Extraits pertinents :

[13]  La Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur la recevabilité en preuve d'un rapport d’enquête et d’un enregistrement vidéo réalisés à la demande de l’employeur à la suite d’une surveillance de la travailleuse par filature.

[14] La preuve est annoncée par l’employeur à l’audience après qu’il ait interrogé la travailleuse. Cette dernière s’oppose au dépôt de cette preuve au motif que la filature, effectuée sans motif valable, viole son droit à la vie privée. Le tribunal a suspendu l’audience sur les requêtes de l’employeur afin de se prononcer préalablement sur la recevabilité de la vidéo et du rapport d’enquête.

[21] La Charte canadienne ne vise que les relations entre l’individu et l’État ou un de ses mandataires alors que la Charte québécoiseconcerne également les relations de nature privée. La CSST se doit donc de respecter les droits garantis par la Charte canadienne dans ses actions et décisions envers un bénéficiaire. La question est plus complexe pour l’employeur. Même s’il s’agit d’une partie privée, son action dans le cadre de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles s’exerce parfois de façon concurrente avec la CSST, notamment dans l’encadrement de la procédure d’évaluation médicale. Il serait donc pour le moins étrange d’imposer à la CSST de respecter des droits prévus à la Charte canadienne, notamment en matière de filature, alors que l’employeur ne serait pas tenu de le faire.

[22]  Cette distinction entre la Charte canadienne et québécoise demeure toutefois théorique en matière de filature dans la mesure où, selon la Cour suprême, ces deux Chartes protègent le droit à la vie privée[17]. En vertu de la Charte canadienne, le droit à la vie privée, selon le contexte, découle d’une interprétation large des articles 7 et 8.

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives

[23]        À la Charte québécoise, ce droit est spécifiquement prévu à l’article 5 :

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

[24]  Le droit à la vie privée peut également être modulé par l’application de l’article 1 de la Charte canadienne et de l’article 9.1 de la Charte québécoise. Ces deux articles, à nouveau, doivent recevoir la même interprétation selon la Cour suprême[18].

[25] Dans les premières causes concernant la surveillance électronique et la filature, le tribunal s’est montré réticent à appliquer la protection de la vie privée. La plupart des décisions antérieures à 1999 ne font aucune analyse de la recevabilité de la preuve[19] ou l’analyse sous l’angle de la pertinence seulement[20].

[29] Le législateur a tenu compte de ce contexte lorsqu’il a encadré les règles de preuve civile en adoptant en 1994 le nouveau Code civil du Québec. Il inclut spécifiquement le droit à la vie privée aux articles 335 et 36 du Code civil du Québec[24]. Il stipule ensuite, à l’article 2858 du même Code civil, que le tribunal doit rejeter, même d’office, une preuve obtenue dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tel le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Ces droits sont incessibles.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants :

1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;

2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;

3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;

4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

[…]

  1. Le tribunal doit, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Il n'est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu'il s'agit d'une violation du droit au respect du secret professionnel.

[32]  Dans la première décision, Ville de Mascouche et Houle[25] (l’arrêt Ville de Mascouche), la Cour d’appel s’appuie sur la Charte canadienne, sur la Charte québécoise et sur l’article 2858 du Code civil pour décider de la recevabilité, dans le cadre d’une contestation de congédiement par un employé-cadre, d’une écoute électronique. Il s’agit d’une écoute clandestine puisque l’auteur des enregistrements, un voisin de l’employé visé, a intercepté les conversations à l’aide d’un balayeur d’ondes. C’est dans ce contexte que le juge Robert s’exprime sur la portée à accorder à la protection de la vie privée prévue aux Chartes, en rupture avec la seule considération de la pertinence de la preuve :

Le droit à la vie privée vise à protéger les attentes raisonnables des individus en matière de vie privée et ne s'analyse pas en procédant à un examen ex post facto du contenu des communications interceptées, pour déterminer si elles concernent ou non la vie intime d'une personne. Cela reviendrait à dire que la protection du droit à la vie privée ne jouerait qu'après coup, une fois que le droit a été violé.

[33] La même année, la Cour d’appel se prononce sur l’admissibilité en preuve, lors d’un arbitrage de grief, d’une enquête faisant suite cette fois à une surveillance par filature dans l’arrêt Syndicat des travailleurs (euses) de Bridgestone Firestone de Joliette (CSN) et Trudeau[26] (l’arrêt Bridgestone). Le salarié congédié s’objecte au dépôt de la preuve en alléguant son droit à la vie privée. L’employeur prétend que l’enregistrement est pertinent puisque le salarié aurait menti dans le but de retirer des avantages de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. La cause concerne donc une lésion professionnelle, mais de façon accessoire à un arbitrage de grief. La Cour analyse la question sous l’angle de la Charte québécoise et du Code civil puisqu’il s’agit d’un litige entre deux parties privées. Le juge LeBel, au nom de la majorité, rappelle que le droit à la vie privée d’un individu ne se limite pas géographiquement aux seuls lieux privés, mais existe aussi dans les lieux publics. Dans une telle perspective, selon le juge, la procédure de surveillance et de filature représente à première vue une atteinte à la vie privée. Il ajoute que la surveillance pourra être admise en conformité avec l’article 9.1 de la Charte québécoise à condition d’être justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables.

[35] Ces principes sont réaffirmés par la Cour d’appel en 2008 dans l’arrêt Veilleux et Compagnie d’assurance-vie Penncorp[27]. Se prononçant sur la recevabilité d’une preuve obtenue à la suite d’une filature effectuée par une compagnie d’assurance qui désire surveiller les agissements d’un assuré, la Cour d’appel rappelle que toute surveillance ne constitue pas une atteinte illicite au droit à la vie privéeprotégé par l’article 5 de la Charte québécoise. En s’appuyant sur l’arrêt Bridgestone, elle précise que cette preuve peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables au sens de l’article 9.1 de la Charte. Elle qualifie également la filature de « moyen extrême » et stipule que l’employeur peut vérifier l’état de santé d’un salarié par d’autres moyens. Les mêmes principes en référence à l’arrêt Bridgestone sont repris par la Cour d’appel en 2010 dans Compagnie d'assurances Standard Life c. Tremblay[28].

[36] À la lumière de ces principes, la Commission des lésions professionnelles a élaboré ses propres critères d’admissibilité de la preuve lorsque la violation du droit à la vie privée est alléguée, lesquels critères découlent directement de la décision rendue par la Cour d’appel dans l’arrêt Bridgestone. Le contexte général dans lequel s’inscrivent ces critères est résumé en ces termes dans Perreault et Camoplast inc.[29] :

[…]

[126]      La lecture combinée de ces articles amène le tribunal à conclure que, pour déclarer une preuve inadmissible, conformément à l’article 2858 du C.c.Q., deux conditions doivent être réunies, la première est de déterminer si la preuve a été obtenue en violation d’un droit fondamental et, si oui, si elle est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[127]      Aux fins de déterminer si la preuve a été obtenue en violation d’un droit fondamental, dont le droit à la vie privée, il importe de référer aux principes établis par la Cour d’appel dans l’affaire Bridgestone. La Cour d’appel établit des principes dans les questions d’admissibilité d’une preuve par filature.

[128]      La Cour d’appel rappelle que le concept de vie privée n’est pas limité géographiquement aux seuls lieux privés, mais aussi aux lieux publics. Ce droit à la vie privée comporte le droit à l’anonymat et à l’intimité. Ce droit n’est donc pas limité aux lieux, mais suit et se rattache à la personne selon la Cour d’appel qui référait sur ce point à une décision de la Cour suprême dans l’affaire Vice-Versa c. Aubry8.

[129]      Selon la Cour d’appel, une procédure de surveillance et de filature représente, à première vue, une atteinte à la vie privée.

[130]      Mais cette atteinte peut être justifiée, tel que le prévoit l’article 9.1 de la Charte. Et, reprenant un avis émis par la Commission des droits de la personne du Québec en 1999 concernant la surveillance du salarié absent pour raison de santé, la Cour d’appel retient que la surveillance peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables, comme l’exige l’article 9.1 de la Charte. Il ne peut s’agir d’une décision arbitraire. […]

 

[43] Ainsi, dans la mesure où la bonne foi se présume et que le droit fondamental à la vie privée d’un individu ne se limite pas aux seuls lieux privés, la décision de l’employeur de recourir à la surveillance par filature doit s’effectuer dans un cadre précis et rigoureux. Et cette décision ne peut en aucun cas se justifier par le résultat même de l’enquête. Le critère de la mise en doute de l’honnêteté du travailleur permet justement d’encadrer adéquatement ce choix; il permet d’exclure les situations qui ne visent qu’à s’assurer de la loyauté ou de la bonne foi d’un travailleur qui a recours au régime de protection contre les lésions professionnelles sans motif rationnel pour mettre en doute cette loyauté et cette bonne foi.

[44] Une fois la rationalité de sa décision établie, l’employeur devra ensuite répondre au critère de proportionnalité en établissant que le recours à la filature apparaissait nécessaire pour la vérification du comportement du travailleur et que, par ailleurs, cette surveillance a été menée de la façon la moins intrusive possible.

[49] À titre d’exemple, le juge Beaudoin dans l’arrêt Bridgestone, affirme qu’il serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice civile de rejeter une preuve par filature obtenue dans des conditions qui portent atteinte au droit à la vie privée du travailleur, mais qui permet d’établir l’existence d’une « fraude caractérisée, volontairement ou involontairement soutenue par une complicité médicale ».

[55] Or, il ne suffit pas d’avoir des contradictions ou incohérences d’ordres médical ou factuel pour procéder à une surveillance par filature en dehors du milieu de travail. Il faut que ces contradictions et incohérences, par leur importance, leur nature et par la fiabilité des sources d’information, soient suffisamment sérieuses pour mettre en doute l'honnêteté du comportement du travailleur.

[56] En résumé, la surveillance par filature en dehors du milieu de travail, lorsqu’utilisée comme méthode d’enquête par l’employeur, viole de prime abord le droit à la vie privée du travailleur, droit fondamental protégé par les chartes canadienne et québécoise et par le Code civil du Québec. Le fruit de cette surveillance sera donc inadmissible en preuve à moins que la décision de recourir à ce mode d’enquête respecte les critères suivants :

  • Au moment de procéder à l’enquête, l’employeur possède des informations sérieuses permettant de mettre en doute l’honnêteté du comportement du travailleur à l’égard des bénéfices que ce dernier retire du régime de protection contre les lésions professionnelles;
  •  le recours à la filature constitue le seul moyen de vérifier le comportement du travailleur;
  •  la surveillance est menée de la façon la moins intrusive possible.

[58] À la lumière de ces principes, le tribunal se doit, dans le présent dossier, de rejeter la preuve obtenue par l’employeur à la suite d’une surveillance de la travailleuse par filature.

[59] Rappelons que la travailleuse, qui occupe un emploi d’agente de préembarquement, allègue s’être blessée au travail le 8 décembre 2012 en tentant de rattraper une valise qui lui glisse des mains. La CSST, à la suite d’une révision administrative, a reconnu l’existence d’une lésion professionnelle ayant entraîné une tendinite à l’épaule droite. Cette décision est contestée par l’employeur (dossier 509996).

[60] La travailleuse bénéficie d’un arrêt de travail de deux semaines et retournera progressivement au travail en assignation temporaire. Au départ à deux jours par semaine, la travailleuse retourne à temps complet à l’été 2013. Elle occupe un poste à la radioscopie qui consiste à observer un moniteur en position assise, une des tâches qu’elle exécute également à son emploi habituel.

[62] La décision de recourir à la filature a été prise au mois d’octobre 2013 par madame Roxanne Lanctôt, responsable de la gestion des dossiers en matière de lésion professionnelle chez l’employeur. C’est elle qui assure le suivi du dossier de la travailleuse depuis que celle-ci a subi sa lésion professionnelle le 8 décembre 2012.

[63] À l’audience, madame Lanctôt affirme que vers le mois de mai 2013, des rumeurs circulent au travail voulant que la travailleuse exerce un métier de coiffeuse. Elle ne porte pas une attention particulière à l’information puisque la condition de la travailleuse s’améliore.

[66] En septembre 2013, l’employeur suspend la travailleuse pendant trois jours pour avoir coiffé une collègue durant les heures de travail. La travailleuse reconnaît avoir coiffé sa collègue, mais durant une pause. Un grief est déposé par la travailleuse. Ce grief est toujours pendant.

[67] Madame Lanctôt est avisée de la situation et fait enquête. Durant cette enquête, des employés lui confirment que la travailleuse est coiffeuse. Elle obtient une copie de sa carte professionnelle et découvre des photos de la travailleuse sur le site Internet du salon de coiffure. Après avoir consulté le département des ressources humaines et des conseillers juridiques, elle décide de procéder à une surveillance par filature pour filmer la travailleuse à son insu. Le but est de visualiser les gestes exécutés par la travailleuse lorsqu’elle coiffe ses clients.

[68] Questionnée à l’audience, madame Lanctôt reconnaît qu’elle n’a pas demandé à la travailleuse si elle travaillait dans un salon de coiffure. Elle explique qu’elle ne voulait pas éveiller des soupçons et compromettre l’enquête

[70] D’emblée, le tribunal reconnaît que la méthode d’enquête choisie est peu intrusive. Elle s’effectue dans des endroits publics seulement, donc à la vue de tous, et sur une seule journée.

[71]  Pour justifier le recours à la filature, l’employeur allègue à l’audience que l’information disponible au moment de mandater l’enquêteur permettait de mettre en doute l’honnêteté de la travailleuse. Celle-ci n’a jamais déclaré exercer le métier de coiffeuse, activité que l’employeur juge incompatible avec la lésion qui affecte l’épaule droite. Il ajoute que le moyen pris est le seul qui permettait d’obtenir l’information désirée, soit de visualiser les gestes exécutés par la travailleuse comme coiffeuse. Enfin, la méthode est peu intrusive puisqu’il s’agit à son avis d’images prises durant une seule journée et dans des endroits accessibles au public.

[72]  La travailleuse ne partage pas cet avis. Elle affirme que l’employeur ne lui a jamais demandé si elle occupait un emploi de coiffeuse. Elle ajoute qu’elle n’avait aucune intention de cacher l’information. Elle a d’ailleurs affiché sa carte professionnelle sur un babillard au travail. Pour la rencontre avec le docteur Goulet, elle affirme avoir oublié de lui déclarer qu’elle possédait un salon de coiffure, oubli qu’elle tente de corriger le lendemain de l’examen. À l’audience, elle dépose une copie du courriel transmis au médecin. En voici le contenu :

Bonjour,

Dans mon evaluation médical j’ai oublié de mentionner au médecin que je suis propriétaire d’un salon de coiffure et je m’occupe de l’administration.

Si vous avez besoin de plus de rensignements vous pouvez me contacter au […].

Merci

[sic]

[79]  Par le biais de la surveillance par filature et en s’appuyant sur l’examen du docteur Goulet, l’employeur désire démontrer que l’exercice de l’emploi de coiffeuse est incompatible avec les plaintes de la travailleuse et les restrictions imposées en assignation temporaire par le médecin qui a charge. Cette preuve est pertinente pour établir la date de la consolidation de la lésion, question dont est saisi le tribunal. L’employeur désire également mettre en doute la crédibilité de la travailleuse en confrontant son témoignage, livré à l’audience avant de connaître l’existence de l’enquête, avec les images filmées lors de cette enquête.

[80] Or, la preuve dont dispose l’employeur en octobre 2013 au moment de mandater l’enquêteur ne permet pas de mettre en doute l’honnêteté de la travailleuse.

[81] Il existe certainement un désaccord sur la question de la consolidation de la lésion; le docteur Goulet observe des mouvements complets des épaules sans signe clinique de lésion alors que le médecin de la travailleuse maintient les traitements et l’assignation temporaire et dirige la travailleuse en orthopédie. La loi prévoit une procédure d’évaluation médicale pour ce type de désaccord et l’employeur s’en est d’ailleurs prévalu. Par contre, ce questionnement d’ordre médical ne permet pas d’établir que la travailleuse simule une lésion ni n’en exagère les symptômes, ce qui aurait pu soulever des doutes sur sa bonne foi et son honnêteté.

[83] La preuve est enfin insuffisante pour établir par prépondérance que la travailleuse, au moment où l’employeur décide de procéder à une filature, cachait à son employeur de l’information qu’elle savait ou devait savoir pertinente aux fins de l’indemnisation de sa lésion professionnelle, comme celui d’exercer le métier de coiffeuse. Sa carte professionnelle est affichée au travail, le site Internet du salon est accessible au public, les collègues de travail en connaissent l’existence et la travailleuse a coiffé une collègue au travail en septembre 2013, ce qui lui a valu une mesure disciplinaire un mois avant que l’enquêteur ne soit mandaté.

[84] Contrairement à un travailleur qui se dit inapte au travail et bénéficie d’indemnités de remplacement du revenu, la travailleuse exécute également une assignation temporaire à temps complet au moment où la décision d’effectuer une filature est prise.

[87] De plus, le seul fait d’exercer le métier de coiffeuse au moment où l’employeur décide de mandater un enquêteur en octobre 2013 ne remet aucunement en doute l’honnêteté de la travailleuse. Celle-ci est de retour à temps complet à un poste qu’elle occupe habituellement depuis l’été 2013 et le docteur Goulet confirme que la mobilité des épaules est complète, conclusion confirmée par la docteure Desloges.

[88]  L’employeur ne possédait donc pas d’informations sérieuses permettant de mettre en doute l’honnêteté du comportement de la travailleuse au moment de mandater l’enquêteur qui a procédé à la filature.

[89] La démarche de l’employeur ne répond pas non plus au deuxième critère identifié par la Cour d’appel, soit celui de la proportionnalité.

[90]        En effet, la mise en preuve des gestes effectués par la travailleuse à titre de coiffeuse peut s’effectuer autrement que par un moyen aussi extrême que la filature. Au minimum, l’employeur aurait pu poser la question à la travailleuse et procéder ensuite, si nécessaire, à une analyse du travail effectué par la travailleuse à titre de coiffeuse. Sur cet aspect, le présent dossier se distingue de l’affaire Ville de Montréal et Piché[43] où la filature faisait suite à une évaluation ergonomique.

[92] Le tribunal est donc d’avis que la preuve obtenue par l’employeur à la suite d’une surveillance par filature en dehors du milieu de travail contrevient au droit à la vie privée de la travailleuse, droit fondamental protégé par la Charte canadienne, la Charte québécoise et le Code civil du Québec.

[98] Le rapport d’enquête et la preuve par vidéo sont donc rejetés puisqu’obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux de la travailleuse et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête incidente de madame Gloria Elena Diaz, la travailleuse;

DÉCLARE irrecevables comme éléments de preuve les images vidéo et le rapport d’enquête obtenus le 9 novembre 2013 à la suite d’une surveillance par filature;

CONVOQUERA les parties en audience afin que le tribunal puisse disposer des requêtes au fond.


Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 16 h 12 min.