Extraits pertinents :

[1]  Il s'agit d'un recours en dommages pour, entre autres, atteinte aux droits à la dignité, à la vie privée, résultant d’une fouille que les Demanderesses prétendent être illégale et abusive.

[2] Les Demanderesses allèguent avoir été victime d'une fouille illégale et abusive de leur sac à main par une préposée de la Défenderesse quand elles se sont présentées au Méga-Plex Marché Central, le 2 juin 2007, pour visionner un film.

[6] La Défenderesse conteste la réclamation.

[7] Elle allègue que les Demanderesses n'ont pas été forcées de quelque façon que ce soit d'ouvrir leurs sacs à main, ayant en tout temps l'opportunité de quitter les lieux.

[14] La Demanderesse, Julie Berthiaume, proteste, elle refuse de faire fouiller son sac à main. Elle exige de voir la gérante du cinéma.

[15] Pendant qu'elle attendait, un autre gardien de sécurité arrive et l'informe que la fouille est obligatoire et qu'elle devait se soumettre à la fouille qui est légale.

[16] Madame Berthiaume affirme qu'elle s'est sentie mal à l'aise, le gardien qui s'est placé à côté d'elle, l'intimidait.

[17] Après avoir attendu en vain l’arrivée de la gérante, la Demanderesse s'est approchée de la table pour déposer son sac et l'ouvrir elle-même, l'agente de sécurité a tiré le sac à main vers elle, elle l'a ouvert et y a plongé ses mains à l'intérieur.

[22] Pendant qu'elle attendait en retrait, elle se faisait regarder par tout le monde; elle affirme s'être sentie traitée comme une criminelle.

[23] En aucun temps on n’a informé  les Demanderesses qu'elles pouvaient se faire rembourser leurs billets.

[24] Madame Berthiaume explique qu'elle aurait voulu quitter les lieux pour retourner chez elle, mais ses enfants voulaient absolument voir le film qui venait de prendre l'affiche.

[26] Après avoir visionné le film Shrek 3, le gardien de sécurité l'a suivi jusqu'à ce qu'elle se rende au stationnement.

[27]La demanderesse, Mélissa Berthiaume, affirme que la sortie au cinéma, le 2 juin, s'est faite dans un but thérapeutique pour sa sœur pour qui c'était sa première sortie en publique suite à une réclusion après qu'elle a été victime d'agressions physiques qui lui ont laissées des cicatrices au visage.

[33] Croyant  qu'elle n'avait pas le choix, elle s'est soumise à la fouille.

[34] Elle voulait elle-même ouvrir son sac, mais l'agente de sécurité a ouvert son sac, a mis ses mains à l'intérieur et en a exposé le contenu, ce qui a permis à sa mère de constater la présence de pilules contraceptives dans son sac.

[35] Elle affirme que son intimité a été brimée, elle s'est sentie humiliée, les gens la regardaient.

[36] Suite à cet incident, elle n'est pas allée au cinéma durant un an.

[61] Elle reconnaît que lors de l'achat du billet, le client n'est pas avisé qu'il doit se soumettre à une fouille avant d'accéder à la salle de projection.

[62] Aucun avis à cet effet n'est inscrit sur les billets, par contre il y a des avis sur des affiches.

III – ANALYSE ET MOTIFS

[71] Il ressort de la preuve, quand les Demanderesses achètent leurs billets, aucune information ne leur est fournie, par les préposés de la Défenderesse sur place, voulant qu'elles doivent se faire fouiller leur sac avant de pouvoir accéder à la salle de cinéma. Il n'y a pas d'inscription sur les billets à cet effet.

[73] Le Tribunal retient de la preuve, quand survient le contrat entre les parties, les Demanderesses n'ont pas accepté, comme condition pour accéder à la salle de cinéma, d'être fouillées.

[75] Le choix des moyens pour atteindre son objectif de dissuasion du piratage des films dans ses salles de cinéma appartient au Cinema Guzzo, à condition que l'atteinte aux droits et libertés des usagers ne soit pas affectée au-delà des limites permises par la loi.

[76] Dans un contexte où les fouilles se font de façon systématique et sont appliquées à tous les clients portant un sac, selon la version de la gérante du cinéma, il y a lieu de déterminer si la Défenderesse a démontré que la solution adoptée est proportionnelle au problème décelé; en d'autres termes, le cinéma Guzzo a-t-il exercé son droit d'une manière excessive ?

[77] Il est en preuve que tous les clients portant des sacs à main sont des femmes.

[78] Le Tribunal estime que la Défenderesse n’a pas démontré que la vérification systématique des sacs à main de toutes les femmes, incluant les petits sacs des adolescentes, était une solution proportionnelle au problème de piratage des films.

[81] L’article 24.1 de la Charte des droits et libertés du Québec prévoit que nul ne peut faire l’objet de fouilles abusives[2].

[82] La fouille sans le consentement d’une personne est évidemment présumée abusive, selon le Tribunal.

[84] Il n'existe aucune loi qui autorise un agent de sécurité à fouiller un client dans le couloir d'une salle de cinéma. La Défenderesse n’a pas allégué ni plaidé le contraire.

[86] La configuration des lieux, où les Demanderesses sont dirigées vers une table, où est postée une agente de sécurité qui a pour mandat d'effectuer une fouille obligatoire, place les Demanderesses devant une situation de « fait accompli » où elles sont obligées de se laisser fouiller afin d'accéder à la salle de cinéma.

[87] Ce fait conjugué avec les représentations faites par les agents de sécurité aux Demanderesses, voulant qu'elles n'aient pas le choix de se soumettre aux fouilles, supportent la suggestion des Demanderesses qu’elles croyaient qu'elles étaient obligées de se soumettre à la fouille.

[89] Dans un tel contexte, le Tribunal estime non fondée la prétention de la Défenderesse à l’effet que les Demanderesses aient consenti à la fouille de leur sac, car elle n'est pas supportée par la preuve qui démontre, de manière prépondérante, que leur consentement libre et éclairé n'a pas été obtenu par l'agente de sécurité.

[91]  L'agente de sécurité, ayant introduit ses mains dans les sacs des Demanderesses et exposé le contenu qui pouvait être vu par d'autres clients se trouvant à proximité, a agit de manière abusive, commettant ainsi une faute, qui cause préjudice aux Demanderesses, dont les droit fondamentaux ont été enfreints, lors de cette fouille publique invasive.

[93] Elles ont réussi à démontrer que leurs droits à la vie privée et à la dignité ont été bafoués dans le processus, ce en violation des articles 4, 5 de la Charte des droits et libertés de la personne[4] et des articles 3 et 7 du Code civil du Québec[5].

IV – LE QUANTUM DES DOMMAGES

[96] En regard de la preuve présentée, tenant compte que dans le cas de la demanderesse, Mélissa Berthiaume, en sus de l’atteinte à sa dignité et à sa vie privée, les gestes posés par l'agente de sécurité a exposé des informations sur sa vie intime et personnelle, en ce qui concerne l'usage de mesures contraceptives, à l’insu de sa mère, ce qui lui a causé des problèmes.

[97] Le Tribunal arbitre à 4 000 $ le montant auquel elle a droit à titre de dommages moraux pour violation de ses droits fondamentaux.

[98] Quant à la demanderesse, Julie Berthiaume, le Tribunal estime raisonnable d'arbitrer à 3 000 $ le montant auquel elle a droit à titre de dommages moraux, tenant compte du contexte dans lequel ses droits fondamentaux ont été enfreints.

[99] Pour les mêmes raisons, un montant de 3 000 $ lui est accordé en sa qualité de tutrice légale de sa fille mineure, Daphné Beaudry.

[109] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[110] CONDAMNE la défenderesse, Cinéma Guzzo Inc., à payer à la demanderesse, Julie Berthiaume, à titre de dommages moraux, la somme de 3 000 $ avec intérêts au taux de 5% l'an, à compter du 11 juin 2007, y compris l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec;

[111] CONDAMNE la défenderesse, Cinéma Guzzo Inc., à payer à la demanderesse, Julie Berthiaume, à titre de tutrice légale de sa fille mineure, Daphné Beaudry, la somme de 3 000 $ avec intérêts au taux de 5% l'an, à compter du 11 juin 2007, y compris l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec;

[112] CONDAMNE la défenderesse, Cinéma Guzzo Inc., à payer à la demanderesse, Mélissa Berthiaume, à titre de dommages moraux, la somme de 4 000 $ avec intérêts au taux de 5% l'an, à compter du 11 juin 2007, y compris l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec;

[113] LE TOUT, avec dépens.


Dernière modification : le 16 novembre 2017 à 11 h 43 min.