Extraits pertinents :

[1]  Line Mckenzie (McKenzie), à titre de tutrice de l’enfant mineur Léane Robitaille, réclame 7 000 $ de dommages à Académie des Beaux-Arts inc. (l’Académie) Chantal Pépin (Pépin) et Denis Jacques (Jacques), et ce, pour avoir porté atteinte au droit à l’image et à la vie privée de sa fille.

[2]  Les défendeurs ont déposé une défense commune dans laquelle, ils allèguent que la grand-mère de l’enfant a donné son accord à l’utilisation de l’image.

QUESTIONS EN LITIGE

[6] Considérant l’absence de convention écrite, existe-t-il une entente verbale par laquelle Despatie aurait consenti à ce que les photographies prises par Pépin soient ensuite utilisées par l’Académie à des fins didactiques?

[7]  Subsidiairement Pépin a allégué l’existence d’une entente basée sur les us et les coutumes de l’Académie, en a-t-elle établi leur existence et la connaissance de Despatie à cet état de fait?

LES FAITS

[9]  Au printemps 2014, elle est inscrite au cours de portrait. Elle désire peindre le portrait de sa petite fille Léane. Pour ce faire, il lui faut une très bonne photo de l’enfant, car la photo lui servira de modèle.

[10] Des cours sur l’art de prendre de bonnes photos sont aussi donnés par l’Académie, mais Pépin offre à Despatie de prendre les photos de sa petite-fille gratuitement pour qu’elle puisse ensuite la peindre.

[11] Despatie amène Léane à l’Académie et Pépin prend plusieurs photos. Les photos sont mises sur une clé USB et remises à Despatie afin qu’elle en choisisse une qui lui servira de modèle pour le cours de portrait. Une analyse des photos se fait aussi lors de la formation afin de déterminer laquelle offre les meilleures conditions.

[12] Despatie est absente au premier cours de portrait. Cette journée-là, il y a un professeur remplaçant, Denis Jacques. Pépin a retenu les services de Jacques et lui a décrit le cours et le projet des élèves, elle lui parle en particulier de celui de Despatie.

[13] Jacques choisit une photo parmi les photos de Léane. Lors du cours, malgré l’absence de Despatie, il utilise cette photo pour illustrer les étapes de la peinture d’un portrait. À la fin du cours, il  a ainsi développé une planche didactique et une œuvre finale d’un portrait de Léane, qui est exposé en classe.

[14] Jacques explique que puisqu’il n’est pas l’auteur de la photo, il ne peut vendre la peinture. Pour qu’une œuvre puisse être vendue, l’artiste doit en être l’auteur de la prise de photo au dernier coup de pinceau.

[15] Despatie revient en classe la semaine suivante et voit le portrait de sa petite-fille peint par un autre. Pépin se décrivant comme l’agent de Jacques, offre de lui vendre l’œuvre pour 800 $, ce que Despatie refuse.

[16] Elle mentionne à sa petite-fille qu’une autre personne a fait son portrait, cette dernière n’est pas en accord, puisque cela devait être fait par sa grand-mère. Despatie apprend que des images de son autre petite-fille ont été utilisées dans un autre cours. Elle enjoint à Pépin de cesser immédiatement l’utilisation des images de ses petites‑filles.

[17] Pépin refuse lui indiquant qu’en acquiesçant à la prise de photos, Despatie a aussi acquiescé à ce que l’Académie les utilise dans un cadre didactique. Pépin exclut alors Despatie de l’Académie.

ANALYSE ET MOTIFS

[21] Des faits, le Tribunal retient que Despatie, à titre de responsable de l’enfant mineur, Léane Robitaille a donné son accord à la prise de son image, mais qu’elle n’a donné aucun accord exprès à la diffusion ultérieure de cette image et encore moins à son utilisateur à des fins mercantiles.

[22]  Puisqu’il a consentement à la prise de l’image la situation est différente de celle analysée par la Cour supérieure dans Vice-Versa[1]. Ici comme dans l’arrêt, Journal de Québec c. Beaulieu Marquis et al.[2], la question à résoudre consiste à déterminer l’étendue de consentement donné. Dans cet arrêt le juge François Pelletier écrit au paragraphe 33 :

« Je précise que je suis en parfait accord avec le postulat voulant que le consentement à la prise d’une photographe n’emporte pas nécessairement un acquiescement à tout usage quel qu’il soit. Ce postulat ne permet cependant pas de dégager la règle appliquée par la Cour du Québec (dossier de première instance, étudié en appel) et au terme de laquelle un consentement spécifique doit nécessairement intervenir lorsque l’usage envisagé est la diffusion. En somme, il s’agit d’évaluer, dans le conteste particulier à chaque cas litigieux, la portée réelle du consentement donné lors de la captation de l’image. »

[23] Dans notre cas d’espèce, la prise de photos fut prise dans un contexte d’offre de service éducatif. Despatie défraie des frais pour suivre des cours de peinture de portraits, son projet le portrait de sa petite-fille. Parce qu’elle n’a pas encore les connaissances nécessaires pour prendre une bonne photo, l’Académie lui offre de le faire pour elle, et ce, sans mention de frais et sans mention de partage des photos par la suite.

[28]  En conclusion, en utilisant l’image de Léane pour des fins didactiques et pour des fins mercantiles les défendeurs ont enfreint l’article 5de la Charte des droits et libertés de la personne.

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

[29] Quant aux dommages moraux, le Tribunal a tenu compte des enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Cinar[3] pour déterminer la somme à accorder à la demanderesse. Pour l’analyse, il fut retenu que l’image fut utilisée à des fins didactiques et à des fins commerciales, que la demanderesse et sa grand-mère ont été privées d’une expérience et d’un souvenir importants, leur créant une grande déception.

[30] En tenant compte de ces critères, le Tribunal fixe à 1 500 $ l’indemnité que la demanderesse est en droit de recevoir des défendeurs.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE en partie la demande;

REJETTE la demande reconventionnelle;

CONDAMNE solidairement les défendeurs à payer à la demanderesse la somme de 1 500 $, avec intérêts au taux légal, et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, et ce, depuis le l’envoi de la lettre de mise en demeure du 11 juin 2014, ainsi que les frais de justice de 200 $.


Dernière modification : le 3 décembre 2017 à 13 h 47 min.