Extraits pertinents :

[1]  La demanderesse (B...) réclame du défendeur (S...) 7000 $ pour atteinte à sa vie privée par la diffusion d’un vidéo d’elle sur un site pornographique.

LES FAITS

[3]  Les parties ont été conjoints quelques mois. À cette occasion, un vidéo d’un échange sexuel a été fait. Après leur séparation, S... vérifie si un site pornographique accueille vraiment les vidéos provenant du grand public tel qu’il le représente. Il télécharge donc le vidéo où il est présent avec B... sans au préalable obtenir son consentement. Il dit ne pas avoir vu dans les jours suivants le vidéo apparaître ni avoir reçu confirmation de sa réception et d’acceptation de diffusion de la part des organisateurs de ce site pornographique.

[5]  Il téléphone à B... pour apprendre qu’une quinzaine de jours plus tôt, elle a reçu un message courriel lui dénonçant sa participation sur un site pornographique depuis plus d’un an avec plusieurs dizaines de milliers de visionnement. S... s’empresse de faire retirer le film du site concerné.

[7] B... a mis un terme à ses activités de massothérapeute qu’elle exerçait depuis cinq années craignant de rencontrer un client qui, l’ayant reconnue sur le site, lui ferait des propositions indécentes. Son métier doit effectivement être exercé avec un haut niveau d’éthique. Elle a cependant comblé sa perte de temps de travail par une présence plus assidue comme serveuse dans un bar. Elle estime avoir sensiblement le même revenu, mais avec des heures plus longues.

[9] La remise de ce vidéo sans son consentement, le nombre de visionnements en cause, le type d’activité qu’il montre lui ont causé un préjudice réel. La preuve révèle qu’une personne l’a reconnue et lui a signalé sa présence sur le site. Elle affirme à juste titre que cette personne a cherché à profiter de la situation. La lecture des courriels de dénonciation le montre déjà. On ne peut exclure que d’autres personnes de la région ont pu la reconnaître, mais aucune preuve prépondérante n’a été faite à ce propos.

ANALYSE ET DÉCISION

[10] Le recours de B... est fondé sur les articles 4 et 5 de la Charte des droits libertés de la personne[1] (Charte) qui se lisent comme suit :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

[11] L’article 49 de la Charte établit la sanction dans les cas d’atteinte à un droit fondamental comme celui de la protection de la vie privée.

[12] Cet article se lit comme suit :

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

Dommages-intérêts punitifs.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

[18]  Le Tribunal note qu’aucun incident ne lui a été signalé depuis décembre 2009, date du début de la diffusion jusqu’en 2012 en date de l’audition lors duquel un client aurait signalé à B... l’avoir vue sur le site pornographique. B... a donc pu réaliser normalement ses fonctions de massothérapeute ou de serveuse de bar pendant toute l’année 2010. Les possibilités qu’un tel incident se produise diminuent toujours et sont peut-être maintenant inexistantes vu le retrait du vidéo en décembre 2010.

[19] De plus, B... a su réorganiser sa vie économique pour maintenir son niveau de revenu dans le cadre de conditions de travail qui peuvent se comparer. Rien ne l’empêche de reprendre son travail de massothérapeute ayant toujours les connaissances et l’expérience. Malgré cette expérience pénible, B... n’a pas fait la preuve de dommages matériels qui en découlent.

[20] B... a certainement été trahie par S... qui s’est autorisé à diffuser des photographies intimes. Elle a avec raison été humiliée, dépréciée, insécurisée et profondément choquée. Seul le temps peut apaiser ce ressentiment face à ce comportement inacceptable de la part de S.... Elle a subi un réel préjudice qui découle d’une atteinte à sa vie privée et à une banalisation de son comportement personnel exposé au grand public[2]. Maurice Drapeau traite d’un préjudice juridique[3].

[24] La trahison de la confiance qu’elle a eue en S..., la violation de son intimité, l’humiliation qu’elle a éprouvée et sa crainte que son milieu de travail l’apprenne constituent un préjudice réel.

[26] Une atteinte à la vie privée correspond à un cas où ce type de dommage peut être accordé afin d’exprimer la réprobation que la société éprouve et protéger les droits que la Charte énonce comme étant fondamentaux. La Cour suprême exige cependant plus qu’une preuve d’une faute lourde. En effet, il faut démontrer une volonté en pleine conscience de nuire par le geste qu’on pose et qui constitue une atteinte à la vie privée d’une autre personne. S... a tenté une expérience sans vouloir harceler ou nuire à B.... Il a oublié quelques instants que l’envoi sur des médias sociaux d’une photographie ou d’un vidéo lui fait perdre son caractère intime, privé, humain pour les propulser dans un univers dont on ne mesure plus l’étendue, la qualité ni les retombées[4].

[27] Aucune preuve n’a été faite de la situation financière de S.... Il est lui aussi jeune, bien éduqué et il est certes capable de faire face à ses responsabilités, ne serait-ce que par sa capacité de s’exprimer pour se défendre.

[32] Dans notre cas, B... consent à réduire sa réclamation à 7000 $ pour s’adresser à la Division des petites créances de la Cour du Québec. Elle n’a pas prouvé un dommage matériel et les circonstances de l’atteinte mettent de côté la nécessité d’accorder des dommages punitifs. Dans une certaine mesure, par la fierté bien légitime qu’elle ressent de son apparence, elle se retrouve victime d’une atteinte à sa vie privée. En laissant un appareil saisir son image dans une situation de grande intimité, elle risque qu’elle soit vue dans des contextes inappropriés par des personnes qui l’utiliseront à son désavantage. B... a tardé à dénoncer l’atteinte qu’on lui a faite et l’humiliation qu’elle a ressentie. Elle ne semble pas affectée à long terme, émotionnellement, de cette mésaventure. Sa fierté et sa joie de vivre n’apparaissent pas affectées indûment et à long terme[7].

[33] Le dommage moral a été présent à compter de la découverte du vidéo en décembre 2010. La période la plus intense fut certes celle qui s’échelonne jusqu’à l’envoi de la mise en demeure en février 2011 (2 X 500 $). Cette période comprend une rencontre impromptue avec S... donnant lieu à un échange de vues. La consultation juridique et la mise en demeure à S... ont dû calmer le ressentiment (2 X 300 $). Par la suite, la douleur a du s’estomper progressivement jusqu’à la prise d’action judiciaire (800 $). Une indemnité de 2400 $ pour préjudice moral est donc appropriée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ORDONNE la banalisation du nom des parties advenant la publication et la diffusion du présent jugement;

ORDONNE que les photographies déposées sous la cote D-2 soient mises sous scellé et remises à la demanderesse elle-même après l’expiration d’un délai de trente jours du présent jugement;

CONDAMNE M... S... à payer à V... B... la somme de 2400 $ portant intérêt au taux légal ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec à compter du 24 février 2011;

CONDAMNE M... S... à payer à V... B... ses frais judiciaires au montant de 159 $;

CONDAMNE M... S... à verser à K... D... l’indemnité fixée conformément au tarif judiciaire et DEMANDE au greffe d’informer la personne en question de l’existence du présent jugement qui la concerne.


Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 15 h 52 min.