Extraits pertinents : 

La Cour, statuant sur le pourvoi de l'appelant, le Syndicat des travailleurs(euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (CSN), contre un jugement de la Cour supérieure prononcé à Joliette, le 16 août 1995, par l'honorable Rodolphe Bilodeau, qui rejetait alors une demande de révision judiciaire d'une sentence arbitrale rendue par l'intimé, Me Gilles Trudeau, confirmant le congédiement de monsieur Sylvain Breault par la mise en cause Bridgestone/Firestone Canada Inc.,

Pour les motifs exposés dans les opinions des juges LeBel et Baudouin, déposées avec le présent arrêt, auxquels souscrit la juge Thibault:

REJETTE le pourvoi avec dépens.

En juin 1994, le plaignant, Sylvain Breault, travaillait dans une usine de l'intimée Bridgestone, à Joliette, depuis environ quinze ans.  Âgé de trente-cinq ans, il était affecté à différentes machines, dans cet établissement de fabrication de pneus.  Le 18 juin 1994, il mit le pied sur des granules de verre répandus sur le sol et tomba sur le côté gauche.  En se relevant, il ressentit une douleur au côté, au niveau du bassin et du coude.  Il avertit son superviseur de cette chute et retourna auprès de sa machine. Sa douleur devint alors plus intense, à la fois dans la fesse gauche et à la hanche.  Il informa donc son supérieur qu'il lui fallait se rendre à l'hôpital et remplit le formulaire administratif pertinent.

Breault se rendit alors dans une clinique médicale, où il consulta le docteur Thisdale.  Les notes manuscrites de ce médecin indiquent que le salarié se déplaçait en boitant et qu'il présentait des signes de contusions au thorax et à la poitrine.  Le docteur Thisdale remit à l'employé une attestation d'arrêt de travail et refusa l'assignation temporaire proposée par le superviseur à celui-ci avant son départ de l'usine.  À ce sujet, le salarié a affirmé devant l'arbitre avoir dit à son médecin qu'il ignorait la nature de l'assignation proposée et qu'il redoutait qu'elle implique des rotations du tronc.  Par la suite, il revit le docteur Thisdale environ six fois, jusqu'à son retour au travail.  Le médecin fixa éventuellement ce dernier au 8 août 1994.

Après cette rencontre et après avoir discuté du dossier du salarié avec d'autres collègues du secteur de la santé et de la sécurité du travail, l'infirmière décida de renvoyer le cas à un médecin désigné par la compagnie, le docteur Giasson, en vertu des articles 209 et suivants de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.A.T.M.P.) (L.R.Q., c. A-3.001).  Selon la mise en cause, le diagnostic erroné du docteur Thisdale et les contradictions relevées par l'infirmière dans le comportement du salarié, qui semblait très souffrant, tout en se déclarant incapable de situer ses douleurs à des points précis, expliquait sa décision de consulter le docteur Giasson.

Pour les mêmes raisons, la compagnie décida que le salarié serait soumis à une filature privée.  Toutefois, il ne s'agissait pas d'une filature continue.  En effet, le salarié fut suivi et filmé par un enquêteur privé à des jours précis, les 22 juin, 15 juillet et 3 août 1994.  Pendant ces journées, l'enquêteur surveillait les allées et venues du salarié, à partir d'une automobile qu'il stationnait sur la voie publique, près de sa résidence.  Lorsque l'employé se déplaçait en auto, l'enquêteur le suivait.

Le 15 juillet 1994, survint une deuxième filature, où l'enquêteur filma de sa voiture le plaignant en train de faire des courses en transportant une chaudière de poids moyen, qui contenait vraisemblablement du chlore de piscine.  Dans une autre séquence de la bande, d'après l'arbitre, on voit le plaignant aller chercher son fils à la garderie et faire une course avec lui, en courant à petits pas, sur une courte distance.  Après examen de la bande vidéo, l'arbitre affirme que le plaignant ne présente aucun signe évident de douleurs ou de raideurs lombaires "notamment en montant dans sa voiture, ce qu'il fait d'ailleurs spontanément, sans aucune hésitation" (m.a., p. 82).

Une troisième filature eut lieu le 3 août 1994.  Durant cette dernière, l'enquêteur filma Breault alors qu'il se trouvait sur sa pelouse, à l'avant de sa résidence.  L'enquêteur était alors installé dans son automobile, sur la voie publique, à quelques dizaines de pieds de la maison de l'employé.  Après avoir visionné la bande vidéo, l'arbitre se déclara frappé de voir Breault enlever des mauvaises herbes pendant une trentaine de minutes, sans apparence de douleur ou d'inconfort, penché à 90 degrés ou en position accroupie, et en se relevant souvent en position verticale, sans aucune hésitation (voir m.a., p. 84).

Bridgestone décida de congédier Breault le 10 août 1994.  Dans la lettre de congédiement, la compagnie justifie sa décision par la faute très grave commise par le plaignant, qui aurait menti à plusieurs reprises pour prolonger un congé, faute qui entraînait une perte de confiance irrémédiable et justifiait le renvoi.

Dans un deuxième temps, toutefois, l'arbitre rejeta une objection du Syndicat à la mise en preuve des bandes vidéo filmées par l'employeur.  Cette objection était fondée principalement sur la nécessité du respect de la vie privée du salarié en vertu de l'article 5 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12,  et des articles 335 et 36 du Code civil du Québec.  Le Syndicat soutenait que la filature et la prise des vidéos avaient porté une atteinte grave à la vie privée du salarié et qu'en conséquence, les bandes vidéo étaient inadmissibles en vertu de l'article 2858 C.c.Q., puisque leur réception en preuve déconsidérerait l'administration de la justice.  L'arbitre se considérait comme un tribunal spécialisé lié par ces dispositions.

Cependant, avant même d'appliquer l'article 2858 C.c.Q., l'arbitre devait décider si la filature et la prise des bandes vidéo comportaient une violation d'un droit fondamental de l'appelant.  Ce n'était que dans l'affirmative qu'il lui faudrait examiner l'application de l'article 2858 C.c.Q.

Dans sa sentence, l'arbitre reconnut que, bien qu'il soit garanti tant en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés que des dispositions pertinentes du Code civil, le droit à la vie privée ne représente pas un absolu, mais qu'il faut examiner l'ensemble des circonstances et, entre autres, explorer la notion de lieu privé, qu'il déclare central, avant de conclure qu'il a été violé.  Comme il existait alors peu de décisions en vertu de la Charte québécoise, l'arbitre a utilisé les tests élaborés par la Cour suprême du Canada en vertu de l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, au sujet du droit à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives.  Il s'est interrogé sur les limites de l'attente raisonnable de protection de la vie privée dans les lieux où ont eu lieu les filatures (voir sentence arbitrale, p. 27):

Cependant, l'arbitre s'est mis en garde contre l'application intégrale, sans nuances, des principes de la Charte canadienne dans une affaire de droit privé.  Il réitèra alors que les articles 35 et 36 C.c.Q. ne protègent pas le droit à la vie privée de façon absolue, mais qu'on doit leur donner une interprétation contextuelle, dans le cadre de l'emploi rempli par le salarié:

Selon l'arbitre, les bandes vidéo prises à l'insu du plaignant, lorsqu'il déambulait dans la rue, dans un stationnement d'un centre commercial ou travaillait sur sa pelouse, à l'avant de sa résidence, à partir de la voiture de l'enquêteur, n'auraient pas été enregistrées alors qu'il se trouvait dans des lieux privés:

Le Syndicat attaqua ensuite  la  sentence  arbitrale devant la Cour supérieure, pour le motif principal de l'inadmissibilité en preuve des bandes vidéo, en raison de la protection accordée au droit à la vie privée dans la Charte québécoise et le Code civil du Québec.  En conséquence, toute la procédure serait viciée par l'introduction de cette preuve illégale.  L'arbitre aurait alors mal apprécié l'ensemble de la preuve et rendu une ordonnance qui constituait un véritable déni de justice à l'égard du salarié.

Le jugement de la Cour supérieure retient que l'arbitre aurait accepté la présentation d'une preuve constituée contrairement aux dispositions des chartes quant au respect de la vie privée.  Le premier juge opine toutefois qu'on doit distinguer entre une preuve acquise prétendument à l'encontre du respect à la vie privée et le droit d'intervenir dans des limites raisonnables, lorsqu'un salarié a renoncé à certains droits quant au respect à la vie privée.  Selon lui, la prise des photos et des vidéos dans des conditions et situations qualifiées de normales, eu égard aux prétentions de l'employé, ne constituerait pas un abus de droit.  En présentant une réclamation à la suite d'un accident du travail, le salarié aurait implicitement renoncé à la protection de sa vie privée contre une enquête raisonnable:

Si l'employé prétend s'être blessé et n'être plus capable d'effectuer aucun travail pour son employeur et ainsi pouvoir bénéficier d'indemnité prévue pour les travailleurs blessés qui ont réellement besoin de ce secours, il renonce aussi à son droit de limiter l'enquête qui pourra être faite dans des normes raisonnables.  Les chartes des droits ont été écrites pour protéger les droits des personnes et non pour protéger les droits des personnes et non pour être complices de leur tromperie. (m.a., p. 68)

Selon le premier juge, l'arbitre n'aurait commis aucune erreur déraisonnable et les règles applicables au contrôle judiciaire interdisaient alors l'intervention de la Cour supérieure.  En conséquence, il rejeta la demande de révision judiciaire.

LA RÉCEPTION EN PREUVE DES BANDES VIDÉO ET DE LA SURVEILLANCE DU SALARIÉ

Le moyen principal du Syndicat, depuis le début de ce débat judiciaire, remet en cause, comme on l'a vu, la décision de l'arbitre de recevoir en preuve le produit des bandes vidéo de la filature du salarié.  Cette seule erreur serait d'une gravité telle qu'elle rendrait la décision arbitrale déraisonnable et justifierait l'intervention de la Cour, à tout le moins pour casser la sentence arbitrale et renvoyer l'affaire à un autre arbitre.

Les parties ont eu tendance à centrer leur analyse sur le problème des bandes vidéo, ce qui tendrait à réduire le débat principalement à une question de captation illicite d'images.  L'examen du pourvoi exige toutefois que l'on cerne, de façon plus précise, la nature et les limites du problème juridique porté devant notre Cour, à l'occasion de ce pourvoi.

L'application directe de la Charte canadienne étant écartée à la date où sont survenus les événements, les dispositions de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et du Code civil du Québec sur les droits fondamentaux de la personne définissent le cadre juridique à partir duquel s'appréciera la légalité des décisions prises par l'employeur et de leur exécution.  Les dispositions du Code civil du Québec sur le contrat de travail fournissent aussi des sources supplétives pour apprécier la nature des obligations respectives des parties dans le cadre de cette relation d'emploi.  L'article 5 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne(L.R.Q., c.-12) reconnaît le droit au respect de la vie privée:

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

Selon l'article 9.1, ce droit s'exerce "dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec".

L'article 46 de cette Charte reconnaît le droit à des conditions de travail justes et raisonnables:

46. Toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.

Le Code civil du Québec, qui, en liaison avec la Charte, d'après sa disposition préliminaire, établit le droit commun dans les domaines de la compétence législative de la législature du Québec, protège, de façon plus explicite, la vie privée et un certain nombre de ses composantes.  L'article 3 C.c.Q. reconnaît ainsi toute personne comme titulaire d'un certain nombre de droits fondamentaux, dont celui à la vie privée:

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Le chapitre troisième du Titre deuxième du Livre premier du Code civil du Québec consacré aux personne porte entièrement sur le respect de la réputation et de la vie privée.  L'article 35 réitère le droit de toute personne au respect de la vie privée, interdisant que toute atteinte y soit portée, sauf avec le consentement de l'intéressé:

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l'autorise.

L'article 36 C.c.Q identifie certaines atteintes à la vie privée.  On remarquera notamment, parmi celles-ci, la captation et l'utilisation de l'image d'une personne se trouvant dans des lieux privés (3°) et la surveillance de la vie privée (4°):

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:

1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;

2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;

3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;

 Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;

6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.

Par ailleurs, comme on le sait, le Code civil du Québec définit certaines obligations résultant du contrat de travail, en imposant des prestations corrélatives tant à l'employeur qu'au salarié.  Sous la direction et le contrôle de l'employeur (art. 2085 C.c.Q.), le salarié s'engage à agir avec loyauté envers son employeur (art. 2088 C.c.Q.) qui, pour sa part, est tenu de protéger sa santé et sa dignité (art. 2087 C.c.Q.).

Le problème de protection de la vie privée que l'on rencontre dans le présent dossier se situe dans le cadre du droit du travail, d'une relation d'emploi, par ailleurs régie par une convention collective conclue en vertu du Code du travail (L.R.Q., c. C-27) et, aussi, en l'espèce, par l'ensemble législatif complexe régissant les accidents du travail et maladies professionnelles.  Cependant, notre Cour n'est pas saisie de toute la question de l'existence et des limites d'une vie privée des salariés à l'intérieur de l'établissement et de celle de surveillance que peut faire l'employeur à l'intérieur de celui-ci, comme à l'entrée ou à la sortie de ses employés, au cours de l'exécution ou à l'occasion de l'exécution de leurs fonctions sur leur lieu de travail.  On examine ici un problème de licéité de surveillance, résultant certes de la relation de travail, mais exécutée hors de l'établissement, dans des périodes où le salarié n'effectuait aucun travail pour le compte de l'employeur.

Le concept de vie privée reste flou et difficile à circonscrire.  Les développements jurisprudentiels sur le sujet ne sont sans doute pas terminés.  À l'occasion de l'examen d'une affaire relative à la captation et à l'utilisation d'une image, la Cour suprême du Canada a reconnu que les intérêts de vie privée n'étaient pas sujets à une limitation géographique stricte, en ce sens qu'ils s'arrêteraient aux murs du foyer.  Ces intérêts de protection de la vie privée peuvent se maintenir avec des intensités diverses, même dans les lieux où un individu peut être vu du public (voir Éditions Vice-Versa c. Aubry, [1998] 1 R.C.S., 1996 CanLII 5770 (QC CA), [1996] R.J.Q. 2137 (C.A.); voir aussi Ville de Longueuil c. Godbout1997 CanLII 335 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 844).  Ce droit comporte des composantes telles que le droit à l'anonymat et à l'intimité, au secret et à la confidentialité, dont la fonction ultime est la préservation du droit de chaque personne à son autonomie.

À cet égard, en refusant de définir la vie privée seulement par référence à des lieux protégés et non par rapport aux personnes, la Cour suprême restait fidèle à l'orientation qu'elle s'était donnée elle-même en analysant l'article 8 de la Charte canadienne, sur les fouilles et perquisitions déraisonnables.  Dans ce contexte, la vie privée et la protection contre les fouilles et perquisitions déraisonnables ne s'arrêtaient pas aux frontières d'un lieu.  Ce droit suit plutôt la personne (voir en particulier R. c. Wise1992 CanLII 125 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 527).

Allant chercher son fils, travaillant sur son terrain ou se déplaçant dans les rues de sa ville, Breault restait tout de même dans le cadre de sa vie privée et conservait en principe le droit de ne pas être observé et suivi systématiquement.  De plus, son statut de salarié ne créait pas un rapport de hiérarchie sociale qui le soumettrait, à tous égards, au regard et au pouvoir de l'employeur, en dehors même de son travail.  La relation de travail implique, comme on peut le voir dans la rédaction de l'article 2087 C.c.Q., comme l'explicitent habituellement les clauses de droit de gérance contenues dans les conventions collectives, la reconnaissance d'un pouvoir de direction et de contrôle, justifié fonctionnellement par la nécessité d'aménager et de diriger le travail afin d'assurer la réalisation des finalités de l'entreprise (A. Lajoie, Pouvoir disciplinaire et test de dépistage de drogue en milieu de travail, Centre de recherche en droit public, Université de Montréal, Mars 1995, p. 13; P. Verge et G. Vallée, Un droit du travail: essai sur la spécificité du droit du travail, Les Éditions Yvon Blais, Cowansville, 1997, pp. 79 à 81; voir aussi D.  Mockle, "Ordre normatif interne et organisation", 1992, 33 C. de D. 961, pp. 985-986, pp. 988-989).

Une procédure de surveillance et de filature représente ainsi, à première vue, une atteinte à la vie privée.  D'ailleurs, on se rappellera qu'avant même que ne soit en vigueur des lois fondamentales, comme la Charte canadienne et la Charte québécoise, le droit civil et le droit criminel assimilaient souvent à des actes illégaux les activités de surveillance, dont le piquetage.  Par exemple, dans l'arrêt Syndicat international des communications graphiques, section locale 41-Mc. Journal de Montréal, DTE 94T-429, notre Cour assimilait un piquetage aux abords des résidences de cadres d'une entreprise à une intervention dans la vie privée de ceux-ci:[…]

Cependant, même si l'on reconnaît que la surveillance, au sens du paragraphe 36 4° C.c.Q., comporte, à première vue, une atteinte à la vie privée, cela ne signifie surtout pas que toute surveillance par l'employeur hors des lieux du travail soit illicite.  À cet égard, par analogie, on peut s'inspirer des principes qui ont gouverné les cas définis de la jurisprudence de la Cour suprême en matière de perquisitions et de fouilles, qui entend protéger chaque personne contre les atteintes déraisonnables à sa vie privée, en vertu de l'article 8 de la Charte canadienne (Southam Inc. c. Hunter1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Duarte1990 CanLII 150 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 30; R. c. Edwards, [1996] 1 R.C.S. 728).

Un avis émis par la Commission des droits de la personne du Québec, le 16 avril 1999, intitulé "Filature et surveillance des salariés absents pour raison de santé: conformité à  la Charte", identifie bien à la fois la nature et les limites du droit à la protection de la vie privée dans pareil contexte.  À ce propos, l'auteur de l'avis rappelle que le salarié ne jouit pas d'un droit absolu à la protection de sa vie privée et peut être sujet à des restrictions qualifiées de raisonnables, même hors du lieu et des heures de son travail:[…]

En substance, bien qu'elle comporte une atteinte apparente au droit à la vie privée, la surveillance à l'extérieur de l'établissement peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables, comme l'exige l'article 9.1 de la Charte québécoise.  Ainsi, il faut d'abord que l'on retrouve un lien entre la mesure prise par l'employeur et les exigences du bon fonctionnement de l'entreprise ou de l'établissement en cause (A. Lajoie, loc. cit., supra, p. 191).  Il ne saurait s'agir d'une décision purement arbitraire et appliquée au hasard.  L'employeur doit déjà posséder des motifs raisonnables avant de décider de soumettre son salarié à une surveillance.  Il ne saurait les créer a posteriori, après avoir effectué la surveillance en litige.

Au départ, on peut concéder qu'un employeur a un intérêt sérieux à s'assurer de la loyauté et de l'exécution correcte par le salarié de ses obligations, lorsque celui-ci recourt au régime de protection contre les lésions professionnelles.  Avant d'employer cette méthode, il faut cependant qu'il ait des motifs sérieux qui lui permettent de mettre en doute l'honnêteté du comportement de l'employé.

Au niveau du choix des moyens, il faut que la mesure de surveillance, notamment la filature, apparaisse comme nécessaire pour la vérification du comportement du salarié et que, par ailleurs, elle soit menée de la façon la moins intrusive possible.  Lorsque ces conditions sont réunies, l'employeur a le droit de recourir à des procédures de surveillance, qui doivent être aussi limitées que possible:

En l'espèce, comme l'a conclu l'arbitre, ces garanties fondamentales de protection de la vie privée n'étaient pas violées.  Tout d'abord, dès sa première entrevue, le comportement du salarié était suspect.  L'examen sommaire effectué par l'infirmière ne coïncidait pas avec la relation qui était faite des observations du médecin traitant, le docteur Thisdale.  Par la suite, les contradictions se maintenaient entre les examens faits par le médecin de la compagnie et le comportement allégué du salarié, dont les maux semblaient s'accentuer à chaque fois qu'il pénétrait dans le bureau de l'infirmière.  De plus, les problèmes d'accident du travail semblaient sérieux dans cet établissement de l'employeur.  Sans discuter davantage, on a rappelé qu'un autre congédiement avait dû être effectué à la même période, pour des motifs analogues.  La décision de surveiller était donc raisonnable.  Les moyens utilisés l'ont été.  Il s'est agi non pas d'une filature continue, mais de trois observations ponctuelles, limitées dans le temps, dans des lieux où le salarié se trouvait observable de façon immédiate par le public, dans des conditions qui ne portaient nullement atteinte à sa dignité.

Pour ces raisons, l'arbitre n'a commis aucune erreur en recevant en preuve les bandes vidéo.  Celles-ci constituaient un complément nécessaire des autres éléments de la preuve testimoniale et documentaire, qui établissait, à la satisfaction de l'arbitre, que le salarié avait simulé et menti systématiquement à l'infirmière et au médecin de l'employeur, pour prolonger sa période d'absence et recevoir les bénéfices afférents à celle-ci.  La décision de l'arbitre était non seulement raisonnable, mais également bien fondée.  Il n'existe aucun motif de révision judiciaire de cette sentence, quelle que soit la norme de contrôle applicable.

Pour ces motifs, je suggère de rejeter le pourvoi avec dépens.


Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 15 h 33 min.