Extraits pertinents : J a été déclaré coupable de plusieurs infractions liées au trafic d’armes à feu et de drogues. Ces déclarations de culpabilité reposent sur des relevés contenant des messages textes qui ont été saisis d’un compte Telus associé à son coaccusé en application d’une ordonnance de communication obtenue en vertu de l’art. 487.012 du Code criminel (maintenant l’art. 487.014). Avant le procès, J a tenté de faire écarter les messages textes au motif que leur obtention au moyen d’une ordonnance de communication avait contrevenu aux droits que lui garantit l’art. 8 de la Charte. La juge du procès a conclu que J n’avait pas qualité pour contester l’ordonnance de communication sur le fondement de l’art. 8 et ce dernier a par conséquent été déclaré coupable. L’appel interjeté par J à l’encontre de sa déclaration de culpabilité a été rejeté. Arrêt (la juge Abella est dissidente) : Le pourvoi est rejeté et l’ordonnance de communication est confirmée. La juge en chef McLachlin et les juges Moldaver, Karakatsanis, Gascon et Côté : J avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée relativement aux messages textes conservés par Telus et, en conséquence, il avait qualité pour contester la validité de l’ordonnance de communication en vertu de l’art. 8 de la Charte. Pour répondre à la question de savoir si l’auteur d’une telle demande a une attente raisonnable au respect de sa vie privée, il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances propres à l’affaire en cause. L’auteur de la demande doit prouver qu’il avait un droit direct à l’égard de l’objet de la fouille, qu’il avait une attente subjective en matière de respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de cette fouille et que son attente subjective en matière de respect de la vie privée était objectivement raisonnable. Il s’ensuit que J s’attendait subjectivement à ce que l’on respecte son droit à la vie privée relativement aux copies de sa conversation électronique se trouvant dans l’infrastructure du fournisseur de services. Les messages textes constituent des communications privées. Cela n’est pas contesté en l’espèce. De plus, comme a conclu la juge saisie de la demande, J et son coaccusé se sont servis de noms de tiers pour éviter d’être repérés ou d’être associés aux messages textes. Cela tend à indiquer qu’ils entendaient que leurs communications demeurent privées. Enfin, il est objectivement raisonnable de la part de l’expéditeur de messages textes de s’attendre à ce qu’un fournisseur de services protège le caractère privé de l’information qui lui est confiée, dans les cas où la réception et la conservation de cette information constituent un aspect accessoire de son rôle consistant à acheminer des communications privées au destinataire visé. Cette conclusion a un caractère intuitif. Il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’un fournisseur de services communique les messages textes à un destinataire non visé ou qu’il les mette à la disposition du monde entier. Dans le cas qui nous occupe, il était donc raisonnable de la part de J de s’attendre à ce que Telus ne communiquerait à personne d’autre qu’au destinataire visé les messages textes qu’il envoyait, malgré le fait qu’il ait renoncé à exercer un contrôle direct sur ces messages. Ni l’absence de politique de confidentialité de nature contractuelle ni le fait que l’ordonnance de communication visait un téléphone enregistré au nom d’un tiers ne privent J de cette protection. Par conséquent, au regard de l’ensemble des circonstances, J avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée relativement aux messages textes en cause, et il avait qualité pour contester la validité de l’ordonnance de communication. Toutefois, les droits garantis à J par l’art. 8 de la Charte n’ont pas été violés, étant donné que les relevés contenant les messages textes conservés dans l’infrastructure du fournisseur de services ont été saisis légalement au moyen de l’ordonnance de communication prévue à l’art. 487.012 du Code criminel. Selon son sens courant et à la lumière de son contexte, le mot « intercepter » à l’art. 183 de la partie VI du Code criminel couvre la communication ou la saisie de messages textes existants conservés par un fournisseur de services. Les messages textes existants s’entendent des messages qui ont été expédiés et reçus, non pas de ceux qui sont encore en cours de transmission. Dans le cas qui nous occupe, il ne fait aucun doute que les communications échangées entre J et son coaccusé ont initialement été interceptées par Telus, vraisemblablement en vertu d’une des exceptions prévues au par. 184(2) pour les besoins de la fourniture des services. Toutefois, compte tenu de la distinction que le régime législatif établit entre l’interception, l’utilisation et la conservation d’une part, ainsi que la divulgation d’autre part, il est évident que la conservation des télécommunications par Telus et leur divulgation ultérieure par cette dernière aux policiers n’ont pas constitué des interceptions additionnelles. Telus a plutôt conservé les communications interceptées en vertu du par. 184(3), puis les a ensuite divulguées aux policiers comme le prévoit le par. 193(2). 1. Introduction [3] Telus s’est conformée à l’Ordonnance de communication et a remis aux policiers les relevés réclamés. Ces relevés ont révélé l’existence d’un échange de messages textes (les « Messages textes ») concernant la possible cession d’une arme à feu. Les Messages textes ont été échangés entre le téléphone de Gilles et un téléphone utilisé par l’appelant, mais enregistré au nom de sa conjointe. [8] Le pourvoi dont notre Cour est saisie soulève trois questions. Premièrement, dans le cadre de sa demande fondée sur l’art. 8 de la Charte, l’appelant avait‑il le droit de s’appuyer sur la thèse de la Couronne suivant laquelle il était l’auteur de ces messages, afin d’établir son attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard des Messages textes. Deuxièmement, dans l’affirmative, l’attente subjective de l’appelant au respect de sa vie privée était‑elle objectivement raisonnable, de sorte que ce dernier avait qualité pour présenter sa demande fondée sur l’art. 8? Enfin, troisièmement, l’Ordonnance de communication conférait‑elle aux policiers l’autorisation légitime de saisir des relevés contenant des messages textes existants se trouvant entre les mains d’un fournisseur de services? [9] Je répondrais par l’affirmative à ces trois questions. Je conclus qu’un accusé qui invoque l’art. 8 peut demander au tribunal de tenir pour avéré tout fait que la Couronne allègue ou entend alléguer dans les poursuites intentées contre lui, au lieu de devoir présenter des éléments de preuve établissant ces mêmes faits lors du voir‑dire. En l’espèce, M. Jones aurait dû être autorisé à s’appuyer sur l’allégation de la Couronne selon laquelle il était l’auteur des Messages textes, et son attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la fouille est par conséquent établie. De plus, il est objectivement raisonnable de la part de l’expéditeur de messages textes de s’attendre à ce qu’un fournisseur de services maintienne la confidentialité des messages en question qu’il conserve dans son infrastructure. Toutefois, j’arrive à la conclusion que les droits garantis à l’appelant par l’art. 8 n’ont pas été violés, étant donné que les relevés contenant les messages textes existants ont été saisis légalement au moyen de l’ordonnance de communication que prévoyait l’art. 487.012 du Code (maintenant l’art. 487.014). [10] Pour les raisons qui précèdent et pour celles énoncées ci‑après, je rejetterais le pourvoi et je confirmerais la validité de l’Ordonnance de communication. II. Analyse [11] L’article 8 de la Charte dispose que « [c]hacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». La démarche interprétative fondamentale applicable à l’égard de cet article est bien connue et comporte deux étapes. Premièrement, le demandeur doit établir que l’action étatique en cause constituait une fouille, une perquisition ou une saisie en ce qu’elle portait atteinte à ses attentes raisonnables au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la fouille ou de la perquisition (R. c. Cole, 2012 CSC 53 (CanLII), [2012] 3 R.C.S. 34, par. 34; R. c. Tessling, 2004 CSC 67(CanLII), [2004] 3 R.C.S 432, par. 18). Deuxièmement, le demandeur doit démontrer que la fouille, la perquisition ou la saisie elle‑même était abusive[1]. En règle générale, pour établir qu’il y a eu violation de l’art. 8, l’auteur d’une demande fondée sur la Charte doit prouver à la fois l’existence d’une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la fouille, perquisition ou saisie, ainsi que le caractère abusif de cette fouille, perquisition ou saisie (voir R. c. Collins, 1987 CanLII 84 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 265). [13] Je vais d’abord examiner la question de la qualité pour agir. L’appelant a‑t‑il une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la fouille? Pour répondre à cette question, les tribunaux tiennent invariablement compte de l’ensemble des circonstances propres à l’affaire dont ils sont saisis (voir Edwards, par. 31; R. c. Wong, 1990 CanLII 56 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 36, p. 62). Dans l’arrêt R. c. Spencer, 2014 CSC 43 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 212, le juge Cromwell a expliqué que, dans le contexte d’une revendication du droit à la vie privée d’ordre « informationnel », quatre considérations peuvent guider le tribunal dans son analyse (par. 18) : (1) l’examen de l’objet de la prétendue fouille; (2) la question de savoir si le demandeur possédait un droit direct à l’égard de l’objet de la fouille; (3) la question de savoir si le demandeur avait une attente subjective en matière de respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la fouille; (4) la question de savoir si cette attente subjective en matière de respect de la vie privée était objectivement raisonnable, eu égard à l’ensemble des circonstances. (2) Le demandeur a‑t‑il un intérêt direct dans l’objet de la fouille et une attente subjective au respect de sa vie privée à cet égard? a) L’appelant pouvait‑il s’appuyer sur la thèse de la Couronne afin d’établir son attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard des Messages textes? [19] Je conclus plutôt que M. Jones aurait dû être autorisé à s’appuyer sur la thèse de la Couronne selon laquelle il était l’auteur des Messages textes afin d’établir son attente subjective au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la fouille. Comme je l’explique plus loin, ce résultat s’accorde avec le fait qu’une preuve relativement minime est requise pour démontrer l’existence de l’attente subjective dans le cadre de l’analyse de l’ensemble des circonstances, ainsi qu’avec le principe protégeant contre l’auto‑incrimination. [20] Il importe d’abord de préciser que le critère de l’attente subjective n’a jamais été « très exigeant » (R. c. Patrick, 2009 CSC 17 (CanLII), [2009] 1 R.C.S. 579, par. 37), et ce, pour une bonne raison d’ailleurs. En effet, une insistance trop grande sur la présence ou l’absence d’une attente subjective au respect de la vie privée n’est pas conciliable avec le caractère normatif de l’analyse fondée sur l’art. 8. Ainsi que l’a expliqué le juge Binnie dans l’arrêt Tessling, au par. 42 : L’attente subjective en matière de vie privée a son importance, mais il ne faudrait pas utiliser trop rapidement son absence pour écarter la protection des valeurs d’une société libre et démocratique qu’offre l’art. 8. [. . .] Affirmer qu’un particulier qui laisse ses ordures au ramassage n’a pas d’attente raisonnable en matière de vie privée à leur sujet est une chose. Mais c’en est une toute autre de dire qu’une personne qui craint que son téléphone soit sur écoute n’a plus d’attente subjective en matière de vie privée et qu’elle ne peut plus de ce fait revendiquer la protection de l’art. 8. L’attente en matière de vie privée est de nature normative et non descriptive. [Je souligne] [29] Troisièmement, obliger l’accusé à admettre le bien‑fondé des allégations de la Couronne afin d’avoir la possibilité d’obliger l’État à respecter les obligations constitutionnelles qui lui incombent en vertu de l’art. 8 s’accorde mal avec la règle protégeant contre l’auto‑incrimination. Cette règle est un principe de justice fondamentale consacré par l’art. 7 de la Charte, constituant « un principe directeur général de droit criminel dont il est possible de tirer des règles particulières » (R. c. Hart, 2014 CSC 52 (CanLII), [2014] 2 R.C.S. 544, par. 123, citant l’arrêt R. c. Jones, 1994 CanLII 85 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 229, p. 249). Elle reflète le précepte fondamental selon lequel « le ministère public doit avoir présenté une ‘preuve complète’ pour qu’on puisse s’attendre à une réaction de la part de l’accusé » (R. c. White, 1999 CanLII 689 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 417, par. 41). À l’instar de l’article 8, cette règle repose sur « la valeur qu’attribue la société canadienne à la vie privée, à l’autonomie personnelle et à la dignité » (Hart, par. 123, citant l’arrêt White, par. 43). Cependant, le fait d’obliger un accusé à reconnaître effectivement le bien‑fondé des allégations de la Couronne avant de lui accorder la possibilité de présenter une défense pleine et entière en soumettant une contestation fondée sur l’art. 8 de la Charte est source de tension, car une telle obligation va à l’encontre de la règle protégeant contre l’auto‑incrimination. D’ailleurs, cette tension peut fort bien être à l’origine de la décision de M. Jones de ne pas présenter de preuve au sujet de son attente subjective au respect de sa vie privée. [34] Dans les circonstances de l’espèce, il s’ensuit que M. Jones s’attendait subjectivement à ce que l’on respecte son droit à la vie privée relativement aux copies de sa conversation électronique se trouvant dans l’infrastructure du fournisseur de services. Comme l’a souligné à juste titre la Cour d’appel, les messages textes constituent des communications privées. Cela n’est pas contesté. De plus, comme a conclu la juge saisie de la demande, M. Jones et son coaccusé se sont servis de noms de tiers pour [traduction] « éviter d’être repérés ou d’être associés » aux Messages textes (jugement sur la demande, d.a., vol. I, p. 1 à 41, par. 31 (vii)). Cela tend à indiquer qu’ils entendaient que leurs communications demeurent privées. Par conséquent, il est possible d’en inférer que M. Jones avait une attente subjective au respect de sa vie privée relativement à l’objet de la fouille. [35] Vu ma conclusion selon laquelle M. Jones avait une attente subjective au respect de sa vie privée relativement à l’objet de la fouille, il s’agit maintenant de décider si cette attente était objectivement raisonnable. En clair, la question à laquelle il faut répondre en l’espèce est celle de savoir si l’expéditeur d’un message texte possède une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard des copies de ce message texte conservées dans l’infrastructure du fournisseur de services. L’autre question qui se pose — c’est‑à‑dire celle de savoir si cette attente demeure raisonnable lorsque les renseignements se trouvent entre les mains du destinataire visé — est la question en litige dans le pourvoi Marakah. [36] La juge saisie de la demande a conclu que M. Jones n’avait pas d’attente raisonnable au respect de sa vie privée relativement aux Messages textes, et la Cour d’appel a confirmé cette décision à la majorité. Les arguments étayant leur décision respective peuvent être résumés en deux raisonnements distincts. Le premier repose sur la proposition générale voulant que l’expéditeur d’un message texte ne possède pas d’attente raisonnable au respect de sa vie privée relativement aux copies de ce message lorsque celui‑ci se trouve entre les mains du fournisseur de services, pour le motif qu’il a volontairement renoncé à la maîtrise de ce message lorsqu’il l’a envoyé. Le second raisonnement met l’accent sur l’ensemble des circonstances de l’espèce, à savoir : (i) l’appelant n’était pas partie à une entente de confidentialité avec Telus; (ii) l’Ordonnance de communication et la saisie qui en a découlé visaient un compte Telus enregistré au nom d’un tiers. a) L’expéditeur d’un message texte a‑t‑il une attente raisonnable au respect de sa vie privée relativement au contenu informationnel de ce message texte lorsqu’il se trouve entre les mains d’un fournisseur de services? [38] Comme tous les autres droits garantis par la Charte, l’art. 8 commande une interprétation téléologique (R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344). Il est donc utile de commencer en rappelant la raison d’être fondamentale de cette disposition. L’article 8protège l’attente raisonnable d’une personne au respect de sa vie privée, c’est‑à‑dire son droit raisonnable « de ne pas être importunée par autrui » (Hunter, p. 159). Suivant l’interprétation qu’en a donnée notre Cour, le respect de la vie privée d’un individu est essentiel pour assurer la dignité, l’autonomie et la croissance personnelles de celui‑ci (R. c. Golden, 2001 SCC 83 (CanLII), [2001] 3 R.C.S. 679, par. 89 et 90; R. c. Dyment, 1988 CanLII 10 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 417, p. 427 et 428; R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 281, par. 17; Spencer, par. 48). La protection de la vie privée des individus est par conséquent une condition préalable essentielle à l’épanouissement d’une démocratie libre et en santé. [39] Dans le contexte de l’intimité informationnelle, en particulier, notre Cour reconnaît depuis longtemps que « l’information de caractère personnel est propre à l’intéressé, qui est libre de la communiquer ou de la taire comme il l’entend » (Dyment, p. 429, cité dans Spencer, par. 40). La préoccupation en cause dans la présente affaire est l’autodétermination informationnelle. Tout comme une personne peut choisir de ne pas être importunée par autrui à son domicile en fermant sa porte aux représentants de l’État et raisonnablement s’attendre au respect de sa vie privée, cette même personne peut pareillement choisir de divulguer certains renseignements soit pour une fin précise, soit encore à une catégorie restreinte de personnes, et néanmoins conserver une attente raisonnable au respect de sa vie privée, selon les circonstances. Lorsque l’article 8 est en jeu, il est essentiel de protéger la faculté de faire ces choix. [40] Le contrôle direct qu’exerce l’auteur d’une demande fondée sur l’art. 8 sur l’objet de sa revendication du droit au respect de sa vie privée, ainsi que la capacité de cette personne de régir directement l’accès à cet objet sont des facteurs qui ont joué un rôle de premier plan dans l’analyse de l’ensemble des circonstances (Edwards, par. 31; Patrick, par. 27; Tessling, par. 32; Cole, par. 45 à 58). Par exemple, le fait qu’une personne ait renoncé au contrôle de l’objet physique visé par la fouille, par exemple en le déposant pour qu’il soit ramassé au bord du chemin lors de la collecte des ordures, ou encore en le jetant dans une poubelle, peut raisonnablement témoigner de son choix réfléchi de renoncer au respect de son droit à la vie privée à l’égard de cet objet (voir, par ex., Patrick; R. c. Stillman, 1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607). En revanche, le fait que des documents financiers soient conservés dans un coffre‑fort peut être une indication de la décision de préserver le caractère privé de l’information qu’ils contiennent (R. c. Law, 2002 CSC 10 (CanLII), [2002] 1 R.C.S. 227). Ces facteurs — le contrôle et l’accès — ont également joué un rôle particulièrement important dans les affaires relatives à l’intimité territoriale. Comme il a été mentionné plus tôt, les propriétaires et locataires d’immeubles possèdent la faculté concrète d’exclure les visiteurs de leur territoire et de choisir de ne pas y être importunés en limitant l’accès à leur domicile (Patrick; Edwards; R. c. Pugliese (1992), 1992 CanLII 2781 (ON CA), 71 C.C.C. (3d) 295 (C.A. Ont.)). Dans de telles situations, il est logique d’invoquer en même temps les notions de contrôle direct, d’accès et de choix, car le fait qu’une personne renonce à l’exercice du contrôle sur l’objet de sa revendication du droit au respect de sa vie privée et qu’elle donne à autrui accès à cet objet peut indiquer qu’il n’est pas raisonnable dans un tel cas que cette personne s’attende au respect de sa vie privée à cet égard. [41] Toutefois, comme l’a reconnu notre Cour dans les arrêts Spencer et TELUS, le contrôle et l’accès ne sont pas des concepts absolus. [42] Dans Spencer, les policiers avaient obtenu d’un fournisseur de services Internet des renseignements relatifs à l’abonné à qui appartenait une adresse de protocole Internet (IP) particulière. Or, une adresse IP laisse des traces sous forme de « fragments numériques » auprès du fournisseur de services (voir S. Magotiaux, « Out of Sync: Section 8 and Technological Advancement in Supreme Court Jurisprudence » (2015), 71 S.C.L.R. (2d) 501, p. 502). Ces fragments sont susceptibles de révéler l’historique des activités privées d’une personne sur Internet (voir R. c. Trapp, 2011 SKCA 143(CanLII), 377 Sask. R. 246, par. 36). Cependant, une fois qu’ils se trouvent entre les mains du fournisseur de services, ces fragments échappent au contrôle direct de l’internaute. Dans l’arrêt Spencer, notre Cour a néanmoins reconnu que M. Spencer avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard de l’objet de la fouille, et ce, même si un internaute « n’est pas en mesure d’exercer un contrôle total à l’égard de la personne qui peut observer le profil de ses activités en ligne et [. . .] n’est pas toujours informé de l’identité de celle‑ci » (par. 46). La Cour a tiré cette conclusion en s’appuyant en partie sur le cadre législatif établi par la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5 (LPRPDE) : Puisque la LPRPDE a pour objet de fixer des règles régissant, entre autres, la communication de « renseignements personnels d’une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l’égard des renseignements personnels qui les concernent » [. . .] il serait raisonnable que l’internaute s’attende à ce qu’une simple demande faite par la police n’entraîne pas l’obligation de communiquer les renseignements personnels en question ou qu’elle n’écarte pas l’interdiction générale prévue par la LPRPDE quant à la communication de renseignements personnels sans le consentement de l’intéressé. [Je souligne.] [45] La présente espèce s’apparente aux affaires Spencer et TELUS en ce sens que la décision de M. Jones d’envoyer un message à M. Waldron a nécessairement laissé des traces sous forme de fragments numériques chez Telus. Toutefois, tout comme dans Spencer et TELUS, cette situation n’a pas pour effet d’empêcher M. Jones de s’attendre raisonnablement à ce que le fournisseur de services protège le caractère privé de ses Messages textes. À l’instar du fournisseur de services en cause dans Spencer, le fournisseur de services concerné en l’espèce est assujetti aux dispositions de la LPRPDE, lesquelles limitent strictement sa capacité de communiquer des renseignements (voir, par ex., les art. 3 et 7, ainsi que le par. 5(3) de la LPRPDE). Comme le démontre l’arrêt Spencer, ces restrictions s’appliquent, peu importe que la cible de la fouille soit ou non un abonné du fournisseur de services concerné. En l’espèce, tout comme dans les affaires Spencer et TELUS, la seule façon qu’avait l’intéressé de conserver, vis‑à‑vis du fournisseur de services, un contrôle sur l’objet de la fouille, était de s’abstenir complètement d’utiliser ses services. Il ne s’agit évidemment pas là d’un véritable choix. Mettre l’accent sur la renonciation par M. Jones à exercer un contrôle direct sur le fournisseur de services est par conséquent difficilement conciliable avec une interprétation téléologique de l’art. 8. Les Canadiens n’ont pas à vivre en reclus du monde numérique afin de pouvoir conserver un semblant de vie privée. En conséquence, je conclus que l’expéditeur d’un message texte conserve une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard des copies des messages textes conservées dans l’infrastructure du fournisseur de services, malgré le fait qu’il ait renoncé à exercer un contrôle direct sur ces messages. Cette conclusion s’accorde avec les normes sociales actuelles, ainsi qu’avec une interprétation téléologique de l’art. 8. Elle se concilie également avec l’objet de la LPRPDE et avec la démarche retenue par notre Cour dans les arrêts Spencer et TELUS. b) L’absence d’entente de confidentialité ne fait pas échec à la prétention de M. Jones selon laquelle il a qualité pour agir [49] Dans l’arrêt R. c. Gomboc, 2010 CSC 55 (CanLII), [2010] 3 R.C.S. 211, la juge Deschamps a expliqué, au nom d’une pluralité de juges, que « le fait que la personne qui revendique une attente quant au respect du caractère privé de certains renseignements aurait dû savoir que les dispositions régissant ses rapports avec le détenteur de ces renseignements en permettaient la communication n’est pas nécessairement déterminant » (par. 34). La juge Deschamps a également fait la mise en garde suivante, à savoir que, particulièrement dans le cas des contrats d’adhésion, « la prudence est de mise » lorsqu’il s’agit de déterminer les conséquences de dispositions de ce genre sur la reconnaissance d’une attente raisonnable au respect de la vie privée (par. 33). Rédigeant l’arrêt unanime de la Cour dans l’arrêt Spencer, le juge Cromwell a conclu que M. Spencer avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée à l’égard des renseignements relatifs à l’abonné, malgré le fait que l’abonnée était sa sœur et que, en conséquence, c’était elle qui était partie au contrat avec le fournisseur de services (par. 7, 12 et 57). Le juge Cromwell a également conclu que, dans la mesure où le contrat envisageait la possibilité de communiquer des renseignements relatifs à l’abonné, les dispositions applicables n’étaient « guère utiles pour évaluer le caractère raisonnable de l’attente de M. Spencer au respect de sa vie privée » (par. 55) [50] Par conséquent, tant dans l’affaire Gomboc que dans l’affaire Spencer, la présence d’ententes permettant la communication de l’objet de la fouille ou de la perquisition ne pouvait à elle seule écarter l’attente raisonnable des demandeurs au respect de leur vie privée. [51] A fortiori, il s’ensuit que l’absence de pareille entente en l’espèce ne saurait écarter l’attente raisonnable de M. Jones au respect de sa vie privée. c) Le fait que l’Ordonnance de communication ciblait le compte d’un tiers ne rend pas déraisonnable l’attente de M. Jones au respect de sa vie privée [52] La Couronne ontarienne intimée plaide que le fait que l’Ordonnance de communication ciblait un compte de téléphone cellulaire appartenant à un tiers plutôt qu’à M. Jones milite contre la reconnaissance à ce dernier de la qualité pour agir. À mon avis, ce n’est pas le cas. Comme je l’ai expliqué précédemment, l’expéditeur d’un message texte a une attente raisonnable au respect de sa vie privée relativement à ce message lorsqu’il se trouve entre les mains d’un service de télécommunication agissant comme intermédiaire. En l’espèce, le fait que l’accès au message ait été obtenu au moyen d’une autorisation permettant de scruter le compte du destinataire ou celui de l’expéditeur ne change rien à la situation. Dans un cas comme dans l’autre, les Messages textes sont en la possession du fournisseur de services et à sa disposition. [59] À mon avis, il ressort de la lecture des termes pertinents de l’art. 184 et du par. 184(1), considérés « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise » avec la structure et l’objectif sous‑jacent de la partie VI, que ces termes n’appuient pas l’interprétation proposée par l’appelant (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), 1998 CanLII 837 (CSC), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E.A. Driedger, Construction of Statutes(2e éd. 1983), p. 87). Je ne considère pas non plus que la technique policière utilisée en l’espèce constitue une interception visée au par. 184(1) qui exigerait une autorisation fondée sur la partie VI. Je conclus donc que les policiers peuvent légalement obtenir le contenu de messages textes existants au moyen d’une ordonnance de communication prévue à l’art. 487.014 du Code. [68] Le paragraphe 184(1) prévoit ce qui suit : (1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, au moyen d’un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, intercepte volontairement une communication privée. Le mot « intercepter » est défini ainsi à l’art. 183 : intercepter S’entend notamment du fait d’écouter, d’enregistrer ou de prendre volontairement connaissance d’une communication ou de sa substance, son sens ou son objet. [78] Je suis consciente du fait que les messages textes ont un caractère intrinsèquement privé et qu’ils sont sous de nombreux rapports assimilables à des conversations. Toutefois, la nécessité d’obtenir une autorisation en vertu de la partie VI ne varie pas en fonction du degré d’atteinte au droit à la vie privée qu’implique la fouille ou perquisition envisagée par l’État. Par exemple, comme l’a fait observer le juge Fish dans R. c. Morelli, 2010 CSC 8(CanLII), [2010] 1 R.C.S. 253, il est « difficile d’imaginer une perquisition, une fouille et une saisie plus envahissantes, d’une plus grande ampleur ou plus attentatoires à la vie privée que celles d’un ordinateur personnel » (par. 2). D’ailleurs, les ordinateurs — tout comme les téléphones et les serveurs et autres dispositifs des fournisseurs de services — peuvent contenir des copies de conversations numériques. Malgré cela, notre Cour a toujours jugé que la saisie d’un ordinateur peut être autorisée en vertu du régime général prévu à l’art. 487 du Code (R. c. Vu, 2013 CSC 60 (CanLII), [2013] 3 R.C.S. 657; Cole;Morelli). Ainsi que l’a reconnu la Cour d’appel, la question de savoir si l’obtention d’une autorisation visée à la partie VI est nécessaire [traduction] « dépend en définitive de la technique d’enquête particulière utilisée par les policiers et de la question de savoir si cette technique constitue une interception de communications privées » (par. 32). III. Dispositif [82] Pour ces motifs, je rejetterais le pourvoi et je confirmerais la validité de l’Ordonnance de communication. Dernière modification : le 27 décembre 2017 à 9 h 23 min.