sang, en vertu du par. 24(2) de la Charte, pour le motif que son utilisation serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Considérations d'ordre général

15.                   Dès le moment où elle a eu à interpréter la Charte, la Cour a dit clairement que les droits qu'elle garantit doivent recevoir une interprétation libérale et non étroite ou formaliste; voir  c. Big M Drug Mart Ltd.1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, à la p. 344. Le rôle de la Charte, pour reprendre les termes du juge Dickson, maintenant Juge en chef, dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc.1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145, à la p. 155, est de pourvoir "à la protection constante des droits et libertés individuels". Ce document vise un objet et il doit être interprété en ce sens. Cet arrêt traite spécifiquement de l'art. 8. Il souligne qu'un objet important, mais non nécessairement le seul, de la protection constitutionnelle qu'offre l'art. 8 contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives est la protection de la vie privée des particuliers: voir spécialement les pp. 159 et 160. Et ce droit, à l'instar des autres droits garantis par la Charte, doit recevoir une interprétation large et libérale, de manière à garantir au citoyen le droit d'être protégé contre les atteintes du gouvernement à ses attentes raisonnables en matière de vie privée. Son esprit ne doit pas être restreint par des classifications formalistes étroites, fondées sur des notions de propriété ou du même genre, qui ont servi autrefois à protéger cette valeur humaine fondamentale.

17.                   Le point de vue qui précède est tout à fait approprié dans le cas d'un document constitutionnel enchâssé à une époque où, selon ce que nous dit Westin, la société a fini par se rendre compte que la notion de vie privée est au coeur de celle de la liberté dans un État moderne; voir Alan F. Westin,Privacy and Freedom (1970), aux pp. 349 et 350. Fondée sur l'autonomie morale et physique de la personne, la notion de vie privée est essentielle à son bien‑être. Ne serait‑ce que pour cette raison, elle mériterait une protection constitutionnelle, mais elle revêt aussi une importance capitale sur le plan de l'ordre public. L'interdiction qui est faite au gouvernement de s'intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l'essence même de l'État démocratique.

18.                   Naturellement, un équilibre doit être établi entre les revendications en matière de vie privée et les autres exigences de la vie en société, et en particulier celles de l'application de la loi, et c'est justement ce que l'art. 8 vise à réaliser. Comme l'affirme le juge Dickson, dans l'arrêtHunter c. Southam Inc., précité, aux pp. 159 et 160:

                  La garantie de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives ne vise qu'une attente raisonnable. Cette limitation du droit garanti par l'art. 8, qu'elle soit exprimée sous la forme négative, c'est‑à‑dire comme une protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies "abusives", ou sous la forme positive comme le droit de s'attendre "raisonnablement" à la protection de la vie privée, indique qu'il faut apprécier si, dans une situation donnée, le droit du public de ne pas être importuné par le gouvernement doit céder le pas au droit du gouvernement de s'immiscer dans la vie privée des particuliers afin de réaliser ses fins et, notamment, d'assurer l'application de la loi.

20.                     Comme nous l'avons déjà souligné, les revendications d'ordre territorial étaient à l'origine légalement et conceptuellement liées à la propriété, ce qui signifiait que les revendications d'un droit à la vie privée en ce sens étaient, sur le plan juridique, largement confinées au domicile. Mais, comme Westin, précité, à la p. 363, le fait observer, [TRADUCTION] "protéger la vie privée au domicile seulement . . . revient à protéger ce qui n'est devenu, dans la société contemporaine, qu'une petite partie du besoin environnemental quotidien de vie privée de l'individu". L'arrêt Hunter c. Southam Inc. a brisé les entraves qui limitaient ces revendications à la propriété. À la page 159, le juge Dickson a adopté à juste titre le point de vue avancé initialement par le juge Stewart dans l'arrêt Katz v. United States, 389 U.S. 347 (1967), à la p. 351, selon lequel ce qui est protégé, ce sont les personnes et non les lieux. Cela ne veut pas dire que certains lieux, en raison de la nature des interactions sociales qui s'y produisent, ne devraient pas nous inciter à être particulièrement sensibles à la nécessité de protéger la vie privée de l'individu.

21.                   La Cour a récemment traité du droit à la vie privée de la personne dans l'arrêt c. Pohoretsky1987 CanLII 62 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 945. Dans cette affaire qui ressemble quelque peu à celle dont nous sommes présentement saisis, le médecin, à la demande de l'agent de police, avait prélevé l'échantillon de sang d'un patient alors qu'il était dans un état de confusion et de délire. En jugeant que cet acte constituait une fouille et une saisie abusives, mon collègue le juge Lamer a souligné la gravité d'une atteinte à l'intégrité physique d'une personne. Cela constitue une offense grave à la dignité humaine. Comme l'affirme le groupe d'étude dans son rapport intitulé L'ordinateur et la vie privée, précité, à la p. 13:

La vie privée ne s'entend pas ici qu'au sens physique, car il s'agit surtout de sauvegarder la dignité de la personne humaine. La personne est moins protégée contre la perquisition en soi (la loi offre d'autres moyens de protection physique) qu'elle ne l'est contre l'affront, l'intrusion morale qu'elle représente.

23.                   Une dernière remarque d'ordre général s'impose, à savoir que si le droit à la vie privée de l'individu doit être protégé, nous ne pouvons nous permettre de ne faire valoir ce droit qu'après qu'il a été violé. Cela est inhérent à la notion de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Il faut empêcher les atteintes au droit à la vie privée et, lorsque d'autres exigences de la société l'emportent sur ce droit, il doit y avoir des règles claires qui énoncent les conditions dans lesquelles il peut être enfreint. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne l'application de la loi, qui met en cause la liberté du sujet. Cela aussi, le juge Dickson l'a dit clairement dans l'arrêt Hunter c. Southam Inc. Après avoir répété que l' 8 de la Charte a pour but de protéger les particuliers contre les intrusions injustifiées de l'État, il poursuit, à la p. 160:

                  Ce but requiert un moyen de prévenir les fouilles et les perquisitions injustifiées avant qu'elles ne se produisent et non simplement un moyen de déterminer, après le fait, si au départ elles devaient être effectuées. Cela ne peut se faire, à mon avis, que par un système d'autorisation préalable et non de validation subséquente. [Souligné dans l'original.]

Il parlait alors de fouilles et de perquisitions mais, comme je vais tenter de le démontrer, cette assertion s'applique également aux saisies.

Y a‑t‑il eu fouille ou saisie?

26.                   À mon avis, il y a saisie au sens de l'art. 8 lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement. C'est ce qui s'est produit dans l'affairePohoretsky, précitée. L'examen dans cette affaire était axé sur le prélèvement même de l'échantillon de sang. Mais on doit garder à l'esprit la raison pour laquelle il en a été ainsi. Dans l'affaire Pohoretsky, l'échantillon avait été prélevé à la demande de l'agent de police. Le prélèvement de l'échantillon de sang déclenchait donc immédiatement un examen fondé sur l'art. 8. L'article 8 a été conçu pour accorder une protection contre les actions de l'État et de ses mandataires. En l'espèce aussi, l'examen doit être axé sur les circonstances dans lesquelles l'agent de police a obtenu l'échantillon. Toutefois, les circonstances dans lesquelles le médecin l'a obtenu sont loin d'être sans importance.

27.                   Il n'y a pas eu de consentement au prélèvement de l'échantillon de sang en l'espèce, car M. Dyment était inconscient au moment où il a été fait. Mais, même s'il avait donné son consentement, je ne pense pas que cela aurait eu de l'importance qu'il ait visé uniquement l'utilisation de l'échantillon à des fins médicales; voir v. Griffin (1985), 22 C.R.R. 303 (C. dist. Ont.) Comme j'ai tenté de le montrer précédemment, l'utilisation du corps d'une personne, sans son consentement, en vue d'obtenir des renseignements à son sujet, constitue une atteinte à une sphère de la vie privée essentielle au maintien de sa dignité humaine.

28.                     Il va sans dire qu'en l'espèce aucun consentement n'a été donné et que les circonstances ne permettent pas d'en présumer l'existence. M. Dyment a tout simplement été amené à l'hôpital pour y subir un traitement médical. Je n'ai pas à m'interroger sur le point de savoir si les actes du médecin pourraient, strictement parlant, être justifiés à titre de mesure d'urgence, nécessaire à la préservation de la vie ou de la santé de M. Dyment. Il était parfaitement raisonnable pour un médecin qui s'était vu confier la tâche de soigner un patient d'agir ainsi. Cependant, je me dois de souligner que la seule raison qui justifiait le médecin de recueillir l'échantillon de sang était qu'il devait servir à des fins médicales. Il n'avait pas le droit de recueillir le sang de M. Dyment pour d'autres fins. Je ne souhaite pas analyser la question en fonction de considérations relatives à la propriété, bien que ce ne serait pas trop forcer les choses que de le faire. Certaines provinces attribuent expressément la propriété des échantillons de sang à l'hôpital, ce qui, selon moi, est tout à fait sans importance. Ce que je tiens plutôt à souligner, c'est que je ne puis concevoir que le médecin en l'espèce ait eu le droit de prélever le sang de M. Dyment et de le donner à un étranger pour des fins autres que médicales, à moins d'une exigence contraire de la loi, et toute loi de ce genre serait elle aussi assujettie à un examen en regard de la Charte. Plus précisément, je pense que la protection accordée par la Charte va jusqu'à interdire à un agent de police, qui est un mandataire de l'État, de se faire remettre une substance aussi personnelle que le sang d'une personne par celui qui la détient avec l'obligation de respecter la dignité et la vie privée de cette personne.

La saisie était‑elle abusive?

33.                     L'avocat du ministère public a fait valoir que si la prise de possession par la police constituait une saisie au sens de l'art. 8, elle était raisonnable même s'il se pouvait qu'elle soit illégale. Cette Cour a depuis eu l'occasion de traiter cette question dans R. c. Collins1987 CanLII 84 (CSC)[1987] 1 R.C.S. 265. Cependant, il ne m'est pas nécessaire, aux fins de la présente affaire, d'examiner si le prélèvement de sang était illégal puisqu'il est clair quant à moi, cette question mise tout à fait à part, que la saisie en l'espèce était abusive.

34.                     Pour commencer, je n'accepte pas que l'atteinte au droit à la vie privée de M. Dyment a été minimale. Comme je l'ai indiqué, l'utilisation du sang d'une personne, ou d'autres substances corporelles confiées à des tiers pour des fins médicales, à d'autres fins que celles‑ci porte gravement atteinte à l'autonomie personnelle de l'individu. Dans ce cas particulier, la saisie a porté atteinte au droit à la vie privée sous tous ses aspects déjà identifiés, savoir les aspects spatiaux, physiques et informationnels. Dans ces circonstances, il me semble qu'en l'absence de nécessité urgente, il était abusif de la part de l'agent de police d'agir comme il l'a fait. [...]

Devrait‑on écarter l'élément de preuve?

37.                     La Cour a déjà énoncé, dans l'arrêt R. c. Collins, précité, les facteurs dont il faut tenir compte pour décider si un élément de preuve doit être écarté en vertu du par. 24(2) de la Charte, pour le motif qu'il est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, aussi n'ai‑je qu'à examiner ceux qui sont particulièrement pertinents en l'espèce.

38.                   J'estime qu'il y a eu violation très grave de la Charte. Dans l'arrêt Pohoretsky, précité, à la p. 949, le juge Lamer fait observer qu'une "violation de l'intégrité physique de la personne humaine est une affaire beaucoup plus grave que celle de son bureau ou même de son domicile". Il est vrai que la police, dans cette affaire, était directement impliquée dans l'atteinte à l'intégrité physique de l'appelant. Toutefois, comme je l'ai indiqué précédemment, la vie privée ne s'entend pas qu'au sens physique. La dignité de l'être humain est tout aussi gravement atteinte lorsqu'il y a utilisation de substances corporelles, recueillies par des tiers à des fins médicales, d'une manière qui ne respecte pas cette limite. À mon avis, la confiance du public dans l'administration des services médicaux serait mise à rude épreuve si l'on devait autoriser la circulation libre et informelle de renseignements, et particulièrement de substances corporelles, des hôpitaux vers la police. Dans l'affaire  v. DeCoste (1983), 60 N.S.R. (2d) 170 (C.S.D.P.I.), à la p. 174, le juge Grant dit penser que [TRADUCTION] "le public considère un hôpital comme un lieu où les malades et les blessés sont traités et non comme un lieu où un médecin prélèverait le sang d'une personne inconsciente ou semi‑consciente dans le seul but d'obtempérer à une demande illicite d'un agent de police". Je partage cet avis et je ne pense pas que le sentiment du public serait différent envers les médecins et le personnel médical qui remettraient spontanément du sang, prélevé pour des fins médicales, à un agent de police, ou envers l'agent de police qui l'accepterait, alors qu'il existe une procédure établie et bien connue pour obtenir ce genre d'élément de preuve dans le cas où l'agent a des motifs raisonnables et probables de croire qu'un crime a été commis. Dans un tel cas, ils sont tous impliqués dans une violation flagrante de la vie privée d'une personne. Même s'il s'exprimait en fonction du critère de [TRADUCTION] "l'indignation de la collectivité" appliqué avant la Charte, le juge Mitchell a eu essentiellement raison d'affirmer en l'espèce, à la p. 355:

                  [TRADUCTION] Si le tribunal reçoit un élément de preuve obtenu grâce au prélèvement d'un échantillon de sang effectué sans qu'il y ait eu consentement, nécessité médicale ni autorisation légale et sans que le policier ait eu des motifs raisonnables de le faire, cela est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice . . . . Ce qui s'est produit ici constitue une atteinte à l'inviolabilité, à l'intégrité et au caractère intime des substances corporelles de l'appelant, et des dossiers médicaux, tellement grave que la collectivité serait indignée et consternée si un tribunal admettait cet élément de preuve en dépit de la Charte.

Ce genre de pratique est susceptible de déconsidérer à la fois l'administration des services de santé et celle de la justice.

39.                   Et cela d'autant plus si l'on s'arrête à la façon dont l'échantillon a été obtenu, que le juge MacDonald a considérée comme constituant une violation flagrante de la Charte. Comme il le dit, à la p. 218:

[TRADUCTION] . . . je constate que la façon dont l'échantillon a été obtenu en l'espèce est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. J'arrive à cette conclusion parce que je considère que l'atteinte aux droits conférés par la Charte à l'intimé était flagrante. Il n'y avait pas urgence en l'espèce et il existait d'autres techniques d'investigation auxquelles on aurait pu avoir recours pour obtenir l'élément de preuve. L'échantillon de sang avait été prélevé à l'intérieur du délai imparti de deux heures et rien n'indiquait qu'il serait détruit.

S'il est vrai, comme il l'ajoute, qu'il n'y a aucune preuve que les droits de l'intimé ont été sciemment violés, je dois convenir avec lui qu'on ne saurait excuser des méthodes aussi relâchées de la part de la police.


Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 14 h 36 min.