Extraits pertinents : 1 Le demandeur, un bon client du Salon Bar 18, propriété du défendeur, s'y rend dans la matinée du 2 août 1996; après quelques consommations, alors qu'il s'est endormi, quelques-uns de ses compagnons en profitent pour le maquiller en bouffon et prendre des photos. 2 Le défendeur, malgré les protestations catégoriques du demandeur, entreprit d'afficher à quelques endroits dans son bar les photos déjà prises pendant quelques mois. 3 Le demandeur allègue que l'affichage de ces photos par le défendeur a été fait de façon malicieuse et dans le but de le ridiculiser; aussi, pour atteinte à sa vie privée et à sa réputation il réclame des dommages-intérêts de $7,000.00. 4 Le défendeur reconnaît qu'il a permis l'affichage des photos du demandeur dans son bar, mais nie que ce geste ait été fait dans un but malicieux; selon lui, c'est strictement pour être complice de ses compagnons qu'il s'est prêté à cette plaisanterie; enfin, il plaide que le demandeur n'a subi aucune atteinte à sa vie privée ou à sa réputation. 8 Le défendeur raconte ce qu'il a vu comme témoin de l'incident survenu le 2 août 1996: des compagnons du demandeur, dans le but de monter une plaisanterie entreprirent de maquiller le demandeur; c'est lui qui a pris des photos avec son appareil; un peu plus tard, dit-il, il a affiché ces photos une fois agrandies sur les murs de son établissement pendant une période de quatre à cinq semaines au total. Il reconnaît que le demandeur lui a demandé de cesser d'afficher les photos et qu'il a quand même continué à le faire à cause de la manière menaçante de son intervention. Il insiste pour dire que son intention était de faire rire les clients qui n'étaient pas nombreux à cette époque, soit environ une quarantaine. Le Droit: 10 La Charte des droits et libertés de la personne consacre, à l'article 4 le droit à la réputation: Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. Est aussi garanti le droit à la vie privée, selon l'article 5: Toute personne a droit au respect de sa vie privée. 11 Conséquemment, la Charte québécoise prévoit des recours possibles en cas de violation d'un droit: Art. 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnue par la présente charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation de préjudice moral ou matériel qui en résulte. 12 En cas d'atteinte illicite ou intentionnelle, le Tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires. 13 Il est aussi possible d'invoquer les articles 35 et 1457 du Code civil du Québec. Art. 35: Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée. Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci ou ses héritiers y consentent ou sans que la loi l'autorise. 14 La jurisprudence dans ce domaine est nombreuse et variée; il y a lieu de distinguer parmi celle-ci, les recours fondés sur la publication ou la diffusion de déclarations fausses, injurieuses et dommageables à la réputation2 et les recours fondés sur l'utilisation non autorisée d'une photographie qui constitue une atteinte au droit à l'image et à la vie privée3. 15 Quant au droit à l'image qui fait partie du droit à la vie privée consacré par l'article 5 de la Charte québécoise, voici en quels termes la Cour suprême l'a décrit4 dans l'affaire Aubry c. Vice-Versa : A notre avis, le droit à l'image, qui a un aspect extrapatrimonial et un aspect patrimonial, est une composante du droit à la vie privée inscrit à l'art. 5 de la Charte québécoise. Cette constatation est conforme à l'interprétation large donnée à la notion de vie privée dans le récent arrêt Godbout c. Longueuil (Ville) , (1997) 1997 CanLII 335 (CSC), 3 R.C.S. 844 , et dans la jurisprudence de notre Cour. Voir R. c. Dyment , (1988) 1988 CanLII 10 (CSC), 2 R.C.S. 417 , à la p. 427. Dans l'affaire Godbout c. Longueuil (Ville) , la Cour suprême a décidé que la protection accordée à la vie privée vise à garantir une sphère d'autonomie individuelle relativement à l'ensemble des décisions qui se rapportent à des «choix de nature fondamentalement privée ou intrinsèquement personnelle» (par. 98). Dans la mesure où le droit à la vie privée consacré par l'art. 5 de la Charte québécoise cherche à protéger une sphère d'autonomie individuelle, ce droit doit inclure la faculté de contrôler l'usage qui est fait de son image puisque le droit à l'image prend appui sur l'idée d'autonomie individuelle, c'est-à-dire sur le contrôle qui revient à chacun sur son identité. Nous pouvons aussi affirmer que ce contrôle suppose un choix personnel. Notons enfinque l'art. 36 du nouveau Code civil du Québec. L.Q. 1991. ch. 64, qui ne trouve cependant pas application en l'espèce, confirme cette interprétation puisqu'il reconnaît comme atteinte à la vie privée le fait d'utiliser le nom d'une personne, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute aure fin que l'information légitime dupublic. Puisque le droit à l'image fait partie du droit au respect de la vie privée, nous pouvons postuler que toute personne possède sur son image un droit qui est protégé Ce droit surgit lorsque le sujet est reconnaissable. Il faut donc parler de violation du droit à l'image, et par conséquent de faute, dès que l'image estpubliée sans consentement et qu'elle permet l'identification de la personne. Voir Field c. United Amusement Corp. , (1971) C.S. 283. 16 Dans ce même arrêt, on précise que le droit à l'image ne doit pas être confondu avec le droit à l'honneur et à la réputation. Le droit au respect de la vie privée ne saurait se confondre avec le droit à l'honneur et à la réputation inscrit à l'art. 4 de la Charte québécoisemême si, dans certains cas, une publication fautive de l'image peut, à elle seule, entraîner une atteinte à l'honneur et à la réputation. Toutepersonne ayant droit à la protection de sa vie privée, et à son image étant protégée à ce titre, les droits propres à la protection de la vie privée pourront être violés même si l'image publiée n'a aucun caractère répréhensible et n'a aucunement porté atteinte à la réputation de la personne. Analyse: 17 A la lumière des principes déjà vus, il y a lieu de répondre à la question soulevée: l'image ou la réputation du demandeur a-t-elle été atteinte par les agissements du défendeur? Le Tribunal répond par l'affirmative pour les raisons suivantes. D'une part, n'est pas contesté le fait que trois photographies ontété affichées dans le bar du défendeur et ce, sans son consentement; il y a donc atteinte au droit à la vie privée du demandeur garanti par l'article 5de la Charte québécoise. D'autre part, en raison du maquillage apparaissant sur le visage du demandeur dans ces photographies, celles-ci revêtent un caractèrerépréhensible en ce sens qu'elles visent à ridiculiser le demandeur en le présentant comme un bouffon; il y a là, par conséquent, atteinte à l'honneur et à la réputation du demandeur, soit une violation du droit consacré par l'aricle 64 de la Charte québécoise. 18 Ces deux violations des droits du demandeur donnent ouverture à un recours pour préjudice moral et matériel, tel que l'autorise l'article 49, al. 1 de la Charte québécoise. 23 Il est pertinent de noter que très peu de personnes, environ une quarantaine d'habitués, ont eu l'occasion de voir les photographies du demandeur et que l'affichage n'a duré que de 4 à 5 semaines. Cette diffusion restreinte et de courte durée ne permet pas au demandeur de prétendre à un grand préjudice moral; à part ce sentiment d'humiliation, parce qu'il devenait la risée de la clientèle du bar, la preuve ne révèle aucun autre préjudice moral subi par le demandeur. 24 Dans l'arrêt Aubry c. Vice Versa 7, on décrit de la façon suivante le dommage résultant de la publication non autorisée d'une photographie: Les dommages doivent, par conséquent, être prouvés. Comme le souligne le doyen Nerson dans sa thèse Les droits extrapatrimoniaux (1939), à la page 384 (citée dans Potvin, op. cit., à la p. 272), le dommage «peut consister simplement dans le déplaisir qu'éprouve la personne à devenir une “figure connue”». La publication de l'image d'une personne qui divulgue une scène de sa vie privée porte atteinte au sentiment de pudeur «éminemment respectable» de la victime et peut lui causer un préjudice moral considérable. Monsieur J. Ravanas décrit ainsi, dans sa thèse intitulée La protection des personnes contre la réalisation et la publication de leur image (1978), no 347, aux pp. 388 et 389 (cité dans Potvin, op. cit., à la p. 274), les éléments du préjudice moral: Un tel sentiment risque d'être froissé chaque fois que le photographe s'immisce dans la vie privée des personnes ou la livre en pâture au public. L'objectif photographique saisit un moment humain dans ce qu'il y a de plus intense, et, par la vertu de l'instantané, ce moment est «profané». L'instant privilégié de la viepersonnelle devient «cette image-objet offerte à la curiosité du plus grand nombre». Celui qui est surpris dans sa vie intime par le chasseur d'images est dépouillé de sa transcendance et de sa dignité d'homme car il est alors réduit à l'état de «spectacle» pour autrui... Cette «indécence del'image» prive les personnes représentées de leur substance la plus secrète. 25 Le préjudice souffert par le demandeur, bien que réel, est plutôt minimal; à titre d'indemnité, le Tribunal considère qu'une somme de $500.00 est appropriée. 27 Dans le cas qui nous occupe, il a été démontré clairement par la preuve que le défendeur connaissait les conséquences que sa conduite engendrait, à savoir l'humiliation du demandeur provoquée par l'affichage des photographies. De plus, malgré les protestations du demandeur, le défendeur a continué l'affichage desphotographies pour se venger du demandeur. 28 Aux yeux du Tribunal, les agissements du défendeur constituent des atteintes intentionnelles et illicites au droit de la vie privée et au respect de l'honneur et de la dignité du demandeur. 29 Le demandeur est en droit de réclamer des dommages exemplaires pour que soient dénoncés suffisamment de tels agissements et afin de décourager toute récidive. De l'avis du Tribunal, une somme de $500.00 à titre de dommages exemplaires est justifiée. Conclusions: 30 Le demandeur a démontré le bien-fondé de son action en faisant la preuve que ses droits consacrés par la Charte québécoise quant au respect de sa vie privée, son honneur et sa réputation, ont été brimés par le défendeur; à titre de dommages compensatoires, le Tribunal lui accorde $500.00, en plus de dommages exemplaires de $500.00, pour un total de $1,000.00. Pour ces Motifs, Le Tribunal: 31 ACCUEILLE l'action du demandeur; 32 CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de $1,000.00 ($500.00 à titre de dommages compensatoires et $500.00 à titre de dommages exemplaires) avec intérêts à compter de l'assignation en plus de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec et les frais. 2. St. Cyr c. Syndicat des ouvriers deu fer et du tirane , J.E., 98-2212 3. Les Editeurs Vice-Versa Inc. c. Aubry , 1998- 1998 CanLII 817 (CSC), 1 R.C.S. 591 6. voir Aubry c. Vice-Versa , à la page 613 7. pécité, pages 620-621 Dernière modification : le 30 novembre 2017 à 19 h 14 min.