Extraits pertinents :

  1. La mise en contexte

[1]   « J’ai une plume pointue, qui pique, c’est clair! (…), j’ai une plume plutôt acerbe, plutôt pointue, ironique, j’en conviens, je n’écris pas pour un couvent. »[1] « Les mots, c’est ma force ». Voilà comment le défendeur qualifie les propos diffusés sur le blogue accomodementsoutremont.blogspot.ca.

[2] Sur ce blogue, il discute du fait que les autorités municipales d’Outremont entretiennent vraisemblablement des relations particulières avec les dirigeants hassidiques par lesquelles les uns bénéficient d’accommodements religieux de tous genres en échange de l’appui électoral des autres, ce qu’il dénonce publiquement au nom du droit de tous d’être traité également, du droit du public à l’information et de la liberté d’expression.

[4]  Les demandeurs sont loin d’apprécier le style littéraire, les méthodes de communication, les sujets choisis par le défendeur et la mission qu’il s’est donnée. Ils considèrent que sa plume dépasse les limites acceptables de la liberté d’opinion et d’expression, que ses propos sont insultants, disgracieux, pleins d’insinuations malveillantes, diffamatoires et harcelants, tant à leur endroit qu’à l’égard de la communauté hassidique en général et qu’il a une fixation malsaine à leur égard, ce qui contribue selon eux à émoustiller les tensions entre les diverses communautés habitant l’arrondissement Outremont.

[5] En conséquence, ils en demandent le retrait complet du blogue et demandent que le défendeur soit contraint de soumettre ses chroniques à un filtre judiciaire préalable afin de freiner ses élans littéraires s’il souhaite publier de nouveaux propos à leur sujet. Alléguant avoir subi des dommages à leur réputation, à leur vie privée et avoir été harcelés par le demandeur depuis plus de 5 ans, ils veulent aussi être indemnisés.

[7]  Si une simple chicane entre voisins semble à l’origine du litige, l’identité de ces voisins, leur implication sociale et les valeurs fondamentales auxquelles ils adhèrent tissent la toile de fond sur laquelle se joue un important débat de société. Ce débat met en cause les limites subtiles de divers droits et libertés fondamentaux : la liberté de religion et ses accommodements, le droit à la réputation et le droit à la vie privée du côté des demandeurs, et la liberté d’opinion, la liberté d’expression et le droit du public à l’information nécessaire à la critique de la gestion des autorités politiques du côté du défendeur.

[8]  Le litige est unique par le nombre important de textes écrits depuis plus de 5 ans, par le contexte sociopolitique dans lequel les parties ont évolué depuis, par les diverses formes de communication utilisées et par le nombre d’éléments soulevés en défense pour faire échec au recours.

[9]   Pour décider du recours, ce sont 314 chroniques de deux à trois pages chacune et 6 articles diffusés par le défendeur dans certains journaux que nous avons dû réviser afin de saisir le contexte dans lequel intervient ce litige et de décider de l’argument relatif au harcèlement invoqué[2]. Ce matériel porte sur plusieurs thèmes et les textes sont accompagnés de photos commentées, de photomontages, de caricatures et d’hyperliens vers d’autres textes que les demandeurs considèrent diffamatoires. L’élagage fait lors de la plaidoirie ramène à 95  le nombre de textes que les demandeurs nous demandent de retirer du blogue et pour lesquels ils veulent être indemnisés[3], sans compter le contenu de deux mémoires de destitution qui comportent à eux seuls une centaine de pages.

         III.   Les questions soulevées par le recours principal et la demande reconventionnelle

[93]  La question centrale consiste donc à décider si les propos, les caricatures et les photomontages diffusés par le défendeur portent atteinte aux droits fondamentaux des demandeurs à la réputation et à la vie privée et si le défendeur a commis une faute en diffusant les chroniques que les demandeurs lui reprochent. Bien que le motif de harcèlement ne soit pas précisé dans les questions posées, nous comprenons de la plaidoirie du procureur des demandeurs qu’il est fondé sur la religion que les demandeurs pratiquent.

[94]  Dans l’hypothèse où la preuve démontre que le défendeur a commis une faute à l’égard des sujets identifiés, il nous reste à décider si les demandeurs ont prouvé les dommages allégués, si ceux-ci ont été causés par la conduite du défendeur et quel montant adéquat doit leur être accordé pour compenser ces dommages, le cas échéant.

  1. Les principes applicables
  • Les dispositions législatives pertinentes

[121]  Pour décider si les propos en cause sont diffamatoires, s’il y a eu violation au droit à la vie privée, harcèlement fondé sur des motifs religieux et s’il doit y avoir réparation en vertu des règles de responsabilité civile ou si la liberté d’opinion, la liberté d’expression et le droit du public à l’information doivent prévaloir et faire échec à la poursuite des demandeurs, il importe de connaître les articles pertinents aux droits et libertés en cause.

[123]  Voici les articles pertinents de la Charte :

 

(…)

3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.

4. Toute personne a droit à la sauvegardede sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

5. Toute personne a droit au respectde sa vie privée.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction,exclusionou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

10.1. Nul ne doit harceler une personne en raison de l'un des motifs visés dans l'article 10. »

44. Toute personne a droit à l'information, dans la mesure prévue par la loi.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnupar la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. (Soulignements ajoutés) »

[124]  Voici maintenant les articles pertinents du Code civil du Québec :

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

6. Toute personne est tenue d'exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autruiou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputationet de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.

36. Peuvent êtrenotamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:

1° (…)

2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;

3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;

4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;

6° (…)

5.2.2   Le droit à la protection de la vie privée

[134] Le droit à la protection de la vie privée comporte à ce jour les composantes suivantes : le droit à l’anonymat, à l’intimité, à l’autonomie dans l’aménagement de sa vie personnelle et familiale, le droit au secret et à la confidentialité, le droit à l’inviolabilité du domicile, la protection de l’utilisation du nom, des éléments relatifs à l’état de santé, à la vie familiale, amoureuse et l’orientation sexuelle[141].

[135]  Le droit à l’image est aussi protégé si l’image d’une personne est diffusée sans le consentement de celle-ci et que cette dernière en éprouve du déplaisir[142].

[136] La diffusion d’une photo sur laquelle une personne se trouve dans une foule peut toutefois être autorisée si la personne n’est pas le sujet principal de cette photo[143] et ce, nonobstant qu’une personne se trouvant dans un lieu public puisse normalement s’attendre à demeurer dans l’anonymat. La diffusion d’une telle photo se justifie aussi lorsqu’il existe des motifs rationnels de surveiller une personne et que cette surveillance se fait par des moyens raisonnables[144].

5.3      L’interaction entre les divers droits et libertés en cause

[140]   Même si les articles cités précédemment démontrent que le législateur met de l’emphase sur le droit à la réputation et le droit à la vie privée, il ne faut pas en déduire que la liberté d’opinion, la liberté d’expression et le droit du public à l’information sont moins importants pour autant.

[141]  Au contraire, la Cour suprême a plusieurs fois rappelé que la liberté d’expression est l’un des piliers d’une société libre et démocratique et que le droit à la réputation et le droit à la vie privée peuvent dans certains cas lui céder le pas au nom du respect de la démocratie[147]. Plus le discours porte sur des enjeux politiques d’envergure, plus la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont interprétées largement[148]. Cela signifie que même s’il n’existe pas de hiérarchie entre les droits et libertés protégés par les Chartes, le contexte fait en sorte que certains droits sont quelques fois priorisés pour le bien-être collectif.

[142] Les tribunaux reconnaissent le droit des citoyens d’avoir accès à l’information pertinente à l’administration publique car cela est nécessaire pour leur permettre la critique des faits et gestes de l’action gouvernementale et des politiciens[149]. Cependant, l’information diffusée doit être d’intérêt public et le sujet soit être discuté de bonne foi, de manière à ne pas déconsidérer la réputation de la personne qui fait l’objet du propos[150].

[144] La tâche de trouver un équilibre entre ces droits revient donc au juge qui entend la preuve du contexte dans lequel les allégations d’atteintes à la réputation et au droit à la vie privée se présentent.

[146] Étant donné que la diffamation invoquée dans notre dossier se passe sur un blogue, il est pertinent de rappeler que la Cour suprême a bien campé l’interaction entre le droit à la réputation et la liberté d’expression dans un tel contexte dans l’arrêt Crookes c. Newton[153] :

« Le problème qui se pose, du point de vue du droit relatif à la diffamation, est donc de savoir comment protéger la réputation sans détruire le potentiel de l’Internet en tant qu’espace de débat public. »[154]

[147]  Maintenant que l’interaction entre les divers droits est établie, encore faut-il comprendre de quoi l’on parle lorsqu’il est question de diffamation puisque contrairement à une croyance populaire, une « atteinte à la réputation » ne signifie pas nécessairement qu’il y a « diffamation ».

[182]  Lorsque les propos concernent une personne exerçant une activité publique ou ayant acquis une certaine notoriété en lien avec un sujet d’intérêt public, la diffusion d’informations portant sur les traits personnalité de cette personne et sur des éléments relevant de sa vie privée pourra être jugée non fautive dans le mesure où elle est pertinente au sujet, qu’un intérêt sérieux ou une fin légitime justifie de la rapporter publiquement[194].

[183]  Puisque Monsieur Lacerte tente de faire repousser la faute alléguée contre lui en plaidant que l’ensemble des propos qu’on lui reproche vise les demandeurs Michael Rosenberg et Alex Werzberger dans la portion publique de leur personne, qu’ils concernent des sujets d’intérêt public et qu’il existe une raison valable de discuter de ceux-ci sur son blogue ou dans les médias[195], il faut définir ce que constitue un sujet d’intérêt public afin d’apprécier les tenants et aboutissants de ses moyens de défense.

[184] Dans Torstar[196]la Cour suprême explique ce que constitue un sujet d’intérêt public :

« [105] Pour être d’intérêt public, une question [TRADUCTION] « doit être soit de celles qui éveillent l’attention publique de façon démontrableou qui préoccupent sensiblement le public parce qu’elles concernent le bien-être de citoyens, soit celles qui jouissent d’une notoriété publique considérable ou qui ont créé une controverse importante ». La jurisprudence relative au commentaire loyal [TRADUCTION]« fourmille d’exemples où le moyen de défense fond; sur le commentaire loyal a été accueilli à l’égard de sujets allant de la politique aux critiques de restaurants ou de livres ». L’intérêt public peut découler de la notoriété de la personne mentionnée, mais la simple curiosité ou l’intérêt malsain sont insuffisants. Il faut que certains segments de la population aient un intérêt véritable à être au courant du sujet du matériel diffusé. (référence omise) » (nos soulignements)

[106] L’intérêt public n’est pas confiné aux publications portant sur les questions gouvernementales et politiques, comme c’est le cas en Australie et en Nouvelle-Zélande. Il n’est pas nécessaire non plus que le demandeur soit un « personnage public » comme l’exige la jurisprudence américaine depuis Sullivan. Dans ces deux cas, l’intérêt public est défini de façon trop étroite. Le public a véritablement intérêt à être au courant d’un grand éventail de sujets concernant tout autant la science et les arts que l’environnement, la religion et la moralité. L’intérêt démocratique pour que se tiennent des débats publics sur une gamme de sujets de cette ampleur doit se traduire dans la jurisprudence.

[185]  Il n’est pas nécessaire que le sujet intéresse tout un chacun généralement; il suffit qu’une partie de la population ait un intérêt véritable à recevoir l’information se rapportant au propos en cause pour que le sujet puisse entrer dans la définition de ce qu’est un sujet d’intérêt public[198].

[186] La religion est sans contredit un sujet d’intérêt public. Le juge Hilton l’a reconnu en écrivant qu’elle suscite les passions en décidant du recours de Michael Rosenberg, d’Alex Werzberger et de d’autres membres de leur communauté portant sur l’érouv à Outremont[199].

[191]  En résumé, si l’information ou l’image diffusée est socialement utile, il y aura généralement préséance de la liberté d’expression sur le droit de la personne à la vie privée et la protection de sa réputation[206], l’idée étant que le droit de s’exprimer et de se montrer critique sur des questions d’intérêt public fait partie intégrante de la liberté d’expression et que les tribunaux accordent dans un tel cas préséance aux droits bénéficiant à la collectivité plutôt qu’aux droits individuels.

[216] En ce qui a trait aux dommages moraux accordés à la suite d’une atteinte à la vie privée causée par la diffusion d’une photo non autorisée, la Cour suprême a déjà pris en considération qu’une photo avait été diffusée pour des fins lucratives. Nous comprenons que l’avantage pécuniaire retiré par la commission d’une telle faute est un élément pertinent de l’évaluation du quantum pour une atteinte de cette nature[235]

  1.   La décision sur le recours en diffamation

6.1       L’analyse des propos

[259] Les commentaires éditoriaux et l’opinion qu’émet le défendeur sur les motivations sous-jacentes susceptibles d’expliquer pourquoi les autorités font preuve de laxisme se distinguent des faits énoncés. Le citoyen ordinaire est en mesure de conclure qu’il s’agit de l’opinion du défendeur, qu’il peut choisir de partager ou de rejeter.

[260] Il ne nous revient pas de décider s’il a raison de soutenir cette thèse ou s’il a tort. Cependant, nous ne pouvons ignorer que 38 citoyens ont signé la demande de destitution, qu’elle comporte une section sur le sujet du stationnement, que le dossier a été discuté à quelques reprises lors des assemblées du Conseil, que les médias s’intéressent à ce sujet[271], que l’émission de billets « de courtoisie » en faveur des hassidiques d’Outremont a été discutée par la juge Sophie Beauchemin dans l’un de ses jugements[272], ni que le préambule de la Charte des droits et libertés de la personne édicte que la loi doit s’appliquer à tous également. Cela nous incite à conclure que le sujet en est un d’intérêt public qui peut valablement être discuté sur un blogue de la nature de celui en cause car il intéresse à tout le moins une partie de la population : les citoyens d’Outremont et du Plateau Mont-Royal. Le défendeur nous a convaincu de la sincérité de l’objectif visé par ses propos ainsi que du fait que les photos des Rosenberg sont pertinentes et n’ont pas été obtenues en violation de leur droit à la vie privée[273].

[388] Maintenant, il est clair que le défendeur a cherché à diffuser ses propos par l’utilisation d’Internet. Il a aussi publié des articles dans la presse écrite. Toutefois, les demandeurs n’ont pas présenté de preuve concrète que lesdits propos ont été vus par des tiers. Les demandeurs ont bien déclaré que des personnes leur avaient parlé des chroniques ou qu’ils en avaient mandaté certaines pour surveiller le blogue de temps en temps mais personne n’est venu confirmer que le mandat de surveillance a été exécuté, qu’ils ont vu l’un ou l’autre des propos reprochés, ni ce qu’ils en ont pensé. Il ne nous reste que du ouï-dire et de l’imprécision, ce qui ne nous permet pas d’apprécier les éléments requis pour donner gain de cause aux demandeurs.

[389] Quant au contenu, à la manière de faire et les objectifs recherchés par la diffusion des propos, nous sommes d’opinion qu’une personne raisonnable qui lit les chroniques peut qualifier la démarche d’enquête à l’origine des propos de diligente, qu’elle peut conclure que les sources d’information du défendeur sont valables puisqu’elles reposent sur des observations qu’il a faites sur la rue, sur des documents provenant de sources gouvernementales telles l’Ombudsman et la Ville d’Outremont, sur des articles de la presse écrite ou des reportages diffusés dans les médias et que l’information utilisée n’a pas été obtenue en violation de la vie privée des demandeurs ni à la suite de harcèlement à leur endroit.[417]

[390] Cette personne raisonnable peut aisément conclure que les faits exposés dans les chroniques sont véridiques, que les opinions et critiques sont raisonnables à la lumière des faits dont le défendeur fait état, qu’il n’y a pas d’insinuations désobligeantes. Contrairement à ce qui était le cas dans Lafferty et qui avait contribué à la reconnaissance d’une faute, il n’y a pas ici de « faiblesse du cheminement intellectuel » de la part du défendeur Lacerte[418].

[394] La personne raisonnable est en mesure de comprendre que les dossiers de destitution sont des dossiers portant sur un sujet d’intérêt public et délicat et que c'est la portion publique de la personne de Monsieur Rosenberg et du demandeur Werzberger que le défendeur critique dans ses chroniques. Le fait pour une personne d’occuper une fonction au sein d’un comité municipal et de représenter les intérêts d’un groupe peut justifier que son comportement soit remis en cause à un moment ou à un autre. Ceux qui veulent demeurer dans l’anonymat restent sagement chez eux et ont moins de chances d’être critiqués, mais ceux qui acceptent de se prêter au jeu des entrevues médiatiques au nom d’un groupe en s’affichant publiquement afin de faire la promotion de celui-ci ne peuvent par la suite tenter de se retrancher derrière le droit à la vie privée pour faire échec aux critiques que leur conduite peut susciter sur la place publique.

[395] C’est précisément le cas des demandeurs Michael Rosenberg et Alex Werzberger qui portent plusieurs chapeaux dans cette histoire : ils sont tous deux de fervents promoteurs des intérêts de la communauté hassidique par leur implication comme membre du JOCC, de la COHO et de bien d’autres comités, mais aussi par leur participation à un comité municipal chacun où ils ont l’opportunité de faire valoir les intérêts de leur groupe, soit la CCPRI et le CCU.

[396] Quant à Alex Werzberger, s’ajoute à cela le rôle de porte-parole régulier de la communauté hassidique.

[402] Le choix de mots, d’expressions et d’images du défendeur peut piquer, choquer et ses propos peuvent bien être considérés comme vigoureux, agressifs, son vocabulaire, en général recherché, peut parfois être considéré comme audacieux et son propos s’approcher à certains moments de la limite acceptable, mais nous sommes d’opinion que cette limite n’a pas été franchie dans le contexte particulier de ce dossier, de sorte que le comportement qui nous a été soumis ne mérite pas d’être sanctionné[424].

[403] Contrairement à leur prétention, les propos du défendeur ne constituent pas un appel à la violence, à la haine ni à la vengeance, mais plutôt un appel à la mobilisation politique afin de faire bouger les politiciens et à informer ceux qui siègent sur les mêmes comités que les demandeurs sur les faits pertinents à leur décision à savoir si les demandeurs devraient continuer de siéger sur les comités en cause dans ce dossier[425].

[408]  Nous sommes d’avis que Martin ne peut invoquer que les propos sur la communauté hassidique le visent personnellement car il est l’un des dirigeants de cette communauté lorsqu’il est temps d’obtenir des dommages et par la suite se cacher derrière la protection offerte par le droit à la vie privée lorsque vient le temps de contester la diffusion de propos qui concernent ces mêmes dirigeants, surtout si le sujet de ces propos en est un d’intérêt public. Il en va de même du fait de se plaindre que la personne que l’on a poursuivie en justice disserte publiquement sur les procédures judiciaires qu’on lui a signifiées ou sur les jugements rendus à la suite de ces procédures.

[409] Le demandeur Rosenberg père et Monsieur Werzberger sont des personnages publics qui ne sont pas à l’abri de commentaires, remarques, ironie, humour et figures de style qui sont en l’espèce protégés par la liberté d’expression[427]. Un équilibre doit exister entre le droit à la réputation et la liberté d’expression et « Il ne faut pas que la première (protection de la réputation) ne serve de prétexte pour hypothéquer la seconde (liberté d’expression). », comme l’a si bien exprimé le juge Yergeau dans la décision Lapierre[428].

[413]  Même si les demandeurs avaient réussi à prouver que le comportement du défendeur était fautif, nous aurions quand même dû rejeter leur recours car aucun d’entre eux n'a démontré avoir subi de dommage concret à la suite d’une atteinte à sa réputation.

[469] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[470] REJETTE la requête introductive d’instance des demandeurs;

[471]     REJETTE la demande reconventionnelle du défendeur;

[472]     Chaque partie payant ses frais, compte tenu des circonstances.


Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 14 h 52 min.