Extraits pertinents :

[1] Alléguant que le défendeur a porté atteinte à sa réputation et à sa vie privée, le demandeur lui réclame 40 500 $ à titre de dommages.

[5] Le demandeur a travaillé à la Société coopérative agricole des Bois-Francs (Coop) comme livreur de matériaux de construction et préposé à l'entrepôt du mois de mars 2008 au mois d'août 2009. Il a été embauché par Martin Pothier, directeur de la division des matériaux.

[6]  Dans le cadre du processus d'embauche, le demandeur a dit à monsieur Pothier qu'il avait un dossier judiciaire relatif à des attouchements sur des personnes mineures, qu'il avait purgé sa peine, qu'il avait suivi une thérapie dans le cadre d'une probation et qu'il n'avait pas récidivé. Le dossier judiciaire du demandeur est dans le district de Drummond. Son dossier était connu dans la région de Drummondville puisque des articles de journaux en avaient fait état.

[8]  Monsieur Pothier a réfléchi à la situation. Deux jours plus tard, il a rencontré le demandeur en compagnie du directeur général de la Coop, monsieur Yvon Bédard. Le demandeur a été embauché avec une mention qu'il serait congédié s'il y avait récidive de sa part ou si son dossier portait ombrage à la Coop.

[9] Peu de temps après son installation à Victoriaville, des affiches ont été placardées sur les poteaux du réseau téléphonique (10 à 15 environ) mentionnant le nom du demandeur, qu'il était pédophile et qu'il habitait dans le quartier. Selon lui, ce sont des parents des victimes qui auraient posé ces affiches. Il en a également reçu dans sa boîte à malle. Le défendeur est étranger à cet affichage survenu en août 2007. Le demandeur a enlevé environ la moitié de ces affiches.

[11] Peu de temps après, une seconde série d'affiches a fait surface, contenant cette fois-ci la photographie du demandeur et son adresse (R-3). Le défendeur est étranger aussi à cet affichage. Le demandeur en a informé la Sûreté du Québec.

[13]  Le 13 septembre 2008, le demandeur a appris, pendant qu'il faisait des livraisons, qu'il était suspendu. Il a rencontré monsieur Pothier et monsieur Bédard qui lui ont demandé s'il avait récidivé. Le demandeur a nié toute récidive. Il a cependant appris des deux hommes que le défendeur, Cyril Le Flem, que le demandeur ne connaissait pas, avait révélé son passé judiciaire à des employés qu'il avait réunis dans l'entrepôt, soit environ cinq à huit personnes.

[18] Le demandeur a été suspendu avec salaire pendant environ une semaine. Il a fait appel à son thérapeute qui a accepté de rencontrer les employés de la Coop. Cela semble avoir rassuré certains employés.

[19] À son retour au travail, le demandeur et le directeur de la Coop ont expliqué la situation aux employés. Après son retour au travail, le demandeur a constaté que l'un de ses collègues de travail sur la livraison des matériaux ne lui parlait presque plus et qu'un autre ne le saluait plus.

[20]  Le demandeur a craint d'être congédié pour ce qui était survenu. Il a aussi constaté que monsieur Pothier était devenu froid et méfiant. Il se sentait surveillé par ses collègues. Son horaire de travail est devenu plus serré. Il a pensé à appliquer sur un poste de soirée qui était affiché, mais les conditions n'étaient pas acceptables.

[22]  Le demandeur a remis sa démission au mois d'août 2009. Il a été en chômage environ deux à trois mois. Il a ensuite trouvé un nouvel emploi de journalier chez Ergie. Il y a travaillé environ un mois et demi, soit du mois de novembre 2009 au 18 janvier 2010. Du 18 janvier 2010 au 3 février 2010, il a travaillé chez Fenergic, un fabricant de portes et fenêtres à Warwick.

[25]  Luc Gauthier, un collègue de travail du demandeur, a croisé le défendeur en sortant du bureau de l'entrepôt une journée du mois de septembre 2008. Devant quatre à six employés, le défendeur a prononcé les paroles suivantes : « Comment vous faites pour travailler avec un pédophile? » Monsieur Gauthier s'est montré étonné de ces paroles. Cela n'a pas modifié l'opinion qu'il avait du demandeur. Il a toujours eu de bonnes relations de travail avec le demandeur.

[40] Le droit à la vie privée est prévu à l'article 5 de la Charte des droits et libertés de la personne (L.R.Q., c. C-12) et à l'article 35 du Code civil du Québec dont le texte est le suivant :

Charte des droits et libertés de la personne

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

Code civil du Québec

35.Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.

[42]  Le dossier judiciaire du demandeur était du domaine public puisqu'il pouvait être consulté par toute personne. Sa condamnation avait fait l'objet d'articles de journaux dans la région de Drummondville.

[49] Le défendeur a aussi porté atteinte à la vie privée du demandeur. Celui-ci avait été sanctionné par un Tribunal pour les infractions commises. Il ne pouvait évidemment pas s'attendre à ce que ses antécédents judiciaires demeurent dans le domaine privé. Des articles dans les journaux de Drummondville en avaient traité en 2007. Des affiches avaient été placardées dans son quartier à Victoriaville.

[50]  On ne peut reprocher au demandeur d'avoir voulu être discret à ce sujet auprès de ses collègues de travail dans son désir légitime de travailler et de se faire une place dans la société. Dans le processus d'embauche à la Coop, il n'avait rien caché de ses antécédents judiciaires. La direction de la Coop lui a donné sa chance tout en restant discrète auprès de son personnel. De façon générale, le demandeur était apprécié de ses collègues de travail.

[51] Il était légitime pour le défendeur de veiller à la sécurité de ses jeunes enfants. On ne peut lui reprocher d'avoir cherché à savoir si le demandeur, dont il connaissait les antécédents judiciaires, travaillait au service de livraison de la Coop. C'est par la suite qu'il a fait preuve d'imprudence et d'insouciance. Ayant été informé par monsieur Frédérick Metthé que la direction de la Coop connaissait le passé du demandeur lorsqu'elle l'a embauché, il aurait dû faire preuve de discrétion dans ses démarches ultérieures comme lui avait d'ailleurs suggéré monsieur Metthé.

[52]  Le défendeur aurait dû communiquer avec la direction de la Coop et demander que monsieur Nault ne livre pas de matériaux chez lui pour des motifs qui pouvaient être légitimes. En réunissant plutôt des collègues de travail du demandeur et en prononçant les paroles rapportées plus haut, le défendeur a causé un préjudice moral en humiliant le demandeur auprès de ses collègues de travail.

LES DOMMAGES

[53]  Le demandeur réclame 4 000 $ à titre de dommages moraux et 10 000 $ pour atteinte à sa réputation. Il réclame aussi 16 500 $ pour perte de revenus et 10 000 $ à titre de dommages punitifs.

[56]  Pour l'atteinte à la réputation et à la vie privée, le Tribunal accorde au demandeur la somme de 3 000 $, et ce, en tenant compte de toutes les circonstances analysées plus haut, notamment le fait que les propos du défendeur ont été diffusés dans un cercle restreint et qu'ils ont eu des conséquences relativement mineures dans l'esprit des collègues de travail du demandeur.

[63] Le Tribunal est d'avis que la conduite du défendeur n'atteint pas le seuil de gravité envisagé par la Cour suprême du Canada. Le Tribunal a déjà qualifié cette conduite du défendeur d'imprudente et d'insouciante. Elle était même « téméraire et déréglée » pour employer les termes de la Cour suprême dans l'extrait ci-dessus. Mais ceci n'est pas suffisant pour qualifier cette conduite d'atteinte illicite et intentionnelle au sens du paragraphe 2 de l'article 49 de la Charte. Le demandeur n'a donc droit à aucune somme à ce poste.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[64]  ACCUEILLE en partie la requête introductive d'instance amendée du demandeur;

[65] CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 5 500 $, plus intérêts au taux de 5 % l'an, majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 1er octobre 2008;

[66]  CONDAMNE le défendeur aux dépens.


Dernière modification : le 29 novembre 2017 à 13 h 09 min.