Extraits pertinents :

[1] Les demandeurs réclament des défendeurs la somme de 93 000 $ en dommages-intérêts pour atteinte à la vie privée.

[3] Monsieur Fernand Brisson et son épouse madame Carole Bouchard sont membres du Club Naturiste Les Loisirs Air-Soleil Inc., depuis 1984 (Club Air-Soleil).

[4] Le club possède un emplacement situé dans la municipalité de L'Avenir.  Les membres peuvent y faire du camping et participer à plusieurs activités de plein air, telles le volley-ball, le tennis, la baignade etc., tout en s'adonnant au nudisme.

[7] Monsieur Richard West est photographe professionnel.  Il possède une compagnie, sise dans la province d'Ontario, qui publie «Virtually Magazine», une revue spécialisée dans la promotion du naturisme.

[10] Le 12 août, West se rend au Club Air-Soleil.  Après discussion, Drouin accepte que West vienne prendre des photographies au Club Air-Soleil pendant trois ou quatre jours.

[11] Richard West arrive sur les lieux le 21 août en compagnie d'un assistant muni d'une caméra vidéo.  Il explique à Drouin de quelle façon la prise de photographies et d'un vidéo allait se dérouler.

[13] Au cours du mois de juillet 1998, West fait parvenir de nombreuses photographies ainsi que deux cédéroms au Club Air-Soleil.

[15] Au cours du mois de février 1999, Brisson voit sur le réseau Internet une publicité indiquant la disponibilité d'un cédérom concernant Air-Soleil.

[16] Madame Bouchard écrit alors à Richard West pour lui demander s'il lui était possible de leur faire parvenir un exemplaire du cédérom concernant le Club Air-Soleil.

[18] En visionnant les cédéroms que West avait fait parvenir à son épouse, Brisson constate que lui-même ainsi que ses deux fils Steve et Jimmy apparaissent nus sur plusieurs clichés.

[20] N'ayant pas eu de confirmation à l'effet que West cesserait la distribution de cédérom, le 7 juillet 1999, les demandeurs Brisson et Bouchard font parvenir à Virtually Magazine la mise en demeure suivante:

[26] Le 18 janvier 2000, monsieur Brisson et madame Bouchard instituent contre Virtually Magazine, Richard West et Club naturiste Les Loisirs Air-Soleil Inc., une action en dommages-intérêts au montant de 93 000 $ qu'ils détaillent comme suit:

LE DROIT APPLICABLE:

[34] L'article 35 du Code civil du Québec énonce le principe du respect de la réputation et de la vie privée:

«Art. 35Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l'autorise.»

[35]  L'article 36 C.c.Q. contient une énumération non limitative de faits considérés comme des atteintes à la vie privée d'autrui:

«Art. 36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:

1-   Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;

2-   Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;

3-   Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;

4-   Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

5-   Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;

6-   Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.»

[36] Par ailleurs, les articles 4 et 5 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne [1] prévoient que:

4.   Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.»

[39]  La jurisprudence soumise par les procureurs des parties nous enseigne notamment que:

[40]   le droit à l'image est une composante du droit à la vie privée inscrit à l'article 5 de la charte québécoise.  Dans la mesure où, le droit à la vie privée cherche à protéger une sphère d'autonomie individuelle, il doit inclure la faculté d'une personne de contrôler l'usage qui est fait de son image.  Il faut parler de violation du droit à l'image et, par conséquent, de faute dès que l'image est publiée sans consentement et qu'elle permet d'identifier la personne en cause (Les Éditions Vice-Versa inc. et Gilbert Duclos c. Pascale Claude Aubry et Société Radio-Canada, [1998] 1 R.C.S., pp. 591-592);

[41] pour réclamer des dommages au motif que son droit à l'image a été violé, la partie demanderesse doit établir que son image a été utilisée publiquement et qu'elle était reconnaissable sur la photographie utilisée (Durand c. Collège d'enseignement général et professionnel de Trois-Rivières, 2001, J.Q., no 186 (C.S.); Blondeau c. Croisières AML inc., B.E. 2000BE-559);

[42] la publication ou la diffusion non consentie de l'image est certes une faute.  Il ne s'ensuit pas cependant un droit objectif à la compensation.  Le dommage ne se présume jamais et doit être prouvé selon les règles ordinaires de prépondérance (Langlois-Lusignan c. Dion, B.E. 99BE-440 (C.Q.));

[43]la preuve d'une atteinte à un droit garanti par la charte québécoise de même que celle d'un dommage et du lien de causalité doivent être établies avant de pouvoir conclure à la responsabilité civile du défendeur (The Gazette (Division Southam Inc). c. Valiquette1996 CanLII 6064 (QC CA), [1997] R.J.Q. 30 (C.A.), pp. 30-35);

[47] Les demandeurs ont-ils consenti à la publication et à la distribution des clichés, photos et vidéo, pris par le défendeur Richard West et son assistant au mois d'août 1997 ?

[48] La preuve à ce sujet est contradictoire.

[67] Dans son ouvrage La responsabilité civile[2], l'auteur Jean-Louis Baudouin souligne que tout citoyen doit en principe donner son autorisation à la publication de l'image:

«394 -- Droit à l'image -- Plusieurs décisions québécoises, sous le régime du Code civil du Bas-Canada, avaient reconnu le droit de l'individu à son image398.  Celui-ci est désormais consacré par le législateur à l'article 36(4) C.c. et étendu à la captation et à l'utilisation de la voix (dans les lieux privés), du nom et de la ressemblance.  Tout citoyen doit donner son autorisation à la publication de l'image à moins que la photo ne soit telle qu'elle rende une identification impossible399.  Le droit à l'image fait donc partie de cette zone d'intimité que chacun est tenu de respecter400.  Même si l'image peut avoir une valeur patrimoniale et sa violation entraîner ainsi un préjudice économique, un simple préjudice moral est suffisant pour demander réparation401

[68] En l'espèce, la preuve démontre que le demandeur Brisson a accepté de bon gré, voire avec enthousiasme, de participer aux clichés, photos et vidéo, pris par Richard West et son assistant, comme le démontrent notamment certains passages du vidéo pris autour de la piscine du Club Air-Soleil.

[69] Par ailleurs, Brisson ne pouvait ignorer que Richard West prenait ces clichés afin de les publier.

[70] Peut-on conclure pour autant que le demandeur a autorisé, du moins implicitement, la publication et la diffusion des clichés sur lesquels il apparaît nu en compagnie de ses enfants ?

[71]  Le Tribunal ne le croit pas.

[72] Lors de son témoignage, Brisson a expliqué qu'il désirait voir les clichés avant leur publication, pour éliminer les photos prises de face, ou sous un mauvais angle, bref, celles qui ne lui plaisaient pas ou qu'il ne considérait pas correctes.

[73] Le Tribunal retient cette preuve à l'effet que le demandeur conservait un droit de regard sur les clichés avant toute publication, d'autant plus que le témoignage de Brisson est corroboré par celui de madame Clément et de monsieur Cousineau.

[77] Après analyse, le Tribunal conclut que les codéfendeurs Richard West et Virtually Magazine n'ont pas rempli leur fardeau de preuve de démontrer qu'il avait reçu l'autorisation de publier les clichés montrant le demandeur et ses deux fils et, qu'en conséquence, ils doivent être tenus responsables du préjudice qu'aurait subi le demandeur.

[78] Le Tribunal conclut également que la codéfenderesse Club Air-Soleil doit être tenue conjointement et solidairement responsable des dommages causés au demandeur parce qu'elle savait ou devait savoir que les clichés pris par West allaient éventuellement être publiés et diffusés.

LES DOMMAGES:

[79] Le demandeur Fernand Brisson réclame la somme de 20 000 $ pour dommages moraux liés à l'image ainsi qu'un montant de 5 000 $ pour troubles, ennuis et inconvénients et 2 000 $ à titre de dommages exemplaires.

[81] Brisson a soutenu qu'il avait subi des dommages dû au fait que les gens pouvaient facilement l'identifier sur les clichés, notamment sur le pamphlet publicitaire publié par Club Air-Soleil, au mois de mai 1999.  Il a ajouté que, suite à ces événements, il avait dû déménager sa roulotte du camping puisque Drouin ne voulait plus le voir et que les démarches entreprises pour faire arrêter la diffusion des photos et des cédéroms lui avait causé du stress et de nombreux ennuis.

[87] Après analyse, et considérant que monsieur Brisson est facilement identifiable sur plusieurs clichés, le Tribunal lui accordera les montants suivants:

-  Dommages moraux

-  Ennuis et inconvénients

5 000,00 $

1 000,00 $

 

[92]  PAR CES MOTIFS, le Tribunal procédant à rendre jugement dans les deux dossiers:

[93]  ACCUEILLE en partie l'action du demandeur Fernand Brisson;

[94]  CONDAMNE les défendeurs Virtually Magazine, Richard West et Club Naturiste Les Loisirs Air-Soleil Inc. conjointement et solidairement à payer au demandeur Fernand Brisson, la somme de 6 000 $ et ce, avec intérêts et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter de l'assignation;

[95] ORDONNE aux défendeurs Richard West et Virtually Magazine de cesser de fabriquer, produire ou distribuer tout document de quelque nature que ce soit avec l'image du demandeur Brisson et de ses enfants Steve et Jimmy Brisson;

[96]  LE TOUT AVEC DÉPENS contre les défendeurs;


Dernière modification : le 16 novembre 2017 à 20 h 01 min.