Extraits pertinents : LA COUR; - Statuant sur le pourvoi de l'appelante contre un jugement de la Cour supérieure ( Montréal, 27 novembre 1997, l'honorable Ginette Piché ) qui a accueilli une requête en révision judiciaire de l'intimée à l'encontre d'une décision interlocutoire de la Commission municipale du Québec, laquelle rejetait son objection à la recevabilité en preuve de certains enregistrements clandestins de conversations téléphoniques; Après étude du dossier, audition et délibéré; Pour les motifs exprimés dans l'opinion écrite du juge Gendreau, dont un exemplaire est déposé avec le présent arrêt, et auxquels souscrit le juge Fish et pour les motifs exprimés dans l'opinion écrite du juge Robert, dont un exemplaire est également déposé avec le présent arrêt, REJETTE l'appel, avec dépens. I- Les faits et les procédures L'intimée Huguette Houle a occupé, de mars 1992 à août 1996, le poste de directrice du Bureau des citoyens ( ombudsman ) de la Ville de Mascouche (la Ville). Le 5 août 1996, elle a été congédiée au motif qu'elle a manqué à son devoir de loyauté et que le lien de confiance entre elle et le conseil municipal a été rompu. La preuve invoquée par la Ville au soutien de ce congédiement repose essentiellement sur certains enregistrements des conversations téléphoniques personnelles que madame Houle effectuait à son domicile au moyen d'un téléphone sans fil. Cette écoute clandestine était effectuée par le voisin immédiat de madame Houle à l'aide d'un balayeur d'ondes. Selon la preuve, ce voisin aurait d'abord agi de son propre chef puis, après avoir informé le maire de la teneur des conversations de l'intimée et lui avoir remis copie des enregistrements, il a poursuivi son manège sur ordre de ce dernier. Le présent dossier porte sur la recevabilité de ces enregistrements devant la Commission aux fins de démontrer le caractère justifié du congédiement de l'intimée. Il est utile de rappeler brièvement les circonstances ayant mené au congédiement de madame Houle. À partir du 6 mai 1996 et ce pendant cinq semaines, Yvan Guilbault, le voisin immédiat de l'intimée Houle à sa résidence de Mascouche, procède, à l'insu de cette dernière, à l'enregistrement de ses conversations téléphoniques faites à partir de sa résidence au moyen d'un téléphone sans fil. Les conversations enregistrées le sont essentiellement sur l'heure du midi et le soir, donc en dehors des heures normales de bureau. Pour effectuer cette écoute, Yvan Guilbault a fait l'acquisition d'un balayeur d'ondes (scanner) acheté, en août, 169 $ chez Radio Shack. Selon la preuve, il a acheté cet équipement spécialement pour intercepter les conversations téléphoniques de l'intimée après qu'un de ses amis, Adrien Demers, lui ait dit que « ça brasse à la Ville » et lui ait fait écouter, à l'aide d'un équipement semblable, certaines conversations entre Huguette Houle et Jean-Guy Ouellette au sujet des affaires de la municipalité. Après quelques jours d'enregistrements, Yvan Guilbault constate que « ça brass(e) fort » et décide d'informer le maire de Mascouche, Richard Marcotte, des conversations de l'intimée. Les deux hommes se rencontrent dans un restaurant de Terrebonne le 12 mai 1996 où ils procèdent à l'écoute des cassettes. Il est décidé, ce soir-là, d'informer la police de ces conversations. Les enregistrements sont, comme convenu, remis à la police de Mascouche. Celle-ci se rendra plus tard chez M. Guilbault pour ramasser les autres cassettes, lui disant que c'est illégal. Cela n'arrête toutefois pas M. Guilbault qui continue d'enregistrer les conversations de Huguette Houle pendant quatre autres journées. Il a expliqué avoir agi ainsi car il craignait pour la sécurité du maire. En tout, on dénombre environ 25 cassettes d'enregistrements clandestins couvrant une trentaine de jours. Selon l'information qu'on nous a fournie, ces cassettes seraient toujours en possession de la police de Mascouche. Le 5 août, Huguette Houle reçoit copie d'une résolution de la Ville la destituant de ses fonctions. Le 15 août 1996, Huguette Houle fait appel de cette décision devant la Commission, conformément à l'article 72 de la Loi sur les cités et villes (L.R.Q., c. C-19). Dès le début de l'audition devant la Commission, tenue les 8 et 9 janvier 1997, l'appelante s'objecte à la recevabilité en preuve des enregistrements effectués par Guilbault. La Commission rejette l'objection préliminaire de l'intimée, qui se pourvoit immédiatement en révision judiciaire devant la Cour supérieure. Le 27 novembre 1997, la juge Ginette Piché accueille la requête en révision de l'intimée et déclare les enregistrements irrecevables, d'où l'appel. III- Les questions en litige Le présent pourvoi soulève deux questions: A) La juge de première instance a-t-elle erré en droit en concluant que la requête en révision judiciaire de l'intimée à l'encontre de la décision interlocutoire de la Commission n'était pas prématurée? B) La juge de première instance a-t-elle erré en droit en déclarant inadmissibles les enregistrements de conversations téléphoniques, au motif qu'ils ont été faits en contravention au droit de l'intimée à la vie privée et que leur utilisation serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice? IV- Discussion et analyse B) La recevabilité en preuve des enregistrements clandestins de conversations téléphoniques L'appelante a reconnu avec raison, à l'audition, que les communications interceptées l'ont été en violation du droit à la vie privée de l'intimée Houle. Elle soutient toutefois que c'est leur exclusion, bien plus que leur utilisation, qui déconsidérerait davantage l'administration de la justice. Selon la Ville, l'article 2858 C.c.Q. doit s'interpréter avec moins de rigueur que l'article 24(2) de la Charte. Elle affirme que le but de la production est de faire la lumière sur les circonstances du congédiement de Mme Houle et que la violation de son droit à la vie privée doit être soupesé avec d'autres droits tel celui, pour la collectivité, de connaître la vérité. Or, soutient l'appelante, à défaut de pouvoir utiliser les enregistrements, il lui sera impossible de démontrer le bien-fondé du congédiement de madame Houle, ce qui déconsidérerait l'administration de la justice. Quant à l'intimée, elle prétend qu'outre la Charte québécoise et le Code civil, la Charte canadienne s'applique à la présente affaire puisque le maire de Mascouche a supervisé et encouragé en grande partie l'opération d'écoute d'Yvan Guilbault. Elle soutient de plus qu'on a porté atteinte à son expectative raisonnable de vie privée et que la preuve devrait être exclue. L'administration de la justice ne pourrait qu'être déconsidérée par trente jours d'écoute électronique illégale de ses conversations privées alors qu'elle se trouvait à son domicile et qu'elle n'était pas en fonction. 2) La violation du droit à la vie privée de l'intimée Comme le paragraphe 24(2), l'article 2858 comporte deux conditions. Premièrement, la preuve doit avoir été obtenue en violation d'un droit fondamental. Deuxièmement, son utilisation devant le tribunal doit être de nature à déconsidérer l’administration de la justice. Si l'une de ces conditions n'est pas remplie, la preuve est admissible, sous réserve d'une autre règle d'exclusion. Je traiterai successivement de ces deux conditions. La preuve a-t-elle été obtenue dans des conditions ayant porté atteinte aux droits fondamentaux de l'intimée? L'intimée a prétendu, tant devant les instances inférieures que devant notre Cour, que l'enregistrement de ses conversations téléphoniques faites à son domicile par son voisin, effectué en partie à la demande du maire de Mascouche et invoqué par la Ville au soutien de son congédiement, avait contrevenu à son droit à la vie privée. Le droit à la vie privée est un droit des plus fondamental dans notre société moderne, ce qui explique l'importante protection qui lui est vouée par les différents instruments législatifs et constitutionnels. On le retrouve consacré à l'article 8 de la Charte canadienne, garantissant à chacun « la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». Il est également garanti par l’article 5 de la Charte québécoise, qui prévoit que « (t)oute personne a droit au respect de sa vie privée », de même qu'à l'article 24.1 de cette même Charte, qui édicte une protection contre les fouilles et saisies abusives similaire à celle de l'article 8 de la Charte canadienne. Le Code civil du Québec vise lui aussi à assurer le respect du droit à la vie privée qui y est prévu aux articles 3 et 35 et suivants: 3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit àla vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. (...) 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée. Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ces héritiers y consentent ou sans que la loi l'autorise. 36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants: (...) 2o Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée; (...) Compte tenu de l'étendue de la protection accordée au droit à la vie privée, il va de soi que tout élément de preuve obtenu en contravention à ce droit peut faire l'objet d'exclusion en vertu de l'article 2858 C.c.Q. si son utilisation déconsidère l'administration de la justice. Il s'agit d'un droit qui est visé par la notion de « droit fondamentaux » utilisée à l'article 2858 C.c.Q. Dans l'arrêt R. c. Dyment, le juge La Forest rappelait l'importance du droit à la vie privée, indiquant qu'il touche à l'essence même de l'État démocratique: (L)a notion de vie privée est au coeur de celle de la liberté dans un État moderne. (...) Fondée sur l'autonomie morale et physique de la personne, la notion de vie privée est essentielle à son bien être. Ne serait-ce que pour cette raison, elle mériterait une protection constitutionnelle, mais elle revêt aussi une importance capitale sur le plan de l'ordre public. L'interdiction qui est faite au gouvernement de s'intéresser de trop près à la vie des citoyens touche à l'essence même de l'État démocratique[23]. À mon avis, la Commission a commis une erreur flagrante en adoptant une conception aussi réductrice du droit à la vie privée. Le droit à la vie privée vise à protéger les attentes raisonnablesdes individus en matière de vie privée et ne s'analyse pas en procédant à un examen ex post facto du contenu des communications interceptées, pour déterminer si elles concernent ou non la vie intime d'une personne. Cela reviendrait à dire que la protection du droit à la vie privée ne jouerait qu'après coup, une fois que le droit a été violé. Or, ce n'est pas là l'esprit de la protection qu'on a voulu conféré à ce droit. Comme l'indiquait le juge La Forest dans Dyment en traitant de l'article 8 de la Charte: (S)i le droit à la vie privée de l'individu doit être protégé, nous ne pouvons nous permettre de ne faire valoir ce droit qu'après qu'il a été violé. Cela est inhérent à la notion de protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. Il faut empêcher les atteintes au droit à la vie privée et, lorsque d'autres exigences de la société l'emportent sur ce droit, il doit y avoir des règles claires qui énoncent les conditions dans lesquelles il peut être enfreint[25]. Ces conditions sont celles édictées dans l'arrêt Hunter, soit l'exigence d'un mandat délivré par un officier de justice sur la base de motifs raisonnables. Retenir l'approche de la Commission serait nier le concept d'expectative de vie privée et serait contraire à l'objet même de la protection. Comme l'indiquait le juge Sopinka dans l'arrêt Kokesch, « (i)l ne faut pas oublier que la justification après coup des fouilles et perquisitions par leur résultat est précisément ce que les critères énoncés dans l'arrêt Hunter visaient à éviter »[26]. Dans l'arrêt Duarte, précité, le juge La Forest a mentionné qu'«on peut difficilement concevoir une activité de l'État qui soit plus dangeureuse pour la vie privée des particuliers que la surveillance électronique (...). La surveillance électronique est le pire destructeur de la vie privée»[27]. Il a énoncé ainsi le critère permettant de déterminer si un enregistrement clandestin porte atteinte à la vie privée d'un individu: (P)our décider si l'enregistrement clandestin est attentoire à la vie privée, il faut se demander si la personne dont les propos ont été enregistrés a parlé dans des circonstances où elle pouvait raisonnablement s'attendre que ses propos ne soient entendus que par les personnes auxquelles elle s'adressait[28] Une maison d'habitation constitue sans doute l'endroit où l'attente raisonnable d'une personne en matière de vie privée est la plus élevée. Dès le 17ième siècle, dans un obiter célèbre, les tribunaux anglais de common law ont reconnu que « (t)he house of every one is to him as his castle and fortress »[31]. Avant la Charte, ce principe a été repris par nos tribunaux dans les arrêts Eccles c. Bourque[32] et Colet c. La Reine[33]. L'importance de la privauté de la demeure n'a cessé d'être rappelée et renforcée suite à l'entrée en vigueur de la Charte. Dans l'arrêt Baron, le juge Sopinka a affirmé à juste titre que « (l)a perquisition dans des locaux privés ( je veux dire privés au sens de propriété privée... ) constitue la plus grave atteinte à la vie privée, abstraction faite de l'atteinte à l'intégrité physique »[34]. En l'espèce, le droit à la vie privée de l'intimée a été enfreint et ce, tant en vertu de la Charte canadienne, de la Charte québécoise que du Code civil. Les agissements de M. Guilbault constituaient clairement une fouille abusive, au sens des articles 8 de la Charte canadienne et 24.1 de la Charte québécoise. En effet, suivant l'arrêt Collins, « (u)ne fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée d'une manière abusive »[35]. En l'espèce, l'écoute clandestine de M. Guilbault, effectuée en grande partie à la demande du maire de Mascouche, n'était pas autorisée par la loi de l'aveu même de l'appelante et contrevient donc à l'article 8 de la Charte. Le même raisonnement s'applique à l'article 24.1 de la Charte québécoise. Le comportement de M. Guilbault a également violé l'article 5 de la Charte québécoise, de même que la protection qu'offre le Code civil au droit à la vie privée. L'article 35 C.c.Q. prévoit que « (n)ulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l'autorise ». Comme je l'ai indiqué, l'interception des communications n'était pas ici autorisée par la loi. L'article 36 20) C.c.Q. prévoit d'ailleurs expressément qu'on peut considérer comme une atteinte à la vie privée d'une personne le fait d'« (i)ntercepter ou utiliser volontairement une communication privée ». 3) Le déconsidération de l'administration de la justice Tout comme l'article 24(2) de la Charte canadienne, l'article 2858 C.c.Q. prévoit l'exclusion de la preuve obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits fondamentaux d'un individu. Alors qu'en vertu de la Charte canadienne, il incombe au requérant d'établir, selon une norme prépondérante, la violation d'un droit garanti et le fait que l'utilisation de la preuve ainsi obtenue déconsidérerait l'administration de la justice, en vertu de l'article 2858 C.c.Q., le tribunal doit agir même d'office. Mais comment doit-on interpréter l'article 2858 C.c.Q. par rapport à l'article 24(2) de la Charte? La jurisprudence et les principes développés sous l'angle du droit criminel s'appliquent-ils de la même manière en matière civile? C'est ce qu'il nous faudra déterminer mais d'abord, un mot sur la norme de contrôle applicable à ce niveau. En décidant qu'il fallait permettre la production et l'écoute des enregistrements pour déterminer, ex post facto, de l'existence d'une violation, selon que les conversations portent sur la vie intime de madame Houle ou sur les affaires de la Ville, la Commission a adopté une démarche tout à fait contraire à celle proposée par la Cour suprême. Plutôt que d'examiner la preuve au dossier, qui lui permettait largement de tirer des conclusions sur la violation et la déconsidération de système judiciaire, elle permettait à la Ville de justifier après coup son écoute clandestine par son résultat. La Commission aurait dû appliquer la même logique en prenant sa décision. Elle se devait d'examiner les faits au dossier, qui lui permettaient largement de prendre une décision, plutôt que de permettre à la Ville de justifier son écoute clandestine par son résultat, s'il devait effectivement y avoir des conversations démontrant un manque de loyauté de l'intimée envers la Ville. Comme je suis d'avis qu'il n'était pas nécessaire pour la Commission d'écouter les cassettes et que la preuve au dossier était suffisante, il faut décider si cette preuve justifie l'exclusion des enregistremsnts. Partant, il faut se demander si la jurisprudence de droit pénal relative au par. 24(2) s'applique dans le cas de l'article 2858 C.c.Q. Ainsi donc, à mon avis, les facteurs dégagés en matière pénale par la Cour suprême quant à l'interprétation du paragraphe 24(2) de la Charte, même s'ils ne s'appliquent pas avec la même rigueur en matière civile, peuvent néanmoins servir de guide lors de l'analyse en vertu de l'article 2858C.c.Q., en faisant les adaptations nécessaires. Or, si l'on applique, mutatis mutandis, les critères applicables en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte (R. c. Collins, précité), soit les facteurs relatifs à l'équité du procès, à la gravité de la violation et à l'effet de l'exclusion de la preuve, l'on doit conclure que la preuve des enregistrements faits par Guilbault doit être exclue. V- Dispositif Pour ces motifs, je proposerais de REJETER l'appel avec dépens. Dernière modification : le 29 novembre 2017 à 12 h 49 min.