Extraits pertinents : [2] Le demandeur et la mise en cause Mary Anastasia Curtin-Savard sont les enfants de Mary Wallmeyer Curtin-Savard décédée le 14 janvier 2011. Le litige qui les oppose prend sa source dans le testament de leur mère signé le 21 novembre 2006 et vérifié le 29 avril 2011. [3] Dans ce testament, madame Curtin-Savard pose à ses héritiers certaines conditions visant à assurer la pérennité du nom de famille de son premier mari Joseph Aloysius Curtin. [43] Reste donc à déterminer si le droit à l'intégrité et au maintien de son nom fait partie des droits fondamentaux protégés par la Charte et si ce droit est brimé par la condition. [44] Faisant flèche de tout bois, le demandeur réfère le tribunal aux articles suivants de la Charte : 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée. 50. La Charte doit être interprétée de manière à ne pas supprimer ou restreindre la jouissance ou l'exercice d'un droit ou d'une liberté de la personne qui n'y est pas inscrit. [45] Le droit au respect de son nom n'est pas mentionné expressément dans la Charte. Le Code civil du Québec l'inclut toutefois dans les droits de la personnalité à l'article 3. 3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. Ces droits sont incessibles. [47] Au chapitre du respect de la réputation et de la vie privée se trouvent les articles 35 et 36 qui énoncent: 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée. Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise. 36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants: 1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit; 2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée; 3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés; 4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit; 5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public; 6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels. [51] En plus d'être un élément du droit de la personnalité, le nom bénéficie de la protection accordée à la vie privée comme l'indique l'article 36 C.c.Q.. Dans l'arrêt Aubry c. Éditions Vice-Versa[9], les juges L'Heureux-Dubé et Bastarache écrivent pour la majorité : Dans l’affaire Godbout c. Longueuil (Ville), la Cour suprême a décidé que la protection accordée à la vie privée vise à garantir une sphère d’autonomie individuelle relativement à l’ensemble des décisions qui se rapportent à des «choix de nature fondamentalement privée ou intrinsèquement personnelle» (par. 98). Dans la mesure où le droit à la vie privée consacré par l’art. 5 de la Charte québécoise cherche à protéger une sphère d’autonomie individuelle, ce droit doit inclure la faculté de contrôler l’usage qui est fait de son image puisque le droit à l’image prend appui sur l’idée d’autonomie individuelle, c’est-à-dire sur le contrôle qui revient à chacun sur son identité. Nous pouvons aussi affirmer que ce contrôle suppose un choix personnel. Notons enfin que l’art. 36 du nouveau Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, qui ne trouve cependant pas application en l’espèce, confirme cette interprétation puisqu’il reconnaît comme atteinte à la vie privée le fait d’utiliser le nom d’une personne, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public. (soulignement ajouté) [52] Ainsi, dans cette sphère d'autonomie individuelle garantie par le droit à la vie privée se trouve la faculté de maintenir ou de modifier son nom, lequel constitue « l'imprimatur » de la personnalité[10]. [53] La condition posée ici par la testatrice porte-t-elle atteinte à la faculté de ses héritiers de maintenir le nom de famille qui leur a été donné ou qu'ils ont choisi ? [54] Le tribunal estime que oui. [67] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : [68] ACCUEILLE la requête du demandeur. [69] DÉCLARE nulle et non écrite la condition stipulée dans le testament de feue Mary Wallmeyer Curtin-Savard imposant au demandeur, à la mise en cause et à leurs enfants l'obligation de porter et d'utiliser le nom de famille de « Curtin » ou « Curtin-Savard » pour être bénéficiaires de la fiducie Curtin-Savard. Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 14 h 56 min.