Extraits pertinents :

Résumé :

La police a découvert l’adresse de protocole Internet (IP) de l’ordinateur qu’une personne avait utilisé pour accéder à de la pornographie juvénile et pour la stocker à l’aide d’un programme de partage de fichiers.  Elle a ensuite obtenu auprès du fournisseur de services Internet (FSI), sans autorisation judiciaire préalable, les renseignements relatifs à l’abonnée à qui appartenait cette adresse IP.  Il s’agit d’une demande qui aurait été fondée sur le sous-al. 7(3)c.1)(ii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE).  Les policiers ont ainsi découvert l’accusé.  Celui-ci avait téléchargé de la pornographie juvénile à partir d’Internet avant de sauvegarder les fichiers en question dans un répertoire qui était accessible à d’autres internautes utilisateurs du même programme de partage de fichiers. L’accusé a été inculpé et déclaré coupable au procès de possession de pornographie juvénile, mais il a été acquitté de l’accusation de la rendre accessible.  La Cour d’appel a confirmé la déclaration de culpabilité; elle a cependant annulé l’acquittement et ordonné la tenue d’un nouveau procès.

                    Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

On détermine s’il existe une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, compte tenu de l’ensemble des circonstances, en examinant et en soupesant un grand nombre de facteurs interreliés.  Dans la présente affaire, le litige porte principalement sur l’objet de la fouille ou de la perquisition et sur la question de savoir si l’attente subjective de l’accusé en matière de vie privée était raisonnable.  Les deux éléments pertinents pour déterminer le caractère raisonnable de son attente au respect de sa vie privée sont, d’une part, la nature de l’intérêt en matière de vie privée qui est en jeu et, d’autre part, le cadre législatif et contractuel régissant la communication par le FSI des renseignements relatifs à l’abonnée.

Pour définir l’objet d’une fouille ou d’une perquisition, les tribunaux examinent non seulement la nature des renseignements précis recherchés, mais aussi la nature des renseignements qui sont ainsi révélés. En l’espèce, la fouille ou la perquisition n’avait pas simplement pour objet le nom et l’adresse d’une personne qui était liée par contrat au FSI. Il s’agissait plutôt de l’identité d’une abonnée aux services Internet à qui correspondait une utilisation particulière de ces services.

La nature de l’intérêt en matière de vie privée visé par l’action de l’État tient au caractère privé du lieu ou de l’objet visé par la fouille ou la perquisition ainsi qu’aux conséquences de cette dernière pour la personne qui en fait l’objet, et non à la nature légale ou illégale de la chose recherchée.  En l’espèce, on s’intéresse principalement au caractère privé des renseignements personnels.  Ce dernier est souvent assimilé à la confidentialité.  Il comprend également la notion connexe, mais plus large, de contrôle sur l’accès à l’information et sur l’utilisation des renseignements.  L’anonymat en tant que facette du droit à la vie privée revêt cependant une importance particulière dans le contexte de l’utilisation d’Internet.  Il faut reconnaître que l’identité d’une personne liée à son utilisation d’Internet donne naissance à un intérêt en matière de vie privée qui a une portée plus grande que celui inhérent à son nom, à son adresse et à son numéro de téléphone qui figurent parmi les renseignements relatifs à l’abonné.  En établissant un lien entre des renseignements particuliers et une personne identifiable, les renseignements relatifs à l’abonné peuvent compromettre les droits en matière de vie privée quant à l’identité d’une personne en tant que source, possesseur ou utilisateur des renseignements visés.  Un certain degré d’anonymat est propre à beaucoup d’activités menées sur Internet et l’anonymat pourrait donc, compte tenu de l’ensemble des circonstances, servir de fondement au droit à la vie privée visé par la protection constitutionnelle contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.  En l’espèce, la demande de la police, dans le but d’établir un lien entre une adresse IP donnée et les renseignements relatifs à l’abonnée, visait en fait à établir un lien entre une personne précise et des activités en ligne précises.  Ce genre de demande concerne, en ce qui a trait aux renseignements personnels, le droit à la vie privée relatif à l’anonymat puisqu’elle vise à établir un lien entre le suspect et des activités entreprises en ligne sous le couvert de l’anonymat, activités qui, comme on l’a reconnu dans d’autres circonstances, mettent en jeu d’importants droits en matière de vie privée.

La question de savoir si la fouille effectuée en l’espèce était légitime est subordonnée à celle de savoir si elle était autorisée par la loi.  Ni le par. 487.014(1) du Code criminel, ni la LPRPDE n’ont pour effet de conférer à la police des pouvoirs en matière de fouilles, de perquisitions ou de saisies.  Le paragraphe 487.014(1) est une disposition déclaratoire qui confirme les pouvoirs de common law permettant aux policiers de formuler des questions.  La LPRPDE est une loi qui a pour objet d’accroître la protection des renseignements personnels.  Puisque, en l’espèce, les policiers n’avaient pas le pouvoir d’effectuer une fouille ou une perquisition pour obtenir des renseignements relatifs à l’abonnée en l’absence de circonstances contraignantes ou d’une loi qui n’a rien d’abusif, ils ne peuvent obtenir un nouveau pouvoir en matière de fouille ou de perquisition par l’effet combiné d’une disposition déclaratoire et d’une disposition adoptée afin de favoriser la protection des renseignements personnels.  L’exécution de la fouille ou de la perquisition en l’espèce violait donc la Charte.  Si les renseignements relatifs à l’abonnée ne lui avaient pas été communiqués, la police n’aurait pas pu obtenir le mandat.  Par conséquent, si ces renseignements sont écartés (ce qui doit être le cas, parce qu’ils ont été obtenus d’une façon inconstitutionnelle), il n’y avait aucun motif valable justifiant la délivrance d’un mandat.  La fouille ou la perquisition à la résidence était donc abusive et violait la Charte.

Les policiers se sont toutefois servi de ce qu’ils croyaient raisonnablement être des moyens légitimes pour poursuivre un objectif important visant l’application de la loi.  Par sa nature, la conduite des policiers en l’espèce ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.  Bien que l’incidence de la conduite attentatoire sur les droits de l’accusé garantis par la Charte favorise l’exclusion de la preuve, les infractions reprochées en l’espèce sont graves.  La société a un intérêt manifeste à ce que l’affaire soit jugée et à ce que le fonctionnement du système de justice demeure irréprochable au regard des individus accusés de ces infractions graves.  Une mise en balance de ces trois facteurs permet de conclure que c’est l’exclusion de la preuve, et non son admission, qui serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. 

L’admission de la preuve est donc confirmée.

I.              Introduction

[1] L’existence d’Internet remet en question la protection de la vie privée et soulève une multitude de questions inédites et épineuses à cet égard. Le présent pourvoi porte sur une de ces questions.

[2] La police a découvert l’adresse de protocole Internet (IP) de l’ordinateur qu’une personne avait utilisé pour accéder à de la pornographie juvénile et pour la stocker à l’aide d’un programme de partage de fichiers. Les policiers ont ensuite obtenu auprès du fournisseur de services Internet (FSI), sans autorisation judiciaire préalable, les renseignements relatifs à l’abonnée à qui appartenait cette adresse IP. Ils ont ainsi découvert l’appelant, M. Spencer. Celui-ci avait téléchargé de la pornographie juvénile dans un répertoire qui était accessible à d’autres internautes utilisateurs du même programme de partage de fichiers. M. Spencer a été inculpé, puis, au procès, déclaré coupable de possession de pornographie juvénile et acquitté de l’infraction de rendre accessible de la pornographie juvénile.

[3]  Au procès, M. Spencer a fait valoir que la police avait effectué une fouille ou une perquisition inconstitutionnelle lorsqu’elle a obtenu les renseignements relatifs à l’abonnée à qui appartenait l’adresse IP et que la preuve ainsi obtenue devait être écartée. [...]

[5]  Le présent pourvoi soulève quatre questions auxquelles je suis d’avis de répondre comme suit :

1.            L’obtention par la police, auprès du FSI, des renseignements sur l’abonnée à qui appartenait l’adresse IP constitue-t-elle une fouille ou une perquisition?

Je suis d’avis que oui.

2.            Si oui, la fouille ou la perquisition était-elle autorisée par la loi?

Je suis d’avis que non.

3.            Sinon, la preuve ainsi obtenue devrait-elle être écartée?

J’estime que la preuve ne devrait pas être écartée.

4.            Le juge du procès a-t-il commis une erreur relativement à l’élément de faute de l’infraction qui consiste à « rendre accessible »?

Le juge a effectivement commis une erreur et je suis d’avis de confirmer l’ordonnance de la Cour d’appel visant la tenue d’un nouveau procès.

II.           Analyse

A.           L’obtention par la police, auprès du FSI, des renseignements sur l’abonnée à qui appartenait l’adresse IP constitue-t-elle une fouille ou une perquisition?

[7] Monsieur Spencer, qui habitait avec sa sœur, se connectait à Internet à partir d’un compte ouvert au nom de cette dernière. Il utilisait le programme de partage de fichiers LimeWire sur son ordinateur pour télécharger de la pornographie juvénile à partir d’Internet. LimeWire est un logiciel gratuit de partage de fichiers poste à poste que chacun pouvait télécharger à l’époque sur son ordinateur. Les systèmes poste à poste, comme LimeWire, permettent aux utilisateurs de télécharger des fichiers directement à partir des ordinateurs d’autres utilisateurs. LimeWire ne comporte pas de base de données centrale. Il compte plutôt sur ses utilisateurs qui partagent directement leurs fichiers avec d’autres utilisateurs. Le logiciel est couramment utilisé pour télécharger de la musique et des films, mais il peut aussi servir à télécharger de la pornographie tant adulte que juvénile. C’est l’utilisation du programme de partage de fichiers par M. Spencer qui a retenu l’attention de la police et qui a finalement mené à la fouille ou à la perquisition qui fait l’objet du présent litige.

[8] À l’aide d’un logiciel accessible au public, l’agent Darren Parisien (nommé sergent-détective depuis), du Service de police de Saskatoon, a recherché des personnes qui partageaient des fichiers de pornographie juvénile. Il pouvait accéder au contenu des répertoires partagés appartenant à d’autres utilisateurs du logiciel. Autrement dit, il pouvait [traduction] « voir » ce que d’autres utilisateurs du programme de partage de fichiers pouvaient « voir ». Il pouvait également obtenir deux numéros associés à un utilisateur donné : l’adresse IP correspondant à la connexion Internet établie par un ordinateur et l’identificateur global unique (GUID), soit le numéro associé à chaque ordinateur qui utilise un logiciel donné. L’adresse IP de l’ordinateur à partir duquel on obtient des fichiers partagés est affichée dans le cadre du processus de partage de fichiers. Il y a peu de renseignements au dossier sur la nature des adresses IP en général ou des adresses IP que Shaw fournit à ses abonnés. Dans l’arrêt R. c. Ward2012 ONCA 660 (CanLII), 112 O.R. (3d) 321, par. 21-26, on trouve une description de certaines des différences qui existent entre les adresses IP. Pour les besoins de l’espèce, une chose est certaine : l’adresse IP qu’a obtenue le sergent-détective Parisien correspondait aux activités informatiques qui se déroulaient au moment précis où il les observait.

[11] Pour établir un lien entre les activités informatiques en question et un emplacement précis, et potentiellement une personne, les enquêteurs ont présenté par écrit à Shaw une [traduction] « demande de la part des autorités d’application de la loi » en vue d’obtenir des renseignements relatifs à l’abonnée qui utilisait cette adresse IP, soit, notamment, son nom, son adresse et son numéro de téléphone. La demande — qui aurait été fondée sur le sous-al. 7(3)c.1)(ii) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (LPRPDE) — indiquait que la police enquêtait sur une infraction prévue au Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, relative à la pornographie juvénile et à Internet et que les renseignements relatifs à l’abonnée étaient demandés aux fins d’une enquête qui était en cours. (Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe.) Les enquêteurs n’avaient pas obtenu ni tenté d’obtenir une ordonnance de communication (c.-à-d. l’équivalent d’un mandat de perquisition dans ce contexte).

[12] Shaw a donné suite à la demande et a fourni le nom, l’adresse et le numéro de téléphone de la sœur de M. Spencer, la cliente à qui appartenait l’adresse IP. À l’aide de ces renseignements, la police a obtenu un mandat permettant de perquisitionner dans la résidence de Mme Spencer, où habitait M. Spencer, et de saisir l’ordinateur de celui-ci, ce que les policiers ont fait. La fouille de l’ordinateur de M. Spencer a permis de découvrir environ 50 images et deux vidéos de pornographie juvénile.

[15] Suivant l’article 8 de la Charte, « [c]hacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. » La Cour insiste depuis longtemps sur la nécessité d’adopter, à l’égard de l’art. 8, une approche téléologique axée principalement sur la protection de la vie privée considérée comme une condition préalable à la sécurité individuelle, à l’épanouissement personnel et à l’autonomie ainsi qu’au maintien d’une société démocratique prospère : Hunter c. Southam Inc.1984 CanLII 33 (CSC)[1984] 2 R.C.S. 145, p. 156-157; R. c. Dyment1988 CanLII 10 (CSC)[1988] 2 R.C.S. 417, p. 427-428; R. c. Plant1993 CanLII 70 (CSC)[1993] 3 R.C.S. 281, p. 292-293; R. c. Tessling2004 CSC 67 (CanLII)[2004] 3 R.C.S. 432, par. 12-16; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 4012013 CSC 62 (CanLII)[2013] 3 R.C.S. 733, par. 22.

[17] On détermine s’il existe une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, compte tenu de l’ensemble des circonstances, en examinant et en soupesant un grand nombre de facteurs interreliés qui comprennent à la fois des facteurs relatifs à la nature des droits en matière de vie privée visés par l’action de l’État et des facteurs qui ont trait plus directement à l’attente en matière de respect de la vie privée, considérée tant subjectivement qu’objectivement, par rapport à ces droits : voir, p. ex., Tessling, par. 38; Ward, par. 65. La nécessité d’examiner ces éléments compte tenu de « l’ensemble des circonstances » fait ressortir le fait qu’ils sont souvent interdépendants, qu’ils doivent être adaptés aux circonstances de chaque cas, et qu’ils doivent être considérés dans leur ensemble.

[18] La grande variété et le nombre important de facteurs pouvant être pris en considération pour évaluer les attentes raisonnables en matière de respect de la vie privée peuvent être regroupés, par souci de commodité, en quatre grandes catégories : (1) l’objet de la fouille ou de la perquisition contestée; (2) le droit du demandeur à l’égard de l’objet; (3) l’attente subjective du demandeur en matière de respect de sa vie privée relativement à l’objet; et (4) la question de savoir si cette attente subjective en matière de respect de la vie privée était objectivement raisonnable, eu égard à l’ensemble des circonstances : Tessling, par. 32; R. c. Patrick2009 CSC 17 (CanLII)[2009] 1 R.C.S. 579, par. 27; R. c. Cole2012 CSC 53 (CanLII)[2012] 3 R.C.S. 34, par. 40. Il ne s’agit toutefois pas d’un examen purement factuel. L’attente raisonnable en matière de vie privée est de nature normative et non simplement descriptive : Tessling, par. 42. Ainsi, même si l’analyse du droit au respect de la vie privée tient compte du contexte factuel, elle « abonde [inévitablement] en jugements de valeur énoncés du point de vue indépendant de la personne raisonnable et bien informée, qui se soucie des conséquences à long terme des actions gouvernementales sur la protection du droit au respect de la vie privée privée » : Patrick, par. 14; voir aussi R. c. Gomboc2010 CSC 55 (CanLII)[2010] 3 R.C.S. 211, par. 34, et Ward, par. 81-85.

[24] Monsieur Spencer fait valoir que l’objet de la fouille ou de la perquisition contestée comportait des renseignements d’ordre biographique, soit des renseignements personnels et confidentiels sur les personnes habitant à l’adresse fournie par Shaw qui correspondait à l’adresse IP. Pour sa part, le ministère public soutient que la fouille ou la perquisition contestée visait plutôt simplement le nom, l’adresse et le numéro de téléphone correspondant à une adresse IP accessible au public.

[26] Je souscris pour l’essentiel aux conclusions formulées sur ce point par les juges Caldwell et Cameron de la Cour d’appel. Dans bien des cas, la définition de l’objet de la fouille ou de la perquisition fait l’unanimité. Cependant, dans les cas qui posent davantage de difficultés à cet égard, la Cour a adopté dans le passé une approche large et fonctionnelle, en examinant le lien entre la technique d’enquête utilisée par la police et l’intérêt en matière de vie privée qui est en jeu. La Cour a examiné non seulement la nature des renseignements précis recherchés, mais aussi la nature des renseignements qui sont ainsi révélés.

[30] La façon de définir l’objet d’une fouille ou d’une perquisition contestée a été examinée pour la dernière fois par la Cour dans l’arrêt Gomboc. Bien qu’elle fût divisée sur d’autres questions, elle s’est prononcée à l’unanimité sur le cadre d’analyse à appliquer pour déterminer l’objet d’une « fouille ou [d’une] perquisition ». Dans cette affaire, la Cour a examiné la fiabilité des inférences qu’il est possible de tirer à partir des données enregistrées à l’aide d’un ampèremètre numérique muni d’un enregistreur (AN) au sujet d’activités données se déroulant à l’intérieur d’une résidence pour déterminer si l’utilisation de l’ampèremètre constituait une fouille ou une perquisition. La juge Abella (avec l’accord des juges Binnie et LeBel) a tenu compte « de la solidité et de la fiabilité des inférences pouvant être tirées à partir des cycles de consommation d’électricité [. . .] relativement à la tenue d’une activité particulière à une adresse » : par. 81 (je souligne). La Juge en chef et le juge Fish ont affirmé que les données enregistrées par l’AN « éclairent sur les activités privées se déroulant à l’intérieur de la maison » : par. 119. La juge Deschamps (avec l’accord des juges Charron, Rothstein et Cromwell) s’est demandé dans quelle mesure les données enregistrées par l’AN révèlent les activités qui se déroulent à l’intérieur de la maison : par. 38.

[32] Si on applique cette méthode en l’espèce, je souscris pour l’essentiel à la conclusion tirée par le juge Cameron dans l’arrêt Trapp et adoptée par le juge Caldwell de la Cour d’appel dans la présente affaire. La fouille n’avait pas simplement pour objet le nom et l’adresse d’une personne qui était liée par contrat à Shaw. Il s’agissait plutôt de l’identité d’une abonnée aux services Internet à qui correspondait une utilisation particulière de ces services. Comme l’a affirmé le juge Cameron au par. 35 de l’arrêt Trapp :

 [traduction] Qualifier de tels renseignements de simples « renseignements relatifs à l’abonné » ou de « renseignements sur le client » ou encore de rien d’autre que de « renseignements sur le nom, l’adresse et le numéro de téléphone » tend à occulter leur véritable nature. Je tiens à le préciser, parce que ces qualifications font abstraction de l’importance d’une adresse IP et des renseignements que cette adresse, une fois liée à une personne en particulier, peut révéler sur cette personne, notamment les activités en ligne que celle-ci pratique dans sa résidence.

[33] En l’espèce, la fouille avait pour objet l’identité de l’abonnée dont la connexion à Internet correspondait à une activité informatique particulière sous surveillance.

[34] La nature de l’intérêt en matière de vie privée visé par l’action de l’État constitue un autre aspect de l’ensemble des circonstances et un facteur important pour apprécier le caractère raisonnable d’une attente en matière de vie privée. Dans le passé, la Cour a souligné l’importance, lorsqu’il est question de renseignements personnels, d’interpréter le droit à la vie privée de telle sorte qu’il protège tant la confidentialité que le contrôle des renseignements en question. À mon avis, il est nécessaire en l’espèce d’élargir quelque peu cette interprétation de manière à tenir compte du rôle que joue l’anonymat dans la protection des droits en matière de vie privée sur Internet.

[35] Certes, la vie privée est « une notion générale quelque peu évanescente » : Dagg c. Canada (Ministre des Finances)1997 CanLII 358 (CSC)[1997] 2 R.C.S. 403, par. 67. Certains auteurs ont souligné la confusion à ce sujet, sur le plan théorique, et l’absence de consensus apparent quant à ses nature et limites : voir, p. ex., C. D. L. Hunt, « Conceptualizing Privacy and Elucidating its Importance : Foundational Considerations for the Development of Canada’s Fledgling Privacy Tort » (2011), 37 Queen’s L.J. 167, p. 176-177. Nonobstant ces enjeux, la Cour a décrit trois grandes catégories de droits en matière de vie privée, qui regroupent notamment les aspects qui ont trait aux lieux, à la personne et à l’information, et qui, malgré leur chevauchement fréquent, ont permis de préciser la nature des droits en matière de vie privée en jeu dans des situations particulières : voir, p. ex., Dyment, p. 428-429; Tessling, par. 21-24. Il s’agit d’outils d’analyse, et non de catégories strictes ou mutuellement exclusives.

[37] En l’espèce, nous nous intéressons principalement au caractère privé des renseignements personnels. En outre, puisque l’ordinateur repéré et, en quelque sorte, surveillé par la police se trouvait dans la résidence de M. Spencer, un aspect du droit à la vie privée lié aux lieux est aussi en jeu. Dans le présent contexte, le lieu de l’activité est toutefois accessoire à la nature de l’activité elle-même. En effet, les internautes ne s’attendent pas à perdre leur anonymat en ligne lorsqu’ils accèdent à Internet ailleurs que chez eux au moyen d’un téléphone intelligent ou d’un appareil portatif. En l’espèce, tout comme dans l’arrêt Patrick, par. 45, le fait qu’une résidence soit en cause ne constitue donc pas un facteur déterminant, mais fait néanmoins partie de l’ensemble des circonstances : voir, p. ex., Ward, par. 90.

[38] Pour revenir à la question du droit à la vie privée en ce qui a trait aux renseignements personnels, j’estime qu’il englobe au moins trois facettes qui se chevauchent, mais qui se distinguent sur le plan conceptuel. Il s’agit de la confidentialité, du contrôle et de l’anonymat.

[40] Or, le droit à la vie privée comprend également la notion connexe, mais plus large, de contrôle sur l’accès à l’information et sur l’utilisation des renseignements, c’est-à-dire [traduction] « le droit revendiqué par des particuliers, des groupes ou des institutions de déterminer eux-mêmes à quel moment les renseignements les concernant sont communiqués, de quelle manière et dans quelle mesure » : A. F. Westin, Privacy and Freedom (1970), p. 7, cité dans Tessling, par. 23. Le juge La Forest a d’ailleurs souligné ce point dans l’arrêt Dyment en affirmant que la facette du droit à la vie privée en ce qui a trait aux renseignements personnels qui porte sur le contrôle « découle du postulat selon lequel l’information de caractère personnel est propre à l’intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l’entend » (Dyment, p. 429, citant L’ordinateur et la vie privée, le Rapport du groupe d’étude établi conjointement par le ministère des Communications et le ministère de la Justice (1972), p. 13). Même si les renseignements seront divulgués et qu’ils ne peuvent être considérés comme confidentiels, « les cas abondent où on se doit de protéger les attentes raisonnables de l’individu que ces renseignements seront gardés confidentiellement par ceux à qui ils sont divulgués, et qu’ils ne seront utilisés que pour les fins pour lesquelles ils ont été divulgués » (p. 429-430); voir également R. c. Duarte1990 CanLII 150 (CSC)[1990] 1 R.C.S. 30, p. 46.

[41] Il existe aussi une troisième conception de l’aspect informationnel du droit à la vie privée qui revêt une importance particulière dans le contexte de l’utilisation d’Internet. Il s’agit de l’anonymat. À mon avis, le droit à la vie privée que garantirait l’art. 8 doit inclure cette conception de la vie privée.

[43] Le professeur Westin présente l’anonymat comme une des facettes fondamentales de la vie privée. Selon lui, il permet aux personnes d’avoir des activités publiques tout en préservant la confidentialité de leur identité et en se protégeant contre la surveillance : p. 31-32; voir A. Slane et L. M. Austin, « What’s In a Name? Privacy and Citizenship in the Voluntary Disclosure of Subscriber Information in Online Child Exploitation Investigations » (2011), 57 Crim. L.Q. 486, p. 501. L’arrêt R. c. Wise1992 CanLII 125 (CSC)[1992] 1 R.C.S. 527, donne un exemple du droit à la vie privée dans un endroit public. Dans cette affaire, la Cour a statué que la surveillance omniprésente des déplacements d’un véhicule sur la voie publique déjouait les attentes raisonnables du suspect en matière de vie privée. On aurait évidemment pu affirmer que le dispositif électronique ne constituait qu’un moyen pratique de suivre les déplacements en voiture du suspect, qu’il faisait d’ailleurs à la vue de tous. Mais la Cour n’a pas adopté cette approche.

[45] S’agissant de l’utilisation d’Internet, il me semble particulièrement important de reconnaître que l’anonymat s’inscrit parmi les conceptions de l’aspect informationnel du droit à la vie privée. Comme l’explique le professeur Westin, l’anonymat porte entre autres sur le droit revendiqué par une personne qui veut présenter publiquement ses idées sans être identifiée comme leur auteur : p. 32. Le professeur Westin, dont l’ouvrage a été publié en 1970, avait anticipé précisément une des caractéristiques déterminantes de certains types de communication par Internet. En effet, des millions de personnes peuvent avoir accès à une communication qui n’est toutefois pas associée à son auteur.

[47] À mon avis, il faut reconnaître que l’identité d’une personne liée à son utilisation d’Internet donne naissance à un intérêt en matière de vie privée qui a une portée plus grande que celui inhérent à son nom, à son adresse et à son numéro de téléphone qui figurent parmi les renseignements relatifs à l’abonné. Un chien renifleur fournit de l’information sur le contenu d’un sac et met donc en jeu des droits en matière de vie privée relativement à ce contenu. Les enregistrements de l’AN fournissent de l’information sur les activités qui se déroulent à l’intérieur d’une résidence et peuvent donc mettre en jeu des droits en matière de vie privée concernant ces activités. Dans le même ordre d’idées, en établissant un lien entre des renseignements particuliers et une personne identifiable, les renseignements relatifs à l’abonné peuvent compromettre les droits en matière de vie privée de cette personne non seulement parce qu’ils révèlent son nom et son adresse, mais aussi parce qu’ils l’identifient en tant que source, possesseur ou utilisateur des renseignements visés.

[48] Dans Ward, le juge Doherty, clair et lucide comme à son habitude, a fourni des explications semblables. [traduction] « Le droit à la vie privée », a-t-il écrit, « permet à une personne de fonctionner au quotidien dans la société tout en bénéficiant d’un certain degré d’anonymat indispensable à son épanouissement personnel ainsi qu’à l’épanouissement d’une société ouverte et démocratique » : par. 71. Il a conclu qu’un certain degré d’anonymat est propre à beaucoup d’activités exercées sur Internet et que, « [e]u égard à l’ensemble des circonstances, [. . .] l’anonymat peut bénéficier de la protection constitutionnelle prévue à l’art. 8 » : par. 75. Je suis d’accord. L’anonymat pourrait donc, compte tenu de l’ensemble des circonstances, servir de fondement au droit à la vie privée visé par la protection constitutionnelle contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives.

[50] L’application de ce cadre d’analyse aux faits de la présente affaire est simple. Dans les circonstances de l’espèce, la demande de la police dans le but d’établir un lien entre une adresse IP donnée et les renseignements relatifs à l’abonnée visait en fait à établir un lien entre une personne précise (ou un nombre restreint de personnes dans le cas des services Internet partagés) et des activités en ligne précises. Ce genre de demande porte sur l’aspect informationnel du droit à la vie privée relatif à l’anonymat en cherchant à établir un lien entre le suspect et des activités entreprises en ligne, sous le couvert de l’anonymat, activités qui, comme la Cour l’a reconnu dans d’autres circonstances, mettent en jeu d’importants droits en matière de vie privée : R. c. Morelli2010 CSC 8 (CanLII)[2010] 1 R.C.S. 253, par. 3; Cole, par. 47; R. c. Vu2013 CSC 60 (CanLII)[2013] 3 R.C.S. 657, par. 40-45.

[51] Par conséquent, je conclus que la demande de la police auprès de Shaw — visant à obtenir des renseignements relatifs à l’abonnée qui correspondaient à des activités entreprises sur Internet de façon anonyme et observées en particulier — fait intervenir, dans une grande mesure, l’aspect informationnel du droit à la vie privée. Je souscris à la conclusion du juge Caldwell sur ce point :

[traduction] . . . une personne raisonnable et bien informée, qui se soucie de la protection de la vie privée, s’attendrait à ce que les activités qu’une personne effectue sur son propre ordinateur et dans son domicile soient confidentielles. [. . .] À mon avis, il n’importe nullement que les renseignements communiqués concernaient la sœur de M. Spencer parce que, en l’espèce, M. Spencer a, personnellement et directement, subi les conséquences des actes de la police. À première vue, ces actes font intervenir le droit de M. Spencer à la vie privée et, de ce fait, son intérêt en matière de vie privée relativement à la confidentialité des renseignements communiqués était direct et personnel. [par. 27]

c)            L’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée

[52]  Il s’agit maintenant de savoir si l’attente de M. Spencer en matière de respect de sa vie privée était raisonnable. Selon le juge du procès, il ne pouvait pas y avoir d’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée compte tenu des dispositions contractuelles et législatives applicables (par. 19), conclusion à laquelle le juge Caldwell a souscrit en appel : par. 42. Le juge Cameron a affirmé douter pour sa part que les dispositions du contrat et celles de la loi aient cet effet dans le contexte de la présente affaire : par. 98.

[58]                          Suivant la Politique relative à l’utilisation acceptable (dont la mise à jour la plus récente date du 18 juin 2007), Shaw est autorisée à collaborer avec les autorités d’application de la loi dans le cadre d’enquêtes sur des infractions criminelles, notamment en fournissant des renseignements personnels sur un abonné, conformément à sa Politique sur la protection de la vie privée. Cette disposition est ainsi libellée :

[traduction] Par la présente, vous autorisez Shaw à collaborer avec (i) les autorités d’application de la loi dans le cadre d’enquêtes sur des infractions criminelles présumées, et avec (ii) les administrateurs du système d’autres fournisseurs de services Internet ou d’autres réseaux ou installations informatiques afin de faire appliquer la présente entente. Cette collaboration peut comprendre la communication du nom d’utilisateur, de l’adresse IP ou d’autres renseignements personnels concernant un abonné, conformément aux lignes directrices énoncées dans sa Politique sur la protection de la vie privée. [Je souligne.]

[60] Ainsi, la réponse à la question de savoir si la communication des renseignements personnels par Shaw est « autorisée » ou « exigée par la loi » repose sur l’analyse du cadre législatif applicable. Les dispositions du contrat, lues conjointement, sont équivoques et prêtent à confusion quant à leurs conséquences sur l’attente raisonnable de l’utilisateur en matière de vie privée relativement aux demandes de la police visant à obtenir des renseignements relatifs à l’abonné. Le cadre législatif prévu par la LPRPDE ne permet pas d’en apprendre davantage.

[61] La collecte, l’utilisation et la communication par Shaw de renseignements personnels concernant ses abonnés sont assujetties à la LPRPDE, laquelle protège les renseignements personnels que possèdent les organisations qui exercent des activités commerciales contre leur communication à l’insu de l’intéressé et sans son consentement : ann. 1, art. 4.3. L’article 7 prévoit plusieurs exceptions à cette règle générale, permettant ainsi aux organisations de communiquer des renseignements personnels sans le consentement de l’intéressé. L’exception invoquée en l’espèce figure au sous-al. 7(3)c.1)(ii), qui autorise la communication de renseignements à une institution gouvernementale qui a demandé à obtenir les renseignements visés aux fins du contrôle d’application du droit en mentionnant la « source de l’autorité légitime » étayant la demande. En l’espèce, les dispositions de la LPRPDE ne sont pas très utiles pour déterminer s’il existe une attente raisonnable en matière de vie privée puisqu’après les avoir examinées, on se retrouve au point de départ.

[62] Le sous-alinéa 7(3)c.1)(ii) autorise la communication de renseignements, sans le consentement de l’intéressé, faite à une institution gouvernementale lorsque cette dernière mentionne la source de l’autorité légitime étayant son droit à obtenir les renseignements demandés. Il s’agit toutefois de savoir s’il existe une telle source d’autorité légitime, question dont la réponse dépend, en partie, de l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard des renseignements concernant l’abonné. La LPRPDE ne peut donc être considérée comme un des facteurs défavorables à l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée puisque l’interprétation juste de la disposition applicable dépend elle-même de l’existence d’une telle attente raisonnable en matière de vie privée. Puisque la LPRPDE a pour objet de fixer des règles régissant, entre autres, la communication de « renseignements personnels d’une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l’égard des renseignements personnels qui les concernent » (art. 3), il serait raisonnable que l’internaute s’attende à ce qu’une simple demande faite par la police n’entraîne pas l’obligation de communiquer les renseignements personnels en question ou qu’elle n’écarte pas l’interdiction générale prévue par la LPRPDE quant à la communication de renseignements personnels sans le consentement de l’intéressé.

[63] Certes, je suis arrivé à une conclusion différente que celle formulée, dans des circonstances semblables, dans l’arrêt Ward, où la Cour d’appel de l’Ontario a statué que les dispositions de la LPRPDE constituaient un facteur qui pesait contre la reconnaissance de l’existence d’une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard des renseignements concernant l’abonné. Cette conclusion reposait sur deux considérations principales. Premièrement, le fait que le FSI a un intérêt légitime à collaborer avec les autorités d’application de la loi relativement à des crimes commis lors de l’utilisation de ses services : par. 99. Deuxièmement, la gravité des infractions de pornographie juvénile, compte tenu de laquelle il était raisonnable de s’attendre à ce que le FSI collabore avec la police dans le cadre d’une enquête : par. 102-103. Bien qu’elles soient certainement pertinentes sur le plan des principes, ces considérations ne sauraient avoir priorité sur le libellé clair du sous-al. 7(3)c.1)(ii) de la LPRPDE, qui n’autorise la communication de renseignements que lorsqu’une institution gouvernementale mentionne la « source de l’autorité légitime » étayant sa demande. En effet, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une organisation assujettie à la LPRPDE respecte les obligations que celle-ci lui impose à l’égard des renseignements personnels. La Cour d’appel a statué dans l’arrêt Ward qu’il convient d’interpréter le sous-al. 7(3)c.1)(ii) en tenant compte du par. 5(3), suivant lequel « [l’]organisation ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu’à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances ». Cette règle de la « communication raisonnable » a permis de prendre en considération, pour interpréter la LPRPDE, des facteurs comme l’autorisation des FSI à collaborer avec la police et la lutte contre les crimes graves. Le paragraphe 5(3) énonce un principe directeur sur lequel repose l’interprétation des diverses dispositions de la LPRPDE. Il ne permet pas d’écarter l’exigence claire concernant la « source de l’autorité légitime » qui étaye la demande d’une institution gouvernementale et ne règle donc pas l’impasse que crée le sous-al. 7(3)c.1)(ii) pour juger de l’existence ou non d’une attente raisonnable en matière de vie privée.

[66] À mon avis, compte tenu de l’ensemble des circonstances de la présente affaire, il existe une attente raisonnable en matière de vie privée à l’égard des renseignements relatifs à l’abonnée. La communication de ces renseignements permettra souvent d’identifier l’utilisateur qui mène des activités intimes ou confidentielles en ligne en tenant normalement pour acquis que ces activités demeurent anonymes. La demande faite par un policier visant la communication volontaire par le FSI de renseignements de cette nature constitue donc une fouille.

B.            La fouille était-elle légitime?

[71]                          Il faut distinguer la « source de l’autorité légitime » à laquelle réfère le sous-al. 7(3)c.1)(ii) de la LPRPDE et l’al. 7(3)c), selon lequel la communication des renseignements personnels peut être faite sans le consentement de l’intéressé lorsqu’« elle est exigée par assignation, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents ». Le renvoi à la « source de l’autorité légitime » au sous-al. 7(3)c.1)(ii) doit viser autre chose qu’une « assignation » ou un « mandat » de perquisition. La « source de l’autorité légitime » peut avoir plusieurs sens. Cette notion peut désigner le pouvoir conféré par la common law aux policiers de poser des questions portant sur des éléments qui ne font pas l’objet d’une attente raisonnable en matière de vie privée. Elle peut renvoyer au pouvoir de la police d’effectuer une fouille ou une perquisition sans mandat dans des circonstances contraignantes ou dans des cas où une loi qui n’a rien d’abusif le permet : Collins. Comme le fait valoir la commissaire à la protection de la vie privée du Canada, intervenante en l’espèce, si on tient pour acquis que la « source de l’autorité légitime » nécessite davantage qu’une simple demande faite par les autorités d’application de la loi, cette notion arrive à jouer un rôle significatif dans le contexte du par. 7(3), au détriment d’autres interprétations qui n’ont pas cet effet. Bref, je suis d’accord avec la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Ward sur ce point, pour dire que ni le par. 487.014(1) du Code criminel ni la LPRPDE n’ont pour effet de conférer à la police des pouvoirs en matière de fouilles, de perquisitions ou de saisies : par. 46.

[73]                          En toute déférence, je ne peux accepter que cette conclusion s’applique au sous-al. 7(3)c.1)(ii) de la LPRPDE. Le paragraphe 487.014(1) est une disposition déclaratoire qui confirme les pouvoirs de common law permettant aux policiers de formuler des questions, comme l’indique les premiers mots de son libellé en français « [i]l demeure entendu qu[e] » ou de son libellé en anglais « [f]or greater certainty » : voir Ward, par. 49. La LPRPDE est une loi qui a pour objet, comme il est indiqué à l’art. 3, d’accroître la protection des renseignements personnels. Puisque, en l’espèce, les policiers n’avaient pas le pouvoir d’effectuer une fouille ou une perquisition pour obtenir des renseignements relatifs à l’abonnée en l’absence de circonstances contraignantes ou d’une loi qui n’a rien d’abusif, je ne vois pas comment ils pourraient obtenir un nouveau pouvoir en matière de fouille ou de perquisition par l’effet combiné d’une disposition déclaratoire et d’une disposition adoptée afin de favoriser la protection des renseignements personnels.

[74] La police a utilisé les renseignements relatifs à l’abonnée pour étayer la dénonciation qui a conduit à la délivrance d’un mandat l’autorisant à perquisitionner dans la résidence de Mme Spencer. En l’absence de ces renseignements, la police n’aurait pas pu obtenir le mandat. Par conséquent, si ces renseignements sont écartés (ce qui doit être le cas, parce qu’ils ont été obtenus d’une façon inconstitutionnelle), il n’y avait aucun motif valable justifiant la délivrance d’un mandat et la fouille ou la perquisition à la résidence était abusive. Je conclus donc que l’exécution de la fouille ou de la perquisition à la résidence de Mme Spencer violait la Charte : Plant, p. 296; Hunter c. Southam, p. 161.  Rien dans les présents motifs ne porte sur les pouvoirs dont disposent les policiers pour obtenir des renseignements relatifs à un abonné dans des circonstances contraignantes, par exemple, lorsqu’il est nécessaire d’obtenir de tels renseignements pour prévenir un préjudice physique imminent, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.  Rien non plus, dans les présents motifs, ne restreint ces pouvoirs.

C.            La preuve aurait-elle dû être écartée?

[76] Le critère relatif à l’application du par. 24(2) est énoncé dans l’arrêt R. c. Grant2009 CSC 32 (CanLII)[2009] 2 R.C.S. 353. Le tribunal doit « évaluer et mettre en balance l’effet que l’utilisation des éléments de preuve aurait sur la confiance de la société envers le système de justice en tenant compte de : (1) la gravité de la conduite attentatoire de l’État [. . .], (2) l’incidence de la violation sur les droits de l’accusé garantis par la Charte [. . .] et (3) l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond » : par. 71.

[77] En ce qui concerne la gravité de la conduite de l’État, j’estime qu’il n’y a pas lieu de qualifier cette dernière de « non-respect délibéré ou manifeste de la Charte » : Grant, par. 75. Le sergent-détective Parisien a déclaré qu’il croyait que la demande adressée à Shaw était autorisée par la loi et que Shaw consentirait à lui fournir l’information.  Il a toutefois ajouté qu’il connaissait l’existence de décisions contradictoires quant à la question de savoir si cette pratique était légale.  Bien que je ne voudrais pas qu’on comprenne des présents motifs que j’encourage les policiers à agir sans mandat dans les « zones grises », vu que le juge du procès et les trois juges de la Cour d’appel ont conclu que le sergent-détective Parisien avait agi légalement, sa conviction était manifestement raisonnable. Bref, les policiers se sont servi de ce qu’ils croyaient raisonnablement être des moyens légitimes pour poursuivre un objectif important visant l’application de la loi. Les autres aspects relatifs à la dénonciation justifiant l’obtention du mandat de perquisition ne sont pas contestés. Par sa nature, la conduite des policiers en l’espèce ne serait pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

[78] Le deuxième facteur énoncé dans l’arrêt Grant porte sur l’incidence de la conduite attentatoire sur les droits de M. Spencer garantis par la Charte. L’incidence était très grave en l’espèce. Rappelons que l’anonymat constitue une protection importante des droits en matière de vie privée à l’égard des activités en ligne. La violation de l’anonymat a exposé les choix personnels de M. Spencer et les a soumis à l’examen de la police. Ce facteur favorise l’exclusion de la preuve.

[79] Je passe maintenant au dernier facteur, à savoir l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond. Comme il est expliqué dans l’arrêt Grant,

si la gravité d’une infraction accroît l’intérêt du public à ce qu’il y ait un jugement au fond, l’intérêt du public en l’irréprochabilité du système de justice n’est pas moins vital, particulièrement lorsque l’accusé encourt de lourdes conséquences pénales.  [par. 84]

[81] Après avoir mis en balance les trois facteurs, j’estime que c’est l’exclusion de la preuve, et non son admission, qui serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice et je suis d’avis de confirmer l’admission de cette preuve.

III.        Dispositif

[87]  Je suis d’avis de rejeter le pourvoi, de confirmer la déclaration de culpabilité relative au chef d’accusation de possession ainsi que l’ordonnance de Cour d’appel enjoignant la tenue d’un nouveau procès sur le chef d’accusation de rendre accessible.

 

 

 


Dernière modification : le 5 décembre 2017 à 17 h 16 min.