Extraits pertinents :

[1] La demanderesse, madame Yamina Bouchamma, est propriétaire d'un immeuble au 2821, du Général-Tremblay à Québec où monsieur André Laperrière est locataire d'une chambre. Elle réclame à ce dernier la somme de 18 000 $, soit 8 000 $ pour intrusion dans sa vie privée, 5 000 $ à titre de dommages exemplaires pour la violation de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q. c. C-12) et 5 000 $ pour recouvrer les honoraires professionnels versés à ses procureurs.

[4] La demanderesse a fait des tentatives infructueuses pour reprendre la chambre occupée par le défendeur pour y loger sa fille, madame Sumaïa Boubou.

[5] Un soir, le défendeur reçoit la visite d'un de ses voisins qui lui fait écouter une conversation qu'il intercepte par son casque d'écoute en provenance du logement de la demanderesse. Le défendeur constate rapidement qu'elle parle des locataires de son immeuble et demande donc à son co-locataire de l'enregistrer.

[6] Cette conversation étant en partie en langue étrangère, madame Amina Mansouri fut appelée à l'écouter pour traduire verbalement le contenu concernant le défendeur. Elle affirme n'avoir jamais parlé du contenu à qui que ce soit et avoir interrompu son écoute quand elle a constaté que cela ne concernait plus les locataires de l'immeuble, mais devenait une conversation purement personnelle. Madame Mansouri n'a pas diffusé le contenu de celle-ci au sein de la communauté marocaine de Québec; de plus, elle déclare ne pas connaître la demanderesse.

Deuxième question :

Le défendeur a-t-il porté atteinte de façon illicite à la vie privée de la demanderesse en interceptant et enregistrant la conversation téléphonique de la demanderesse avec un tiers où l'on parle notamment de lui ?

[13] Dans le présent dossier, la demanderesse invoque que le défendeur a posé des gestes portant atteinte à sa vie privée en interceptant et en enregistrant une conversation téléphonique privée qu'elle tenait à partir de sa résidence.

[16] La réclamation de la demanderesse est fondée sur l'article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q. c, C-12) :

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charteconfère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[17] Le droit auquel elle prétend atteinte est formulé à l'article 5 qui se lit comme suit :

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

[18] Les fondements juridiques de sa réclamation sont également contenus aux articles 335 et 36 du Code civil du Québec qui édictent ce qui suit :

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Ces droits sont incessibles.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants :

1o Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;

2o Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;

3o Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;

4o Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

5o Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;

6o Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.

[20] Il est vrai que l'utilisation d'un téléphone sans fil tout comme d'un téléphone cellulaire n'assure pas une complète confidentialité à la conversation. Cependant, dans l'objectif de déterminer s'il y a atteinte illicite à un droit protégé par la Charte, le Tribunal se rallie facilement à l'opinion de la Cour d'appel quand elle écrit : « en l'espèce, madame Houle utilisait son téléphone sans fil à partir de sa résidence privée en-dehors des heures normales de bureau, et il est clair qu'elle pouvait raisonnablement s'attendre à ce que ses conversations restent privées et ne soient entendues que par son interlocuteur, quel qu'il soit. Ses communications téléphoniques ont été enregistrées à son insu par un tiers qui n'était pas partie à la conversation, … »[1].

[21]  L'interception et l'enregistrement par le défendeur d'une conversation téléphonique menée par la demanderesse est donc une intrusion illicite dans la vie privée de cette dernière[2].

[25] Dans notre cas, l'écoute reprochée ne résulte pas d'une opération planifiée et malicieuse. Le hasard a fait que monsieur Pierre-Luc Breton, co-locataire, entende dans son casque d'écoute, la conversation de la demanderesse. Il signale ce fait au défendeur qui, constatant qu'on parle de lui, et qu'il est en litige avec la demanderesse, manifeste un intérêt au contenu de la conversation et également à son enregistrement.

[27] Une seule conversation a été interceptée et enregistrée. Le défendeur n'a pas conservé d'enregistrement de celle-ci, sauf pour s'en faire traduire des parties pour bien la comprendre. Aucune diffusion du contenu de la conversation n'a été faite. Cependant, le défendeur l'a utilisée pour créer une pression additionnelle sur la demanderesse lors des auditions devant la Régie du logement. C'est à la suite d'une erreur que la demanderesse a été mise au fait de l'enregistrement de sa conversation téléphonique.

[36] L'atteinte à sa vie privée a été connue par la demanderesse qu'en mars ou avril 2008. Quant au harcèlement ou l'attitude conflictuelle du défendeur, elle remonte à l'automne 2007 et s'étend ainsi sur près de deux ans. Trois événements ou groupe d'événements ont été démontrés avec précision, soit l'interception de la conversation téléphonique, l'épisode du paiement du loyer et les gestes imposant la présence du défendeur auprès de la demanderesse. Ces fautes entraînent une perte de jouissance de sa propriété pour la demanderesse et la mise en péril de sa vie privée. Un malaise général pouvant originer d'autres sources, telles que déjà analysées a été ressenti par la demanderesse de façon indéniable. Une somme de 1 000 $ sera donc octroyée à la demanderesse pour la compenser pour le dommage résultant de l'atteinte à sa vie privée et à l'attitude conflictuelle maintenue par le défendeur à son égard.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE partiellement la réclamation de la demanderesse;

CONDAMNE le défendeur, monsieur André Laperrière, à payer à la demanderesse, madame Yamina Bouchamma, la somme de 1 525 $ avec intérêt au taux légal de 5 %, plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du présent jugement;

CONDAMNE le défendeur aux frais judiciaires.

 


Dernière modification : le 16 novembre 2017 à 19 h 55 min.