Extraits pertinents : [1] La demanderesse, Mme Zainab Sourour, est originaire du Soudan. Après avoir lutté sur les traces de son père pour l'implantation de la démocratie dans son pays natal pendant plus de 12 ans, elle doit, vers le milieu des années 90, s'exiler en Égypte. Elle y vivra cachée pendant trois ans. C'est en 1999 qu'elle est admise au Canada comme réfugiée politique avec sa mère et sa fille. Ensemble, elles s'établissent dans la région de la ville de Québec. [2] Quelque temps après son arrivée au Canada, Mme Sourour s'intéresse aux activités du Centre International des Femmes de Québec (CIFQ). Cet organisme, créé au début des années 80, est au service des femmes immigrantes et de leur famille afin de faciliter leur rapprochement culturel et leur intégration à la société québécoise. [4] Mme Sourour est en poste au CIFQ comme organisatrice communautaire lorsque le 10 décembre 2005, dans l'après-midi, eut lieu la Fête de Noël pour les employés et les partenaires du CIFQ au sous-sol de l'Église Saint-Pie X à Québec. [6] Mme Nicole Côté est membre du CIFQ. Bien que n'ayant pas reçu personnellement l'invitation, elle apprend la tenue de cette fête et communique dans les jours qui la précèdent avec Mme Sourour pour l'informer qu'elle ne sera pas présente, mais qu'elle sera remplacée par le défendeur, M. Roger Clavet. Mme Côté est à l'époque l'adjointe politique de ce dernier qui est le député fédéral de la circonscription de Louis-Hébert pour le parti politique fédéral co-défendeur le Bloc Québécois. [8] Mme Sourour ne voit aucune objection à la présence de M.Clavet. [9] C'est elle qui est chargée de l'accueil des invités à cette fête et de prendre les noms des personnes présentes. Mme Sourour est de confession musulmane et porte le voile. Ce dernier est retenu sur sa tête par une couronne d'étoffe de la même couleur blanche. Elle porte à cette occasion un costume traditionnel qui révèle ses origines et qui complète une personnalité physique ne passant pas inaperçue, comme le soulignait son procureur. [11] Après avoir serré quelques mains, il s'adresse à quelques personnes pour obtenir leur permission d'être photographié avec elles. L'une de ces personnes est Mme Sourour, qui accepte. M. Clavet dispose de sa propre caméra numérique et demande à un bénévole présent de le photographier en compagnie de Mme Sourour et du Père Noël. [12] Quatre à cinq photographies au total ont été prises au cours de la soirée. Une personne a décliné l'invitation de M. Clavet, les autres ont accepté. [13] Quelques jours plus tard, M. Clavet doit préparer et faire le montage d'un dépliant publicitaire couleur, élément important de la promotion de sa candidature pour la co-défenderesse, le Bloc Québécois. La circonscription de Louis-Hébert compte environ 82 000 électeurs réunissant principalement les anciennes villes de Cap-Rouge, Sainte-Foy et Sillery. Le dépliant est confectionné à partir d'une matrice-cadre fournie par le Bloc Québécois à tous les candidats. [17] Alors qu'il prépare le contenu de ce dépliant, M. Clavet analyse l'inventaire des photographies prises par lui récemment pour en incorporer quelques-unes à son dépliant. Il arrête son choix notamment sur la photographie où il apparaît en compagnie de Mme Sourour et du Père Noël. C'est Noël, nous dit-il, et la photographie parle d'elle-même. Elle révèle un Québec ouvert : une fête chrétienne, un Père Noël et une personne de race noire et de foi musulmane. Il ne connaît pas le nom de Mme Sourour et ne sollicite pas sa permission pour pouvoir utiliser cette photographie et en tirer 45 000 copies dont 43 000 environ sont distribuées par la poste canadienne dans tous les foyers du comté de Louis-Hébert. [18] Mme Sourour apprend pour la première fois de sa fille l'existence du dépliant électoral présentant sa photographie. Cette dernière avait été informée par d'autres personnes non identifiées, que sa mère apparaissait au dépliant du candidat Clavet du Bloc Québécois. Il est difficile de préciser la date de cette communication de sa fille. [22] Mme Bouchra Kaache est depuis mai 2001 la directrice générale du CIFQ. Elle témoigne que ce dernier n'a pas de politique précise relativement à la prise de photographie avec des personnes identifiées à un parti politique. Il y a une règle de gros bon sens à suivre, nous dit-elle. Elle a été interpellée par la question de la parution de la photographie de Mme Sourour et a amené la question au conseil d'administration. [23] Se disant insultée et trahie par l'existence de ce dépliant qui publie sa photographie, Mme Sourour réclame de M. Clavet et du Bloc Québécois 35 000,00$ en dommages compensatoires et 5 000,00 $ en dommages exemplaires, ces derniers étant consécutifs à l'atteinte illicite et intentionnelle à son intégrité, dont elle a été victime. [26] L'article 4 édicte que « toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation ». L'article 5 ajoute « le droit au respect de la vie privée ». [28] Ce sont les articles 35 et 36 50) du Code civil du Québec qui servent aussi d'appui à Mme Sourour et comme nous le verrons aussi à M. Clavet dans sa défense : 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise. 36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants: (…) 5) Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public; QUESTION EN LITIGE [45] M. Clavet et le Bloc Québécois ont-ils commis une faute civile à l'égard de Mme Sourour en publiant sa photographie dans un dépliant électoral sans sa permission ? Si oui, quels sont les dommages qui doivent lui être octroyés ? DISCUSSION et DÉCISION [46] Le principal moyen proposé par les défendeurs est que Mme Sourour aurait perdu son droit à l'image et accepté une diffusion raisonnable lorsqu'elle a donné son accord d'être photographiée avec M. Clavet. Il faut ici préciser que, contrairement à ce qu'allégué dans sa défense écrite, la preuve a rapporté que c'est M. Clavet qui a sollicité une photographie avec Mme Sourour. Il en a lui-même témoigné. [47] Cette prétention de la perte du droit à l'image n'est pas fondée. Il n'y eut aucune information ou indice donné à Mme Sourour par M. Clavet que la photographie pouvait servir à sa cause politique. Reconnaître que la perte du droit à l'image est entière dès qu'une photographie est prise de consentement ouvrirait la porte à des abus de toute nature. Une personne peut accepter d'être photographiée privément sans autoriser la diffusion à large volume de son image. [48] En fait, le droit à l'image comprend principalement le droit d'en restreindre la publication. Il s'agit de notions indissociables[1]. [49] Il faut ensuite reconnaître à Mme Sourour le statut de personne privée en opposition à une personne publique. Comme employée du CIFQ, elle avait un rôle privé envers la clientèle. Ce n'est pas parce qu'un organisme vit de subventions publiques ou fait appel au bénévolat public qu'il est permis de se servir de ses membres ou employées comme s'ils n'avaient plus droit à certains attributs de la vie privée. La Fête de Noël du 10 décembre 2005 était publique certes, mais elle n'avait pas comme conséquence que celles qui l'organisaient devenaient des personnes publiques au même titre qu'un personnage politique, sportif ou artistique. [50] Analysons maintenant l'argument du droit du public à l'information soutenu par M. Clavet. Ce droit reconnu par l'article 44 de la Charte est invoqué pour freiner ou plus encore, annuler le droit à l'image et à la vie privée des articles 4 et 5. L'argument ajoute « le respect des valeurs démocratiques » qui constitue le cadre d'exercice des droits et libertés fondamentaux (article 9.1 de la Charte). 55] Certes, il ne s'agissait pas dans cette décision d'une publication dans un cadre électoral. Mais, la tenue d'une élection donne-t-elle plus de droits à un candidat ou un parti politique de diffuser des photographies de personnes sans leur permission ? La protection de l'idéal démocratique autorise-t-elle un candidat à utiliser l'image que donne la personnalité différente d'un électeur pour des fins de promotion de ses idées ? [56] La réponse est non. Au contraire, la promotion d'idées politiques et du programme d'un parti oblige à encore plus de circonspection et de prudence dans l'usage de photographies, textes et images de la vie privée des personnes qui sont des électeurs. La démocratie est la libre association entre les individus et les idées. Dès que cette liberté disparaît, il n'y a plus de démocratie. [57] Mme Sourour étant de race noire, musulmane portant le voile et s'habillant suivant les traditions de son pays d'origine, perdrait-elle son droit à l'image parce que ces traits de personnalité peuvent servir à l'avancement du programme du Bloc Québécois concernant l'immigration ? Ceci paraît déraisonnable. [59] Il est possible que Mme Sourour ne voyait pas objection à l'usage de son image, jusqu'à une certaine mesure, pour l'intérêt du CIFQ. Mais, elle n'a certainement pas consenti à son appropriation pour exposition et retentissement électorale. En fait, elle en a été insultée. [61] Le Tribunal comprend qu'elle a pu en être choquée. Il s'agit d'une atteinte à ses droits qui n'était pas justifiée par une quelconque question du droit du public à l'information. [64] La règle de conduite à la charge de M. Clavet l'obligeait à obtenir l'autorisation de Mme Sourour avant de publier sa photographie et de s'approprier son image. Les circonstances imposaient cette règle à M. Clavet qui a manqué à son devoir et doit réparer le préjudice moral subi par Mme Sourour. LES DOMMAGES [85] Mme Sourour réclame la somme de 35 000,00 $ de dommages généraux et 5 000,00 $ de dommages exemplaires en compensation de la faute commise à son endroit. [86] Le Tribunal ne saurait accorder des dommages exemplaires fondés sur l'article 49 de la Charte. En effet, pour que ceux-ci puissent être accordés, il faut une atteinte illicite et intentionnelle. Si l'atteinte des droits de Mme Surour fut illicite, elle ne fut certainement pas intentionnelle. Il n'y a jamais eu d'intention réfléchie chez M. Clavet et le Bloc Québécois de causer les dommages subis par Mme Sourour. Les conséquences de cette atteinte à la vie privée à Mme Sourour n'ont pas été voulues comme telles. C'est plutôt un bénéfice électoral et politique qui était recherché et, dans ce sens, les dommages exemplaires ne peuvent être accordés[8]. [87] Quant aux autres dommages, la seule preuve qui fut présentée par Mme Sourour concerne ses dommages moraux. [91] Il y a eu à l'égard de Mme Sourour par M. Clavet et le Bloc Québécois une indifférence non seulement quant à la recherche de son nom ou de son autorisation, mais sur son passé et son vécu. Cette indifférence a généré chez Mme Sourour un sentiment de désintérêt, d'inattention, d'insensibilité quant à sa propre personne. [92] Après une révision de la jurisprudence existante et des circonstances particulières de la présente affaire, le Tribunal accordera à Mme Sourour, à titre de dommages moraux, la somme de 7 000,00 $.[9] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : CONDAMNE solidairement les défendeurs ROGER CLAVET et le BLOC QUÉBÉCOIS à payer à la demanderesse ZAINAB SOUROUR la somme de 7 000,00 $, avec intérêts légaux et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 25 mai 2006; AVEC dépens. Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 15 h 03 min.