Extraits pertinents : [1] Le Tribunal est saisi d'une requête introductive d'instance en dommages et intérêts et en injonction permanente par laquelle un employé poursuit en justice son ex-employeur qui a tenu à son endroit des propos mensongers et diffamatoires. [3] Affecté par deux hernies discales depuis plusieurs années (P-2), Morigeau a accommodé Joël St-Amant en lui assignant des travaux légers. Malgré cela, Joël St-Amant a dû par la suite cesser tout travail au mois de mars 2001, époque à laquelle il a commencé à bénéficier du régime d'assurance salaire de Morigeau et ce, pour la durée maximale de celui-ci. [4] À l'expiration de cette période, Morigeau se trouvant dans l'impossibilité de l'affecter à des tâches ne nécessitant aucun effort physique, Joël St-Amant démissionne (D-4). Nous sommes le 8 août 2003. [6] Joël St-Amant donne pour référence Morigeau, le seul employeur pour qui il a travaillé pendant onze (11) ans, emploi qu'il a débuté alors qu'il avait à peine 17 ans. [7] Se doutant après un certain temps que quelque chose ne tourne pas rond, Joël St-Amant, le 4 novembre 2003, demande à sa conjointe du moment, Madame Chantal Ricard, de téléphoner chez Morigeau en se faisant passer pour un employeur intéressé par ses services. Cette dernière parle au défendeur, Vincent Labrie, qui est conseiller en ressources humaines chez Morigeau. [8] Chantal Ricard n'a pas pris de notes de cette conversation téléphonique. Elle témoigne de mémoire et affirme, même si elle ne se souvient pas des paroles exactes prononcées par Vincent Labrie, que ce dernier lui a répondu que Joël St-Amant n'était pas un bon candidat et qu'il lui déconseillait de l'engager. ANALYSE [21] Tout d'abord, de manière générale, il y a lieu de rappeler que l'état de santé d'un individu et les renseignements s'y rapportant sont considérés comme faisant partie intégrante de sa vie privée (Godbout c. Longueuil (Ville) 1997 CanLII 335 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 844, par. 97; The Gazette (Division Southam inc.) c. Valiquette, 1996 CanLII 6064 (QC CA), [1997] R.J.Q. 30, p. 36 ((C.A.)). [22] De plus, nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans son consentement, lequel doit être manifeste, libre, éclairé et être donné à des fins spécifiques. Un consentement qui ne répond pas à ces exigences est, de par la loi, sans effet (Code civil du Québec, art. 35 al. 2 et 37 ; Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, L.R.Q., c. P-39.1, art. 13 et 14 ). [23] Interrogé avant défense, le 13 décembre 2004, Joël St-Amant répond ceci à la question suivante que lui pose le procureur des défendeurs (p. 38) : «Q. Vous n'avez pas donné, à aucun de ces employeurs là, un avis à l'effet que vous autorisiez ces employeurs-là à communiquer avec Morigeau ? R. Ils m'ont demandé qui communiquer, je leur ai dit, ils l'ont pris en note, mais pas d'autres choses.» [24] De l'avis du Tribunal, cette invitation générale à communiquer avec Morigeau n'autorisait pas son représentant, Vincent Labrie, à divulguer à des tiers les problèmes de dos de Joël St-Amant qui sont liés à son état de santé et pour cette raison, confidentiels. C'est là un premier accroc au droit à la vie privée de ce dernier (JEAN-FRANÇOIS PEDNEAULT, LINDA BERNIER, LUKASZ GRANOSIK, Les droits de la personne et les relations du travail, Éditions Yvon Blais, mise à jour, 17-12-2005, No 23.491 ; PATRICK L. BENAROCHE, Droits et obligations de l'employeur face au recrutement d'employés et aux références après emploi, Développements récents en droit du travail (1995), Éditions Yvon Blais, p. 129, 137 et 138 ; Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau, section locale 57 et Caisse populaire St-Stanislas de Montréal, AZ-99141016, p. 18 à 20 (Tribunal d'arbitrage, Me Marie-France Bich)). [25] Quant aux autres commentaires de Vincent Labrie, le Tribunal, à dessein, en a cité de larges extraits pour éviter d'avoir à épiloguer trop longuement sur ceux-ci tant ils apparaissent absolument gratuits, mensongers, malhonnêtes et diffamatoires par les insinuations qui s'en dégagent et les sentiments défavorables ou désagréables qu'ils suscitent à l'endroit de Joël St-Amant (Prud'homme c. Prud'homme, 2002 CSC 85 (CanLII), [2002] 4 R.C.S. 663, par. 33-34). [26] On retiendra à cet égard, que mise à part une peccadille sans importance, le dossier disciplinaire de Joël St-Amant est sans tâche et que Vincent Labrie, qui a débuté chez Morigeau en janvier 2001, n'a jamais vu travailler ce dernier et n'a donc aucune connaissance personnelle de ses compétences ou habilités. [28] Les seules choses qui sont vraies dans les propos que tient Vincent Labrie concernent les maux de dos de Joël St-Amant et le fait qu'il a bénéficié du régime d'assurance-salaire de Morigeau, deux informations par ailleurs que cette dernière ne pouvait pas divulguer en l'absence du consentement manifeste et spécifique de Joël St-Amant. Or, non seulement pareil consentement n'a pas été donné en l'espèce, mais, de plus, rien dans la preuve présentée au Tribunal ne permet d'affirmer que ce dernier a abusé de sa situation d'une manière frauduleuse. [30] Le Tribunal en vient donc à la conclusion que Vincent Labrie a commis une faute et que Morigeau doit également être tenue responsable à titre de commettante pour le préjudice moral causé à Joël St-Amant (art. 1463 C.c.Q.). [31] À cet égard, la Cour d'appel rappelle dans l'arrêt The Gazette (Division Southam inc.) c. Valiquette, précité, que l'évaluation du préjudice moral «est un exercice imprécis et arbitraire [qui] se prête difficilement à une évaluation mathématique» (p.37). [32] Joël St-Amant réclame 20 000 $ à ce titre. [34] Joël St-Amant raconte pour sa part que ces propos ont grandement affecté son moral en lui faisant douter de ses capacités. Il a, dit-il, sombré dans une quasi-dépression pour laquelle il n'a pas consulté, mais qui a affecté sa vie de couple. [35] Avant de chiffrer le montant des dommages moraux auquel a droit Joël St-Amant, le Tribunal marque une pause pour rappeler les propos tenus par Monsieur le juge en chef Dickson, même s'il était dissident, dans l'arrêt Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations ACT (ALB), 1987 CanLII 88 (CSC), [1987], 1 R.C.S. 313, à propos de l'importance du travail pour une personne (p. 368) : «Le travail est l'un des aspects les plus fondamentaux de la vie d'une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société. L'emploi est une composante essentielle du sens de l'identité d'une personne, de sa valorisation et de son bien-être sur le plan émotionnel. C'est pourquoi, les conditions dans lesquelles une personne travaille sont très importantes pour ce qui est de façonner l'ensemble des aspects psychologiques, émotionnels et physiques de sa dignité et du respect qu'elle a d'elle-même.» [36] Tout bien considéré, le Tribunal évalue le préjudice moral causé à Joël St-Amant à 5 000 $. [38] Reste les dommages exemplaires de 15 000 $ sur lesquels le Tribunal doit maintenant statuer et qui trouvent leur fondement à l'article 49 alinéa 2 de la Charte des droits et libertés de la personne qui se lit comme suit : «49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires.» [41] Quant à Vincent Labrie qui croit parler à un employeur intéressé par la candidature de Joël St-Amant et qui insinue que ce dernier est un profiteur qui a abusé du régime d'assurance-salaire de son employeur et qui répand d'autres faussetés sur son compte, le Tribunal ne peut se convaincre qu'il ignorait les conséquences extrêmement probables et nuisibles que sa conduite engendrerait. D'ailleurs, la première chose qu'il mentionne lors de la conversation téléphonique du 14 avril 2004 est la suivante : «Bah! Moi, je vous conseille de prendre l'autre candidat.» [42] Les propos qu'il tient par la suite n'ont pour autre but que de convaincre son interlocuteur que Joël St-Amant est un mauvais candidat. [45] En l'espèce, le Tribunal est d'avis qu'il y a eu atteinte aux droits protégés par la Charte aux articles 4 et 5 et que cette atteinte est grave, illicite et intentionnelle. [48] C'est donc avec ces considérations à l'esprit et en tenant compte que Vincent Labrie a reconnu lors de l'audience qu'il avait manqué de professionnalisme que le Tribunal le condamne personnellement à payer à Joël St-Amant la somme de 2 000 $ à titre dommages exemplaires. [51] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL: [52] ACCUEILLE en partie la requête introductive d'instance; [53] CONDAMNE conjointement et solidairement les défendeurs à payer au demandeur la somme de 5 000 $ avec intérêts à compter de l'assignation, majorée de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec; [54] CONDAMNE le défendeur Vincent Labrie à payer au demandeur la somme de 2 000 $ à titre de dommages exemplaires avec intérêts à compter du présent jugement, majorée de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec; [55] ORDONNE à la défenderesse, Meubles Morigeau Ltée, de fournir à l'avenir uniquement les renseignements devant apparaître au certificat de travail prévu à l'article 2096 du Code civil du Québec, soit la nature et la durée de l'emploi occupé par Joël St-Amant chez Morigeau et l'identité des parties; Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 15 h 13 min.