Extraits pertinents : Une commission scolaire achète un terrain situé dans un secteur de la ville de Repentigny afin d’y construire une école. Le conseil municipal adopte un règlement qui prévoit que seuls les résidents de ce secteur assumeront l’emprunt pour payer les coûts des travaux d’infrastructures. Des contribuables, dont les appelants, intentent une action en annulation du règlement qui est accueillie par la Cour supérieure. L’intimé, alors conseiller municipal, tente, sans succès, de convaincre les autres conseillers de porter l’affaire en appel. Il décide, lors d’une séance régulière du conseil, de critiquer publiquement et durant 20 minutes l’absence de débat public sur l’opportunité de porter le jugement en appel. Les appelants, blessés par la déclaration qui, à leur avis, est truffée d’insinuations malveillantes à leur endroit et qui les font passer pour de mauvais citoyens, poursuivent l’intimé en dommages‑intérêts pour atteinte à leurs réputation, honneur et dignité. La Cour supérieure accueille la requête. La Cour d’appel casse le jugement. Les élus municipaux sont en principe régis par le droit public. Avant de conclure que l’acte individuel fautif d’un élu municipal québécois est assujetti au régime de la responsabilité civile, il faut retrouver dans le droit public une règle qui le prescrit. L’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du Code civil du Québec, et de l’art. 1376 plus particulièrement, ne permet plus de retenir la méthode prescrite par l’arrêt Laurentide Motels, dans la mesure où celle‑ci imposait au particulier l’obligation d’identifier une règle de common law publique rendant le droit privé applicable à son action en responsabilité contre l’administration publique. L’article 1376 C.c.Q., qui relève du droit public, prévoit expressément que les règles du Livre cinquième du Code civil du Québec sur les obligations « s’appliquent à l’État, ainsi qu’à ses organismes et à toute autre personne morale de droit public, sous réserve des autres règles de droit qui leur sont applicables ». Dorénavant, le régime civiliste de la responsabilité s’applique en principe à l’acte fautif de l’administration. Il revient alors à la partie qui entend se prévaloir du droit public pour éviter ou restreindre l’application du régime général de responsabilité civile de démontrer, le cas échéant, que des principes de droit public pertinents priment sur les règles du droit civil. L’application de l’art. 1376 C.c.Q. s’étend aussi aux personnes qui composent l’administration publique ou un organe de celle‑ci, dans la mesure où les actes posés se rattachent aux fonctions publiques. En l’espèce, l’intimé agissait comme membre d’une administration publique dans l’exercice de fonctions politiques importantes. La poursuite donnait donc naissance à un problème de responsabilité publique, au sens de l’art. 1376 C.c.Q. Puisque le droit civil québécois ne prévoit pas de recours particulier pour l’atteinte à la réputation, les règles générales en matière de responsabilité civile prévues à l’art. 1457 C.c.Q. s’appliquent. Dans un tel recours, le demandeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité. Pour établir l’existence d’un préjudice, le demandeur doit convaincre le juge que les propos litigieux sont diffamatoires. Des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent. La nature diffamatoire des propos s’analyse selon une norme objective. Il faut se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers. La faute en matière de diffamation peut résulter de deux types de conduite, l’une malveillante, l’autre simplement négligente. L’appréciation de la faute demeure contextuelle. Le recours en diffamation met en jeu deux valeurs fondamentales, soit la liberté d’expression et le droit à la réputation. Aussi libre qu’il soit de discuter de sujets d’intérêt public, l’élu municipal doit agir en personne raisonnable. Le caractère raisonnable de sa conduite sera souvent démontré par sa bonne foi et les vérifications préalables qu’il aura effectuées pour s’assurer de la véracité de ses allégations. L’intervention de la Cour d’appel en l’espèce et sa décision d’infirmer le jugement de première instance ne reposent pas sur une réévaluation générale de la preuve. Il s’agit plutôt, dans cet appel, de déterminer la qualification et les effets juridiques des événements. Il faut déterminer si la déclaration de l’intimé, prise dans son contexte et dans son ensemble, avait un caractère diffamatoire et constituait une faute au sens du droit de la responsabilité civile à la lumière du jugement de la Cour supérieure et des constatations de fait qu’il contient. La qualification des déclarations de l’intimé pour déterminer si elles ont un caractère fautif peut constituer, selon les circonstances, une question mixte de fait et de droit. Dans ces circonstances, la Cour d’appel doit agir avec une certaine retenue envers la décision du juge de première instance et se fonder sur l’existence d’erreurs manifestes et dominantes afin de la réviser. Dans sa tentative de convaincre les autres conseillers et ses auditeurs, il pouvait insister davantage sur les faits qui auraient milité en faveur d’un appel. Dans l’ensemble, l’intimé a agi de bonne foi, dans le but d’accomplir son devoir d’élu municipal. Ses propos, bien que parfois durs à l’endroit des appelants, ont été prononcés dans l’intérêt public. Ses propos sont demeurés à l’intérieur du cadre de son droit de commentaire, d’opinion et d’expression, comme administrateur, sur les affaires d’intérêt public de sa municipalité. Retenir la faute de l’intimé dans de telles circonstances minerait dangereusement le droit de libre discussion dans l’enceinte politique municipale et affaiblirait la vitalité de la démocratie locale. Arrêt : Le pourvoi est rejeté. 1 Les appelants se pourvoient contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a annulé un jugement de la Cour supérieure condamnant l’intimé à payer aux appelants 58 198 $ à titre de dommages-intérêts pour diffamation. Les propos en litige ont été prononcés lors d’une séance régulière du conseil municipal de Repentigny alors que l’intimé exerçait ses fonctions de conseiller municipal. Ce pourvoi invite notre Cour à déterminer le régime de responsabilité civile applicable à l’acte individuel fautif de l’élu municipal québécois. Il fournit du même coup l’occasion de revoir et de préciser les règles gouvernant le recours en diffamation au Québec. 5 Au terme d’un procès d’un mois, le juge Croteau de la Cour supérieure annule, en juin 1997, le règlement 1055 qu’il juge illégal, abusif et discriminatoire. Dans son jugement, le juge tient des propos particulièrement sévères envers l’administration municipale. Il reproche notamment à la ville de Repentigny d’avoir refusé d’amender le règlement 1055 malgré l’ampleur du fardeau fiscal imposé aux résidents du secteur est. Il condamne la Ville à verser aux appelants une somme de 100 000 $ pour le remboursement de leurs frais extrajudiciaires. 6 Fernand Prud’homme (« l’intimé »), qui n’a aucun lien de parenté avec les appelants, est conseiller municipal de la ville de Repentigny depuis novembre 1993. En désaccord profond avec le jugement de la Cour supérieure qui annule le règlement 1055, il cherche à convaincre les autres conseillers de porter l’affaire en appel. Ceux-ci refusent de l’appuyer, préférant de loin mettre un terme à toute cette histoire, sans conteste, fort embarrassante pour la Ville à quelques mois d’une élection municipale. Indisposé par cette attitude, l’intimé décide de critiquer publiquement, lors d’une séance régulière du conseil, l’absence de débat public sur l’opportunité de porter le jugement en appel. Cette séance a lieu le soir du 7 juillet 1997, date qui coïncide avec l’expiration du délai d’appel. Entre 100 et 150 citoyens assistent à cette séance qui est par ailleurs télédiffusée par la télévision communautaire à un bassin de 62 000 auditeurs. Pour les fins du dossier, des copies de la bande vidéo ont été mises à la disposition de la Cour. 7 Dans une déclaration d’une vingtaine de minutes, entrecoupée à maintes reprises par des interventions du maire qui cherche en vain à y mettre fin, l’intimé dénonce le refus de ses pairs de se prononcer sur l’opportunité de porter la décision du juge Croteau en appel. Il affirme qu’il aurait pour sa part favorisé un appel de la décision au motif qu’elle repose sur des conclusions de fait erronées. En substance, l’intimé explique que le règlement 1055 ne serait pas discriminatoire puisque les faits démontreraient clairement que les appelants ont bénéficié financièrement du projet de construction de l’école secondaire. Il souligne, entre autres, que les terrains des appelants ont acquis une plus-value importante à la suite de la modification de zonage du secteur est. Il note également que les appelants ont encaissé une indemnité d’expropriation de 800 000 $ après avoir refusé de céder pour 1 $ la partie de leurs terrains nécessaire au prolongement du boulevard Iberville. Par ailleurs, l’intimé conteste la conclusion du juge Croteau selon laquelle les appelants n’étaient pas au courant des avis légaux concernant l’adoption du règlement 1055. Il leur reproche de ne pas s’y être opposés. Citant les propos de la Commission de la protection du territoire agricole du Québec (C.P.T.A.Q.), il accuse les appelants d’avoir joué sur deux tableaux, soit celui de spéculateurs immobiliers pour une partie de leurs terres et celui d’agriculteurs pour le reste. Finalement, l’intimé fait grief aux appelants d’avoir refusé des offres de règlement qu’il estime raisonnables. Il critique donc aussi bien les appelants que les autres membres du conseil. III. Les dispositions législatives pertinentes 9 Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12 3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association. 4. Toute personnea droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée. 44. Toute personne a droit à l’information, dans la mesure prévue par la loi. 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présenteCharte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires. Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64 3. Toute personneest titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. Ces droits sont incessibles. 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée. Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l’autorise. 300. Les personnes morales de droit public sont d’abord régies par les lois particulières qui les constituent et par celles qui leur sont applicables; les personnes morales de droit privé sont d’abord régies par les lois applicables à leur espèce. Les unes et les autres sont aussi régies par le présent code lorsqu’il y a lieu de compléter les dispositions de ces lois, notamment quant à leur statut de personne morale, leurs biens ou leurs rapports avec les autres personnes. V. Analyse (iii) Le régime civiliste de responsabilité 32 Le droit civil québécois ne prévoit pas de recours particulier pour l’atteinte à la réputation. Le fondement du recours en diffamation au Québec se trouve à l’art. 1457 C.c.Q. qui fixe les règles générales applicables en matière de responsabilité civile. Ainsi, dans un recours en diffamation, le demandeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité, comme dans le cas de toute autre action en responsabilité civile, délictuelle ou quasi délictuelle. (Voir N. Vallières, La presse et la diffamation (1985), p. 43; Houde c. Benoit, [1943] B.R. 713, p. 720; Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles Inc., 1994 CanLII 5883 (QC CA), [1994] R.J.Q. 1811 (C.A.), p. 1818.) 33 Pour démontrer le premier élément de la responsabilité civile, soit l’existence d’un préjudice, le demandeur doit convaincre le juge que les propos litigieux sont diffamatoires. Le concept de diffamation a fait l’objet de plusieurs définitions au fil des années. De façon générale, on reconnaît que la diffamation « consiste dans la communication de propos ou d’écrits qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui, encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables » (Radio Sept-Îles, précité, p. 1818). 34 La nature diffamatoire des propos s’analyse selon une norme objective (Hervieux-Payette c. Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, 1997 CanLII 8276 (QC CS), [1998] R.J.Q. 131 (C.S.), p. 143, infirmé, mais non sur ce point, par Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal c. Hervieux-Payette, 2002 CanLII 8266 (QC CA), [2002] R.J.Q. 1669 (C.A.)). Il faut, en d’autres termes, se demander si un citoyen ordinaire estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation d’un tiers. À cet égard, il convient de préciser que des paroles peuvent être diffamatoires par l’idée qu’elles expriment explicitement ou encore par les insinuations qui s’en dégagent. Dans l’affaire Beaudoin c. La Presse Ltée, 1997 CanLII 8365 (QC CS), [1998] R.J.Q. 204 (C.S.), p. 211, le juge Senécal résume bien la démarche à suivre pour déterminer si certains propos revêtent un caractère diffamatoire : « La forme d’expression du libelle importe peu; c’est le résultat obtenu dans l’esprit du lecteur qui crée le délit ». L’allégation ou l’imputation diffamatoire peut être directe comme elle peut être indirecte « par voie de simple allusion, d’insinuation ou d’ironie, ou se produire sous une forme conditionnelle, dubitative, hypothétique ». Il arrive souvent que l’allégation ou l’imputation « soit transmise au lecteur par le biais d’une simple insinuation, d’une phrase interrogative, du rappel d’une rumeur, de la mention de renseignements qui ont filtré dans le public, de juxtaposition de faits divers qui ont ensemble une semblance de rapport entre eux ». Les mots doivent d’autre part s’interpréter dans leur contexte. Ainsi, « il n’est pas possible d’isoler un passage dans un texte pour s’en plaindre, si l’ensemble jette un éclairage différent sur cet extrait ». À l’inverse, « il importe peu que les éléments qui le composent soient véridiques si l’ensemble d’un texte divulgue un message opposé à la réalité ». On peut de fait déformer la vérité ou la réalité par des demi-vérités, des montages tendancieux, des omissions, etc. « Il faut considérer un article de journal ou une émission de radio comme un tout, les phrases et les mots devant s’interpréter les uns par rapport aux autres. » 35 Cependant, des propos jugés diffamatoires n’engageront pas nécessairement la responsabilité civile de leur auteur. Il faudra, en outre, que le demandeur démontre que l’auteur des propos a commis une faute. Dans leur traité, La responsabilité civile (5e éd. 1998), J.-L. Baudouin et P. Deslauriers précisent, aux p. 301-302, que la faute en matière de diffamation peut résulter de deux types de conduites, l’une malveillante, l’autre simplement négligente : La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s’attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l’humilier, à l’exposer à la haine ou au mépris du public ou d’un groupe. La seconde résulte d’un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a, malgré tout, porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites constituent une faute civile, donnent droit à réparation, sans qu’il existe de différence entre elles sur le plan du droit. En d’autres termes, il convient de se référer aux règles ordinaires de la responsabilité civile et d’abandonner résolument l’idée fausse que la diffamation est seulement le fruit d’un acte de mauvaise foi emportant intention de nuire. 36 À partir de la description de ces deux types de conduite, il est possible d’identifier trois situations susceptibles d’engager la responsabilité de l’auteur de paroles diffamantes. La première survient lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux. De tels propos ne peuvent être tenus que par méchanceté, avec l’intention de nuire à autrui. La seconde situation se produit lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses. La personne raisonnable s’abstient généralement de donner des renseignements défavorables sur autrui si elle a des raisons de douter de leur véracité. Enfin, le troisième cas, souvent oublié, est celui de la personne médisante qui tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers. (Voir J. Pineau et M. Ouellette, Théorie de la responsabilité civile (2e éd. 1980), p. 63-64.) (vi) La défense de commentaire loyal et honnête 61 Les tribunaux québécois ont, à maintes reprises, fait appel à la « défense de commentaire loyal et honnête » (fair comment) pour exonérer un élu ayant prononcé, de bonne foi et dans l’intérêt public, des propos diffamatoires. Cette défense tire son origine du droit anglais. Elle a fait très tôt son apparition dans le droit civil québécois. Ainsi, dès 1960, la Cour supérieure affirmait que cette défense avait droit de cité en droit civil étant donné la convergence des droits anglais et français (L. c. Éditions de la Cité Inc., [1960] C.S. 485). En 1979, notre Cour rendait un jugement qui définissait les paramètres de cette défense en common law (Cherneskey c. Armadale Publishers Ltd., 1978 CanLII 20 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 1067). 61 Les tribunaux québécois ont, à maintes reprises, fait appel à la « défense de commentaire loyal et honnête » (fair comment) pour exonérer un élu ayant prononcé, de bonne foi et dans l’intérêt public, des propos diffamatoires. Cette défense tire son origine du droit anglais. Elle a fait très tôt son apparition dans le droit civil québécois. Ainsi, dès 1960, la Cour supérieure affirmait que cette défense avait droit de cité en droit civil étant donné la convergence des droits anglais et français (L. c. Éditions de la Cité Inc., [1960] C.S. 485). En 1979, notre Cour rendait un jugement qui définissait les paramètres de cette défense en common law (Cherneskey c. Armadale Publishers Ltd., 1978 CanLII 20 (CSC), [1979] 1 R.C.S. 1067). (ii) L’analyse du contenu de la déclaration 68 Dans un premier temps, le juge Tellier a reproché à l’intimé d’avoir insinué, dans ses commentaires, que la valeur des terres des appelants avait augmenté de façon importante alors même que la Cour d’appel du Québec avait établi en 1996, dans l’affaire Repentigny (Ville de) c. Domaine Ti-Bo inc., J.E. 96-2062, que la valeur d’une terre agricole dans le secteur est était de 0,07 $ le pied carré. Le juge a ajouté que, la ville de Repentigny étant partie à cette cause, l’intimé ne pouvait ignorer ce jugement et affirmer sans nuance que les terrains du secteur valaient 1,48 $ le pied carré. Voici l’extrait pertinent de la déclaration de l’intimé : Alors la Commission scolaire adopte une résolution en mil neuf cent quatre-vingt-dix (1990) d’acheter un terrain pour la construction d’une école au prix de un dollar et quarante-huit (1,48 $), o.k., un dollar et quarante-huit (1,48) alors qu’à peine deux (2) ans auparavant, l’évaluation municipale était de quatre sous (0,04 $) et qu’une terre avait été achetée à trois sous (0,03 $) le pied carré. Tout ça pour vous dire qu’il y a des gens qui prétendent ne pas bénéficier de cette situation-là, soit la construction d’une école secondaire régionale ainsi que l’ouverture de la route 341 qui donne accès à une voie rapide de l’autoroute 40. On sait que quand on est en « business », la valeur marchande peut varier et c’est là qu’on fait des gros sous. 69 Avec respect pour l’opinion du juge Tellier, l’intimé n’a pas affirmé que les terrains des appelants valaient 1,48 $ le pied carré. Il a tout au plus laissé entendre que la valeur des terrains des appelants avait augmenté de façon considérable. Cette affirmation n’a rien d’inexact ni de diffamatoire. D’une part, la Cour d’appel n’a jamais établi la valeur des terrains du secteur est pour l’année 1996 à 0,07 $ le pied carré. La décision Repentigny (Ville de), précitée, a bel et bien été rendue en 1996, mais elle mettait en cause l’évaluation foncière de la terre agricole du Domaine Ti-Bo inc. pour l’année 1989, soit avant la révision du zonage agricole. D’ailleurs, l’une des questions en litige dans cette affaire était celle de déterminer si le BREF avait commis une erreur en refusant de considérer les rumeurs d’une révision prochaine du zonage du secteur est lors de l’évaluation du terrain de l’intimée. La Cour d’appel a jugé que le BREF avait eu raison de ne point prêter poids à ces rumeurs, d’où sa décision de rétablir la valeur du terrain de l’intimée à 0,07 $ le pied carré. 70 D’autre part, les transactions survenues peu après la révision du zonage démontrent que les terrains ont effectivement pris de la valeur. Ainsi, en 1993, Domaine Repentigny a acheté une partie du terrain des frères Prud’homme pour un prix de 1,75 $ le pied carré. En 1998, dans l’affaire DomaineRepentigny inc. c. Repentigny (Ville de), [1998] T.A.Q. 453, le Tribunal administratif du Québec a établi la valeur des terres des appelants en date du 1erjuillet 1993 à 0,40 $ le pied carré. Cette décision confirme, selon le juge Tellier, que la valeur des terrains des appelants n’a pas connu l’augmentation importante que l’intimé a laissé entendre. Or, cette décision a été rendue en 1998, soit après la déclaration publique de l’intimé. On ne peut donc pas reprocher à l’intimé d’avoir ignoré cette décision ou de ne pas avoir anticipé que le Tribunal administratif du Québec ramènerait la valeur des terrains des appelants à 0,40 $ le pied carré vu l’impact négatif du règlement 1055 sur le développement urbain dans le secteur est. L’intimé exprimait alors son opinion sur cette valeur sur la base des faits connus. 71 Dans un second temps, le juge Tellier a statué que l’intimé avait mentionné plusieurs faits qui n’avaient rien à voir avec un prétendu débat sur l’opportunité de porter le jugement en appel. Plus particulièrement, il a reproché à l’intimé d’avoir laissé entendre dans le passage suivant de la déclaration que tous les appelants ne s’étaient pas opposés à la révision du zonage alors qu’il savait que les frères Prud’homme y avaient fait objection par l’intermédiaire de l’Union des producteurs agricoles : Il y a des événements qui provoquent cette surenchère. Alors en juin quatre‑vingt‑dix (90), le secteur Est est dézoné. Dézoné, ça veut dire qu’avant quatre‑vingt‑dix (90), il était zoné vert, c’est‑à‑dire zonage agricole. Alors en juin quatre‑vingt‑dix (90), il passe à zonage blanc, c’est‑à‑dire développement urbain. Ça, c’est la Commission de protection du territoire agricole qui en prend la décision. Les municipalités, les M.R.C. en font la demande pour permettre leur développement et chacun des propriétaires sont donc tenus au courant de cette procédure parce qu’ils peuvent s’y opposer. Si ça leur est agréable, ils ne s’y opposent pas. Mais une chose qui est sûre, c’est qu’il y a une correspondance qui est établie avec ces gens‑là et donc ils sont mis au courant qu’il y a un changement de zonage dans cet esprit‑là. Alors la C.P.T.A.Q. à l’époque, en juin quatre‑vingt‑dix (90), reconnaît l’importance du développement urbain dans ce secteur, donc autorise le changement de zonage. 72 Cette omission peut paraître insidieuse à première vue. L’examen du contexte dans lequel la déclaration a été prononcée révèle cependant que l’intimé ne bénéficiait que de quelques minutes pour faire valoir son point. Il était au surplus pressé par les remarques du maire qui, manifestement, ne voulait pas entendre parler de cette histoire. Certes, il aurait été plus prudent de mentionner l’objection des frères Prud’homme. Toutefois, à la lumière des circonstances, cette omission ne justifiait pas de qualifier cette partie de la déclaration de diffamatoire. 73 Le troisième reproche formulé par le juge Tellier se résume à dire que l’intimé aurait manqué de respect envers l’autorité judiciaire en contestant les conclusions de fait du juge Croteau relatives à la connaissance que les appelants avaient des avis légaux concernant le règlement 1055. L’intimé s’est exprimé comme suit sur ce sujet : En mars quatre‑vingt‑onze (91), un avis dans les journaux informe les citoyens du secteur et de l’ensemble de la population du projet de règlement 1055, soit après le dézonage, o.k. Les gens prétendaient qu’ils n’étaient pas du tout au courant. Alors après le dézonage, il y a un avis dans les journaux qui parle d’un règlement 1055 et il y a un délai, comme toujours aujourd’hui, où les gens peuvent s’opposer en s’inscrivant à un registre pour dire, non, je ne suis pas d’accord avec de tels règlements. Ça donne le temps de s’informer, et cetera. Alors durant ce délai‑là, il n’y a aucune personne qui est venue s’opposer au règlement 1055. Ça, je n’invente rien, c’est dans le document du Juge. Je ne parle pas des autres documents qui sont épais comme ça, les autres dossiers. Je fais juste reprendre les données qui sont là‑dedans. Et tous ces faits‑là ont été donnés au Juge. Alors en mars quatre‑vingt‑onze (91), il y a un avis dans les journaux. 74 Le juge Tellier a jugé que l’intimé n’aurait pas dû remettre ainsi en question la sincérité et la crédibilité des appelants alors même que le jugement du juge Croteau avait acquis, à toutes fins pratiques, le statut de chose jugée. Avec égards, l’intimé pouvait légitimement critiquer le jugement du juge Croteau et son appréciation des faits. Il avait droit de soutenir que ce jugement était mal fondé et tenter d’en convaincre ses collègues. Le respect dû aux tribunaux et l’obligation de respecter l’autorité de la chose jugée et de se conformer aux décisions judiciaires ne signifient pas que celles-ci doivent échapper à toute critique. Le droit de remettre en question le bien-fondé d’un jugement appartient à tout citoyen et, à plus forte raison, à un administrateur municipal. L’intimé avait le droit de commenter les conclusions du juge Croteau si, de bonne foi, elles lui paraissaient mal fondées. Aucun principe juridique ne permet de considérer de tels commentaires comme diffamatoires dans la forme et les circonstances où ils ont été prononcés. 75 En quatrième lieu, le juge Tellier a reproché à l’intimé de ne pas avoir mentionné, dans l’extrait suivant, les circonstances particulières qui justifiaient le refus des appelants de céder une partie de leurs terrains pour 1 $ : En avril quatre‑vingt‑onze (91), la Ville demande à ces mêmes propriétaires‑là de céder le terrain pour permettre l’ouverture du boulevard Iberville jusqu’aux limites de Repentigny. On sait que dans l’histoire de Repentigny, les routes et les parcs, les routes, je vais parler des routes seulement, sont cédées pour un dollar (1 $). Le boulevard Iberville sur toute sa longueur a été cédé pour un dollar (1 $) à l’exception du boulevard Iberville qui couvre ces terres‑là, o.k. Alors ces propriétaires‑là refusent de céder pour un dollar (1 $), ce qui oblige la municipalité à procéder à l’expropriation. Alors en décembre quatre‑vingt‑onze (91) [. . .] en novembre quatre‑vingt‑onze (91), soit quelque six (6) mois plus tard, il y a le début de la construction de l’école. Il s’est passé beaucoup d’événements avant. En décembre quatre‑vingt‑onze (91), la Ville procède effectivement à l’expropriation. Aujourd’hui, on sait que l’expropriation a établi la valeur de ces terrains‑là pour le passage du boulevard Iberville à deux dollars et soixante (2,60 $) le pied. Ce qui représente huit cent mille dollars (800 000 $) dans le règlement 1055 que vous avez payé et que eux, ont encaissé. 76 Le juge a reconnu que les propos de l’intimé étaient en partie vrais puisque les propriétaires qui désirent être desservis par les services municipaux cèdent généralement l’assiette de la rue pour 1 $. Il a cependant ajouté que ces propos étaient en partie faux, puisque le prolongement du boulevard Iberville n’était pas réalisé pour le bénéfice des appelants, mais pour permettre l’accès à une école nouvellement construite en pleins champs. 77 D’autre part, le juge Tellier a reproché à l’intimé de ne pas avoir mentionné que la somme de 800 000 $ qui aurait été payée aux propriétaires expropriés était remboursable sur une période de 20 ans. Il a qualifié cette omission de particulièrement insidieuse car elle laissait croire que les appelants avaient reçu des indemnités faramineuses aux dépens de leurs concitoyens. 78 Il est vrai que le prolongement du boulevard Iberville et les travaux d’infrastructures n’ont jamais été demandés par les appelants. Il est aussi exact que les appelants héritaient d’un fardeau fiscal accablant après l’adoption du règlement 1055. Leur refus de céder l’assiette du boulevard pour 1 $ semble tout à fait justifiable. Toutefois, les propos de l’intimé à cet égard ne constituent pas une faute. Tout au long de sa déclaration, l’intimé a cherché à démontrer que le juge Croteau n’avait pas accordé suffisamment de poids à certains faits mis en preuve lors du procès et que sa conclusion d’annuler le règlement 1055 n’était pas fondée. En faisant allusion au fait que les appelants ne s’étaient pas opposés au règlement 1055, et à la demande de réinclusion dans la zone agricole présentée par certains d’entre eux, après avoir touché une importante indemnité d’expropriation ou après avoir vendu du terrain à un promoteur immobilier, l’intimé posait un jugement d’administrateur public sur le comportement des appelants depuis le début de cette affaire. Il pouvait tenter de démontrer que les appelants avaient joué sur deux tableaux et que le règlement 1055 n’était pas injuste et discriminatoire. Bien que critique, ce commentaire n’avait pas de caractère diffamatoire. On peut être en désaccord avec l’avis de l’intimé. Toutefois, ceci importe peu, car l’intimé a exprimé alors une opinion légitime sur une décision qui intéressait l’ensemble de la population de Repentigny en raison de ses répercussions fiscales. À titre d’élu, il se devait de manifester son désaccord avec la décision de ses pairs de ne pas porter la décision en appel, si telle était son opinion après une analyse de la situation et des enjeux de l’affaire. 79 Quant aux 800 000 $, il appert que les appelants n’ont plus à les rembourser depuis le jugement du juge Croteau. Le jugement a en effet annulé les dispositions de l’art. 13 du règlement 1055 qui imposaient les taxes spéciales par le truchement desquelles les appelants remboursaient les indemnités d’expropriation. 80 Pour cinquième reproche, le juge Tellier a estimé que la référence à une offre d’achat refusée par les frères Fortin dans l’extrait suivant de la déclaration de l’intimé n’avait rien à voir avec un débat portant sur l’opportunité d’interjeter appel du jugement. Il a de plus précisé que cette offre d’achat avait été adressée aux frères Fortin en 1990, et non en 1993, et que ses conditions peu avantageuses justifiaient le refus des frères Fortin : À cette même époque, les frères Fortin refusaient un dollar et trente‑cinq (1,35 $) le pied carré pour deux point deux millions (2.2) de pieds carrés, ce qui représente à peu près trois point quatre millions (3.4). Moi, j’en veux à personne. Je fais juste mentionner des faits, o.k. Depuis quatre‑vingt quatorze (94), c’est‑à‑dire notre conseil . . . 81 Dans le temps qui lui était imparti et considérant les nombreuses interventions du maire, on perçoit mal la pertinence d’une explication détaillée de l’offre d’achat reçue par les frères Fortin et encore moins le caractère diffamatoire d’une telle omission. En faisant référence à cette offre d’achat, l’intimé tentait simplement de démontrer que les spéculations alimentées par le prolongement du boulevard Iberville avaient fait grimper en flèche la valeur des terrains des appelants et qu’il était en conséquence injuste que la population de Repentigny, dans son ensemble, doive assumer les coûts des travaux d’infrastructures. Cette position est d’ailleurs celle que l’intimé a défendu tout au long de cette saga repentignoise. Ses propos sont demeurés à l’intérieur du cadre de son droit de commentaire, d’opinion et d’expression, comme administrateur municipal, sur les affaires d’intérêt public de sa municipalité. 82 Enfin, le juge Tellier a reproché à l’intimé d’avoir insinué que les appelants avaient refusé de mauvaise foi une offre raisonnable de la Ville. Après un examen de ses conditions, le juge a ajouté que cette offre était loin d’être généreuse et qu’on pouvait rapidement comprendre pourquoi les appelants avaient préféré s’en remettre aux tribunaux. On trouve ce commentaire sur la gestion dans la déclaration de l’intimé : J’ai fini [. . .] le comité ad hoc s’assoit, dont monsieur Labrecque et monsieur Coutu, moi‑même et madame (inaudible) d’ailleurs qui n’a jamais siégé au comité, présente différentes alternatives à ces personnes‑là pour favoriser le développement. Là, c’est de trouver une entente hors Cour pour régler le dossier. Évidemment à chaque fois, la réponse est négative de leur part et ces derniers préfèrent poursuivre la Cour. Ils ont eu gain de cause. En mars quatre‑vingt‑quinze (95), les frères Prud’Homme demandent de nouveau à la C.P.T.A.Q., c’est‑à‑dire la Commission de protection du territoire agricole, d’être réinclus dans le zonage agricole, o.k. Parce que quand on est zoné agricole, ce n’est pas nous qui payons les taxes, c’est le ministère de l’Agriculture . . . 83 On concéderait volontiers que l’offre de la Ville n’était pas « l’affaire du siècle ». Cependant, cette partie de la déclaration ne révèle pas l’intention malveillante de l’intimé. Celui-ci a toujours soutenu que les appelants devaient assumer la totalité des coûts liés à la construction de l’école au motif qu’ils étaient les premiers à en bénéficier. Il avait alors droit de critiquer le refus des appelants de signer une entente s’il jugeait, de bonne foi, les offres raisonnables, sans que l’on puisse considérer son expression d’opinion comme diffamatoire. Encore une fois, il importe de souligner que la déclaration de l’intimé doit être considérée dans son contexte et dans son ensemble. L’impression générale qui s’en dégage doit guider l’appréciation de l’existence d’une faute. La concentration de l’analyse sur des éléments ponctuels de l’intervention de l’intimé et l’absence d’examen global et contextuel ont faussé toute l’appréciation de son contenu et ses conséquences juridiques par la Cour supérieure. En supposant même qu’il se soit agi d’une erreur sur une question mixte de fait et de droit, cette dernière doit être considérée comme une erreur manifeste et dominante. Sa nature et sa gravité justifiaient l’intervention de la Cour d’appel à l’égard de la décision du juge de première instance. Conclusion 84 L’intimé n’a pas commis de faute. Il a pris la parole lors de la séance du 7 juillet 1997 pour faire savoir aux électeurs de Repentigny qu’il s’opposait à la décision du conseil de ne pas porter en appel le jugement annulant le règlement 1055. Toujours fidèle à la position qu’il avait défendue durant toute cette saga judiciaire, il a soutenu qu’il ne revenait pas à l’ensemble de la population de Repentigny de payer le coût des travaux d’infrastructures pour le prolongement du boulevard Iberville. L’intimé avait le droit de remettre en question l’appréciation des faits du juge Croteau. La C.P.T.A.Q. elle-même a reproché aux appelants de se coiffer du chapeau d’agriculteur pour une partie de leur propriété et de celui de spéculateur pour le reste. Certes, la déclaration de l’intimé est incomplète. Cependant, dans le délai qui lui était imparti, au cours d’une intervention ponctuée par des interruptions et des rappels à l’ordre, on ne peut lui reprocher de ne pas avoir exposé exhaustivement tous les faits du dossier. Dans sa tentative de convaincre les autres conseillers et ses auditeurs, il pouvait insister davantage sur les faits qui auraient milité en faveur d’un appel. Dans l’ensemble, l’intimé a agi de bonne foi, dans le but d’accomplir son devoir d’élu municipal. Ses propos, bien que parfois durs à l’endroit des appelants, ont été prononcés dans l’intérêt public. L’intimé n’a pas abusé de son droit de commentaire et de discussion sur les affaires publiques intéressant la municipalité. Retenir la faute de l’intimé dans de telles circonstances minerait dangereusement le droit de libre discussion dans l’enceinte politique municipale et affaiblirait la vitalité de la démocratie locale. 85 Pour toutes ces raisons, le pourvoi doit être rejeté avec dépens. Dernière modification : le 30 novembre 2017 à 20 h 26 min.