Extraits pertinents :

[1] Les parties ont déjà été mariées.

[2] Alléguant que le défendeur a diffusé des photos d’elle nue sans son autorisation, la demanderesse lui réclame une somme de 20 000 $ à titre de dommages compensatoires en sus d’un montant de 20 000 $ à titre de dommages punitifs et exemplaires. Elle demande aussi, par voie d’injonction, que le défendeur cesse toute utilisation de ses photos et qu’il les détruise.

  1. LE CONTEXTE

[5] En octobre 2010, lors d’un voyage en Alberta chez son frère, la demanderesse commet l’adultère avec un homme prénommé Mike. Elle l’avoue au défendeur à son retour au Québec.

[6] Le […] 2010, un jugement de divorce est prononcé par l’Honorable juge Pierre Boily. La garde des enfants est confiée au défendeur et la demanderesse obtient des droits d’accès durant la période estivale.

[7] Vers la fin du mois de juin 2011, la demanderesse quitte le Québec pour aller vivre chez son frère en Alberta. Elle revient très sporadiquement au Québec pour voir ses enfants. Le défendeur doit s’occuper de tout ce qui concerne ces derniers.

[8] En août 2011, la demanderesse fait la rencontre d’Hanlan[2] en Alberta. Elle entreprend une relation avec lui.

[9]  Néanmoins, elle revient au Québec en décembre 2011 avec tous ses effets personnels afin de reprendre la vie commune avec le défendeur. Elle fait alors part à ce dernier qu’elle a déjà envoyé des photos d’elle nue à son ami Mike pour lui montrer les résultats de sa chirurgie mammaire. Elle se souvient d’avoir envoyé ces photos par courriel via son compte gmail. Le défendeur l’avise d’être prudente avec tout ce qui concerne l’usage d’internet, surtout afin d’éviter que la DPJ ne mette la main sur de telles photos. Elle ne s’en fait pas puisqu’elle a déjà effacé les photos de son ordinateur avant son retour au Québec[3], de même que la boîte d’envoi de ses courriels.

[11] De retour de leur voyage en Floride, le défendeur somme la demanderesse de quitter le domicile à très court terme. Les parties mettent alors fin à leur tentative de reprise de la vie commune. Vers le 7 janvier 2012, la demanderesse part pour aller vivre temporairement chez sa mère à Asbestos[4].

[12] Le 10 janvier 2012, des photos de la demanderesse nue sont transmises à l’adresse courriel du défendeur. Ce dernier affirme qu’elle lui a envoyé les photos tandis qu’elle prétend qu’il a fouillé dans son compte gmail qui était resté ouvert sur son ordinateur afin de les récupérer. Nous y reviendrons.

[16] Vers la fin du mois de novembre 2013, le défendeur entreprend sa relation avec Francoeur, son actuelle conjointe[7]. Dès lors, il ne se montre plus intéressé aux avances de la demanderesse.

[17] Néanmoins, au printemps 2014, la demanderesse se présente chez le défendeur après avoir été reconduire leur fille Noémie à son cours de danse. Elle tend une enveloppe au défendeur. Lorsqu’il s’aperçoit qu’elle lui remet des photos d’elle en tenue « sexy », il les replace dans l’enveloppe et les refuse[8].

[28] Dans l’intervalle, le défendeur envoie le message texte suivant à Paterson au sujet des photos de la demanderesse nue : « Va voir milf solo sur youporn »[12].

[29] Paterson réagit en appelant la demanderesse pour lui dire que le défendeur a diffusé des photos d’elle nue sur internet. La demanderesse est en panique.

[30] Le même jour, le défendeur met ses menaces à exécution. Il envoie trois photos compromettantes de la demanderesse à Hanlan[13]. Ce dernier les reçoit sur son cellulaire fourni par son employeur et il craint le pire puisqu’il réalise que le défendeur semble être prêt à tout pour nuire à la demanderesse et à leur couple.

[31]  La demanderesse porte alors plainte à la Sûreté du Québec. Puis, elle et Hanlan débutent leurs recherches sur internet afin de retracer les photos même si les policiers lui disent qu’elle a peu de chances d’y parvenir considérant le nombre important de sites pornographiques.

[34] Dans les jours qui suivent, Hanlan et la demanderesse continuent toujours, mais sans succès, de retracer les photos compromettantes sur internet. Le couple y consacre plusieurs heures et ils vivent dans l’angoisse de découvrir que le défendeur y a bel et bien diffusé les photos.

[36] Le 4 décembre 2015, le défendeur est formellement accusé d’avoir sciemment transmis une image intime de la demanderesse sachant qu’elle n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non, en contravention de l’article 162.1 (1) b) du Code criminel[16].

[38] Le 26 septembre 2016, le soussigné rend une ordonnance de sauvegarde interdisant au défendeur d’utiliser les photos de la demanderesse qu’il reconnaissait alors avoir encore en sa possession dans sa boîte de courriels, et ce, de quelque façon que ce soit, sauf aux fins de sa défense dans l’instance criminelle.

[39] Puis le 24 novembre 2016, le défendeur signifie sa défense et demande reconventionnelle à la demanderesse, aux termes de laquelle il lui réclame une somme de 60 000 $, dont 20 000 $ pour atteinte à la réputation, 20 000 $ en frais extrajudiciaires et 20 000 $ à titre de pertes de revenus découlant des agissements de la demanderesse.

3. L'ANALYSE

3.1 Le défendeur a-t-il obtenu des photos de la demanderesse nue sans son consentement ? 

[43] Selon les pièces P-1 et D-15, il est démontré que le 10 janvier 2012 à 4h02, des photos intitulées « nancy priver » ont été transmises à l’adresse courriel du défendeur[18].

[46] Le fardeau de prouver, de façon prépondérante, que le défendeur a obtenu les photos compromettantes sans le consentement de la demanderesse appartenait à cette dernière[19]. Elle a failli à ce fardeau pour les raisons suivantes.

[47Premièrement, le Tribunal croit le défendeur lorsqu’il affirme que c’est la demanderesse qui lui a envoyé les photos durant la nuit du 10 janvier 2012. Cette façon d’agir de la demanderesse est d’ailleurs compatible avec son désir constant de vouloir séduire les hommes qu’elle fréquente, de leur offrir des photos d’elle en tenue « sexy »[20] et de ne jamais vraiment rompre les liens affectifs avec eux.

[50] Deuxièmement, la thèse de la demanderesse est audacieuse puisqu’elle implique la commission d’une infraction criminelle d’utilisation non autorisée d’un ordinateur au sens de l’article 342.1 du Code criminel de la part du défendeur. À ce sujet, le tribunal rappelle que le défendeur n’a jamais été accusé et encore moins trouvé coupable d’avoir posé un tel geste.

[51] Or, pour soutenir la conclusion que le défendeur aurait obtenu des photos de la demanderesse nue sans le consentement de cette dernière, il faudrait que la preuve prépondérante démontre, au moins, ce qui suit :

i)  Que la demanderesse a ouvert une session de son compte gmail sur l’ordinateur du défendeur sans la refermer avant qu’elle le quitte définitivement en date du 7 janvier 2012;

ii)  Que le défendeur a pris le temps de fouiller dans le compte gmail de la demanderesse sans même savoir si le fameux envoi à Mike s’y trouverait encore, et ce, dans l’espoir de mettre la main sur des photos de la demanderesse nue;

iii) Que le défendeur a retracé, dans la corbeille du compte gmail, le courriel envoyé à Mike; et,

iv) Que le défendeur se soit ensuite transféré les photos au beau milieu de la nuit du 10 janvier 2012 par courriel.

[52] Cette preuve n’a pas été faite. La simple affirmation de la demanderesse selon laquelle elle a dû oublier de fermer sa session gmailn’est pas suffisante pour conclure à toute la chaîne séquentielle des événements nécessaires pour soutenir que le défendeur aurait accédé, sans son consentement, aux photos s’y trouvant.

[67]  L’ignorance de la loi n’étant pas une défense[26], le plaidoyer de culpabilité du défendeur devient un aveu que le Tribunal ne peut pas ignorer.

[68] De toute façon, tous les critères prévus à l’article 162.1 (2) du Code criminel sont satisfaits : la demanderesse a pris elle-même les photos alors qu’elle était nue sur un fauteuil de son appartement, dans un contexte où elle avait une attente raisonnable de protection en matière de vie privée au moment où les photos ont été prises puisqu’elle était seule. Elle a ensuite transmis ces photos à deux reprises, soit à son copain Mike en 2011 et au défendeur en janvier 2012, et ce, en utilisant un moyen de communication privé. Elle n’a jamais diffusé les photos ailleurs ou en public, par exemple sur des sites internet ou via Facebook. Elle n’a jamais autorisé le défendeur à s’en servir, à les distribuer, à les transmettre ou à les rendre accessibles.

[69] Pourtant, c’est ce que le défendeur a fait en les envoyant à Hanlan.

[70] Il a, de toute évidence, commis une faute en transmettant les photos sans le consentement de la demanderesse et il doit maintenant en assumer les conséquences.

3.3 Le défendeur a-t-il porté atteinte à la dignité et/ou la réputation de la demanderesse ? 

[71] Toute personne a droit au respect de sa vie privée et à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation[27].

[72] Le droit à la vie privée comprend le droit à l’intimité de la personne et à son image et lui assure une protection contre les intrusions[28].

[73] L’article 36 C.c.Q. énumère certains actes susceptibles de constituer une atteinte à la vie privée :

« 36.    Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants :

1°   Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;

2°   Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;

3°   Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés;

4°   Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

5°   Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public;

6°   Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels. »

[74] La diffusion fautive des photographies, sans le consentement de la demanderesse, constitue une atteinte fautive au droit à son image[29].

[75] En transmettant illégalement les photos de la demanderesse nue à Hanlan, le défendeur a porté atteinte aux droits de cette dernière au respect de sa vie privée et à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

[76] Mais il a surtout aggravé la situation en s’attaquant à l’intégrité de la demanderesse et en la dénigrant auprès de son nouveau conjoint afin de briser leur couple.

3.4 Le demandeur a-t-il causé des dommages à la demanderesse et si oui, combien doit-il payer ? 

i) Les dommages moraux

[79] En insinuant qu’il avait diffusé les photos sur internet, le défendeur a contribué à créer un climat de panique au sein du couple de la demanderesse. Elle et Hanlan sont crédibles lorsqu’ils affirment avoir été stressés et avoir passé des nuits blanches dans le but de retracer les photos.

[80] La demanderesse s’est sentie humiliée avec raison. Jusqu’à ce que l’ordonnance de sauvegarde soit rendue, elle a vécu avec la crainte de découvrir que les photos avaient été diffusées sur internet ou à plusieurs autres personnes de son entourage.

[82] Le Tribunal doit aussi prendre en considération le fait qu’Hanlan est le conjoint de la demanderesse et qu’il l’a certainement vu dénudée avant de recevoir les photos. En quelque sorte, l’« atteinte à l’image » de la demanderesse en est amoindrie bien que le droit ait été clairement enfreint.

[85] Les précédents jurisprudentiels déposés par les parties le démontrent d’ailleurs puisque les indemnités accordées varient entre 2 000 $ et 29 000 $[33].

[86] Compte tenu du contexte particulier de la présente affaire, du fait que le défendeur se soit attaqué de mauvaise foi à l’intégrité de la demanderesse, qu’il ait insinué avoir diffusé des photos sur internet alors qu’en réalité, cette diffusion s’est limitée à la transmission de trois photos au conjoint de la demanderesse, le Tribunal arbitre les dommages moraux subis par cette dernière à la somme de 7 000 $.

ii) Les dommages punitifs

[88]  Or, l’atteinte au droit au respect de la vie privée de la demanderesse et à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation constitue une violation des articles 4 et 5 de la Charte, de sorte que l’article 49 de cette loi s’applique. Cet article prévoit l'octroi de dommages punitifs en cas d'atteinte illicite et intentionnelle à un droit protégé :

« 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »

[92] Compte tenu de ce qui précède, la demanderesse devait non seulement prouver, de façon prépondérante, que l’atteinte à ses droits était illicite et intentionnelle, mais aussi que l’octroi de dommages punitifs est nécessaire pour assurer leur fonction préventive[38].

[93] Tout d’abord, elle a amplement démontré que l’acte posé par le défendeur est illicite puisqu’il constitue même une infraction criminelle. L’atteinte est également intentionnelle. D’ailleurs, le défendeur a admis sa culpabilité.

[94] Il a transmis les photos à Hanlan dans le but de nuire à la demanderesse et à leur relation de couple. Il est manifeste que le défendeur a agi de la sorte en espérant probablement que Hanlan rompt ses relations avec elle. Ce faisant, la demanderesse devenait sans ressources financières pour poursuivre ses démarches judiciaires afin d’obtenir un changement de garde.

[103] Par contre, son intention malicieuse d’attaquer l’intégrité de la demanderesse auprès d’Hanlan doit être sanctionnée afin de le dissuader de récidiver, que ce soit en dénigrant son ex-conjointe ou autrement.

[104] Le Tribunal le condamne à verser une somme additionnelle de 3 000 $ à titre de dommages punitifs pour l’atteinte illicite et intentionnelle au droit à la réputation de la demanderesse.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[120] ACCUEILLE en partie la demande introductive d’instance;

[121] CONDAMNE le défendeur à payer la somme de dix mille dollars (10 000 $) à la demanderesse, dans un délai de 30 jours de la date du présent jugement, avec les intérêts au taux légal majoré de l’indemnité additionnelle prévue par l’article 1619 du Code civil du Québec à compter de l’assignation, soit le 13 septembre 2016;

[122] REJETTE la demande reconventionnelle du défendeur;

[123]  Le tout avec les frais de justice.


Dernière modification : le 29 décembre 2017 à 14 h 21 min.