Extraits pertinents :

[1] Le demandeur, Nicolas Langlois, réclame aux défendeurs, les frères Sébastien et Frédéric Pilote, une somme de 15 000,00 $ (soit 10 000,00 $ de dommages-intérêts compensatoires et 5 000,00 $ de dommages-intérêts punitifs) pour atteinte à son intégrité physique survenue à l’occasion d’une violation de domicile.

[3] Vers 23h00, monsieur Sébastien Pilote, l’ex-conjoint de madame Blais, sonne à la porte de l’immeuble. Même s’il est au courant qu’elle fréquente monsieur Langlois, il souhaite la voir, prétendant qu’il a rendez-vous avec elle.

[4] Arrivé au palier de l’appartement, il constate qu’elle n’est pas seule. Il s’emporte et menace monsieur Langlois de le « sortir de là ». Le ton employé est à ce point élevé qu’un voisin doit intervenir pour faire cesser le vacarme.

[14]  « Je suis parti sur un coup de tête », avoue Frédéric Pilote, reconnaissant qu’il eut été préférable, dans les circonstances, « d’appeler la police ».

[15]  Les minutes qui suivent sont angoissantes pour monsieur Langlois et sa « nouvelle blonde » : « On était sur le nerf ben raide », dit-il.

[19]   Sébastien Pilote parvient à se hisser, en s’agrippant aux balcons extérieurs de l’immeuble, jusqu’à la porte patio, afin de s’introduire de force à l’intérieur de l’appartement.

[20]  « Je ne savais pas quoi faire », affirme monsieur Langlois, qui, dans la bousculade, est entraîné dans la salle de bain.

[21] Pendant ce temps, Frédéric Pilote, gagne l’appartement par la cage des escaliers. Il prétend que « c’est le gars du journal » qui lui aurait ouvert la porte de l’immeuble.

[25]  Le rôle de Sébastien Pilote ne s’est manifestement pas arrêté là : « Quand Frédéric est rentré, j’ai donné des coups de poing », reconnaît-il, ce que madame Blais confirme, ajoutant que Frédéric tenait alors Langlois pour l’empêcher de se défendre.

[27] Les deux frères se sauvent avant l’arrivée de la police. Après leur départ, monsieur Langlois constate que ses clés de voiture sont disparues. Sébastien Pilote les remettra plus tard à la police.

[30]  Le couple fait ensuite une déposition aux policiers. Il semble que des photos du visage tuméfié de monsieur Langlois aient été prises à cette occasion, mais elles n’ont pas été produites en preuve.

[34]  Des accusations criminelles sont subséquemment portées contre les deux défendeurs.

[48]  Le procureur de Nicolas Langlois plaide que son client a été victime d’une atteinte à son intégrité physique commise, par surcroît, à la suite d’une violation de domicile. Il s’agit d’une atteinte injustifiée aux droits fondamentaux de la personne qui commande une réparation en raison du préjudice qu’elle a entraînée.

[49]  En outre, la violence de l’agression doit être condamnée et appelle à servir une leçon sous forme de dommages-intérêts punitifs.

ANALYSE ET DÉCISION       

[66] Le procureur de Monsieur Langlois soutient que les conditions dans lesquelles l’agression physique a été commise par les défendeurs mettent également en jeu les articles 7 et 8 de la Charte québécoise :

7. La demeure est inviolable.

8. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite.

[78] Ainsi, la Cour d’appel reproche au Tribunal des droits de la personne le « recours à un procédé d’interprétation inapproprié lorsqu’une interprétation large et libérale s’impose, en s'en tenant strictement au texte de la disposition sans s'interroger autrement sur l'intention du législateur ».[14]  

[79] Il importe donc de ne pas s’en tenir strictement au texte d’une disposition de la Charte et de s’interroger plutôt sur la finalité que cherche à atteindre le législateur.

[80]  Ceci dit, sans nier que les articles 7 et 8 aient une portée autonome – qui permet de protéger des intérêts liés à la propriété[15] – ils sont aussi considérés comme des illustrations d’atteintes au droit au respect de la vie privée protégé par l’article 5 de la Charte.

[81]  C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en arrive la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Syndicat des professionnelles du Centre jeunesse de Québec (CSN) c. Desnoyers[16] :

Le droit à la vie privée est protégé notamment par les articles 57 et 8 de la Charte québécoise.  Les articles 7 et 8 protègent la demeure et la propriété contre l'intrusion.  L'article 5 formule de façon générale le droit au respect de la vie privée. Henri Brun et Guy Tremblay écrivent à ce sujet, précité, p. 1077:

Le droit à la vie privée de l'article 5, autrement dit, assure à chaque individu un halo d'intimité capable de résister à l'intrusion d'autrui, État ou individu.  Ce halo, quelque peu diffus, inclut au premier chef le corps et l'esprit de la personne, mais il s'étend jusqu'à l'habitat, en passant par le nom, l'image, la voix et, dans une mesure certaine, les mœurs de la personne.  Son étanchéité dépendra du caractère plus ou moins privé ou public de la personne et de la situation plus ou moins centrale ou périphérique de l'élément d'intimité dont il s'agit.

[82] En somme, « l’on peut prendre pour acquis que toute intrusion dans un domicile ou une résidence, d’origine privée ou publique, porte a priori atteinte à l’article 8, de même qu’aux articles 5 et 7 ».[18]

[83] En l’espèce, le droit à l’intimité de monsieur Langlois a été bafoué par l’intrusion des défendeurs dans l’appartement de madame Blais, un lieu où elle et lui avaient, dans le contexte, une très grande expectative de vie privée.

[84]  D’ailleurs, un lieu ou « [u]ne maison d’habitation constitue sans doute l’endroit où l’attente raisonnable d’une personne en matière de vie privée est la plus élevée »[19], « l’expectative légitime de vie privée à domicile étant à son summum »[20]:

Il n'existe aucun endroit au monde où une personne possède une attente plus grande en matière de vie privée que dans sa « maison d'habitation ».[21]

[98] S’introduire sans droit dans un lieu privé et s’attaquer physiquement, avec violence et par la force du nombre, à un être humain dans le dessein de le « défigurer » est une conduite ignoble tout simplement irréconciliable avec les valeurs démocratiques, l’ordre public et le bien-être général des citoyens du Québec.

[99] L’article 49 de la Charte québécoise confère à la victime d’une atteinte injustifiée à ses droits fondamentaux une voie de réparation que le législateur énonce en ces termes :

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charteconfère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

Dommages-intérêts punitifs.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[100] Même si le libellé de cette disposition ne cible pas précisément le « préjudice corporel » – contrairement au Code civil du Québec – il est acquis que la notion de « préjudice moral » de la Charte est suffisamment large pour intégrer le « préjudice corporel ».[23]

[106] En somme, toute la preuve du préjudice qu’il allègue avoir subi repose essentiellement sur son témoignage, corroboré en bonne partie par celui de madame Blais.

[107] Si les défendeurs l’ont dépeint comme une personne arrogante qui a pu se complaire à les narguer, l’homme qui a témoigné devant le Tribunal est apparu fragilisé et fortement perturbé par ces événements qu’il a décrits avec émotion et de manière crédible.

[115] Ceci dit, eu égard à la preuve disponible et aux précédents qui reposent sur des faits comparables à ceux en cause en l’espèce, le Tribunal évalue à 4000,00 $ le préjudice moral subi par monsieur Langlois aux termes de l’article 49 de la Charte québécoise.

  1. Les dommages-intérêts punitifs  

[126] De l’avis du Tribunal, les faits de la présente affaire justifient pleinement une condamnation à verser des dommages-intérêts punitifs.

[127] La personne raisonnable n’entre pas de force dans un lieu d’habitation privé pour y agresser physiquement, avec la participation active d’un complice, l’un des occupants parce qu’elle sait ou devrait savoir qu’il est « extrêmement probable » qu’une telle action concertée peut entraîner, chez l’individu qui la subit, un préjudice important. En ce sens, l’atteinte à l’intégrité de monsieur Langlois commise par les frères Pilote était clairement « intentionnelle ».

[132] À la lumière de l’ensemble des faits et des facteurs pertinents, le Tribunal fixe à 1 000,00$ le montant des dommages-intérêts punitifs que chacun des défendeurs devra verser à monsieur Langlois.

[133] Une telle condamnation paraît à la fois juste et proportionnée pour marquer la réprobation du Tribunal à l’égard de la conduite des défendeurs, prévenir une éventuelle récidive de leur part et dissuader toute autre personne d’agir comme ils l’ont fait la nuit du 16 juillet 2011.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : 

ACCUEILLE en partie la demande;

CONDAMNE solidairement les défendeurs, Sébastien Pilote et Frédéric Pilote, à payer au demandeur, Nicolas Langlois, la somme de 3 000,00 $ en dommages-intérêts compensatoires, avec intérêts calculés au taux légal annuel de 5% majoré de l’indemnité additionnelle visée par l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 15 juillet 2014;

CONDAMNE le défendeur, Sébastien Pilote, à payer au demandeur, Nicolas Langlois, la somme de 1 000,00 $ en dommages-intérêts punitifs, avec intérêts calculés au taux légal annuel de 5% majoré de l’indemnité additionnelle visée par l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date du présent jugement;

CONDAMNE le défendeur, Frédéric Pilote, à payer au demandeur, Nicolas Langlois, la somme de 1 000,00 $ en dommages-intérêts punitifs, avec intérêts calculés au taux légal annuel de 5% majoré de l’indemnité additionnelle visée par l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter de la date du présent jugement;

LE TOUT, avec les frais de justice.


Dernière modification : le 29 décembre 2017 à 13 h 25 min.