Extraits pertinents :

[2] Cette enquête a porté sur la conformité à la Loi sur le privé des pratiques de l’entreprise en matière de collecte, de détention, d’utilisation et de communication de renseignements personnels dans le contexte de l’utilisation du système de vidéosurveillance en place.

Les faits 

[4] L’enquête révèle également que les caméras enregistrent de manière continue et que les enregistrements sont effacés par écrasement après une semaine. L’appareil permettant de visionner les images enregistrées est situé dans … . Un parent peut, sur demande, voir les enregistrements.

[5] Selon l’enquête, les objectifs ou finalités recherchés par la collecte de ces renseignements personnels sont la sécurité des enfants, incluant le contrôle des personnes qui entrent et sortent de la garderie, la possibilité de voir ce qui s’est passé en cas d’incident impliquant un enfant ou un employé et la protection physique des biens et des lieux.

Analyse 

[12] Puisque les quatorze caméras utilisées par l’entreprise enregistrent de manière continue ce qui se passe sur les lieux, incluant les faits et gestes des personnes qui s’y trouvent, la Commission doit déterminer si l’entreprise respecte les dispositions de la Loi sur le privé dans le contexte de l’utilisation de ses caméras de surveillance. En effet, l’entreprise collecte ainsi de manière systématique des images permettant d’identifier les personnes se trouvant sur les lieux.

[13] En vertu de l’article 4 de la Loi sur le privé et de l’article 37 du Code civil du Québec4, une entreprise doit avoir un intérêt sérieux et légitime pour constituer un dossier sur autrui.

[14] Selon la Loi sur le privé, une entreprise peut uniquement recueillir les renseignements personnels nécessaires à l’objet d’un dossier :

5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d’y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier.

[15] Comme l’a déjà souligné la Commission, les règles établies par la Loi sur le privé visent à établir un équilibre entre le droit au respect de la vie privée d’une personne et les besoins d’une entreprise en matière de collecte, d’utilisation et de communication de renseignements personnels dans le cadre de l’exercice de ses activités. C’est pourquoi la loi limite la collecte de renseignements personnels par une entreprise uniquement à ceux qui sont nécessaires pour réaliser l’objet du dossier qu’elle constitue au sujet d’une personne.

[17] Le critère de nécessité des renseignements s’interprète à la lumière de la finalité poursuivie par l’organisme qui recueille des renseignements personnels :

[33] Ce principe d’interprétation, voulant que la nécessité doit être évaluée relativement aux fins pour lesquelles un renseignement est requis, est conforme à la lettre et à l’esprit de la loi. Il ne s’agit pas de déterminer ce qu’est la nécessité en soi, mais plutôt de chercher, dans le contexte de la protection des renseignements personnels, et pour chaque situation, ce qui est nécessaire à l’accomplissement de chaque fin particulière pour laquelle un organisme public plaide la nécessité. [...]

[18] Dans l’affaire Laval, la Cour du Québec a rappelé l’objet des lois sur la protection des renseignements personnels, soit le droit au respect de la vie privée, un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne6, et le principe voulant que les lois doivent être interprétées d’une manière qui favorise l’exercice des droits fondamentaux. Elle propose d’interpréter l’exigence de nécessité en la développant autour des deux volets du test élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt Oakes7, bien que ce test vise plutôt à déterminer si une atteinte à un droit fondamental est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens des articles 1 de la Charte canadienne des droits et libertés8 et 9.1 de la Charte québécoise :

[44] […] Un renseignement sera donc nécessaire non pas lorsqu’il pourra être jugé absolument indispensable, ou au contraire simplement utile. Il sera nécessaire lorsque chaque fin spécifique poursuivie par l’organisme, pour la réalisation d’un objectif lié à ses attributions, sera légitime, importante, urgente et réelle, et lorsque l’atteinte au droit à la vie privée que pourra constituer la cueillette, la communication ou la conservation de chaque élément de renseignement sera proportionnelle à cette fin. Cette proportionnalité jouera en faveur de l’organisme lorsqu’il sera établi que l’utilisation est rationnellement liée à l’objectif, que l’atteinte est minimisée et que la divulgation du renseignement requis est nettement plus utile à l’organisme que préjudiciable à la personne. Autrement, le droit à la vie privée et à la confidentialité des renseignements personnels devra prévaloir.

[20] Ainsi, l’utilité d’une collecte de renseignements personnels n’est pas suffisante pour en démontrer la nécessité au sens de la Loi.

[22] Selon le test proposé par la Cour du Québec, la nécessité de la collecte de ces renseignements sera démontrée si elle vise la réalisation d’un objectif lié à l’objet du dossier qui est légitime, important, urgent et réel, et si l’atteinte au droit à la vie privée des individus concernés que constitue cette collecte est proportionnelle à cette fin (lien rationnel entre l’objectif poursuivi et la collecte des renseignements, atteinte au droit minimale et collecte nettement plus utile à l’organisme que préjudiciable à l’individu).

[24] L’entreprise précise que ces enregistrements permettent à un membre « d’une famille séparée » « lors de situations exceptionnelles » « de reculer en arrière pour visualiser une date précise sur un événement qui aurait pu s’être produit ». Il pourrait aussi être utile aux services d’urgence « si un incident survient ».

[25] Toutefois, l’entreprise n’a fourni aucune précision concernant ces situations exceptionnelles qu’elle veut documenter par le biais d’une image vidéo pour ensuite permettre à un parent ou aux services d’urgence de les visionner. La Commission ne peut donc conclure que ces finalités sont légitimes et sérieuses ni qu’elles sont urgentes et réelles.

[26] Quant à la sécurité des enfants, des employés et la protection des bienset des lieux, la Commission convient qu’il s’agit d’objectifs légitimes et importants pour une entreprise offrant des services de garde.

[29] Bien qu’informée expressément qu’il lui appartenait de démontrer la nécessité des renseignements personnels colligés par les caméras de surveillance et des éléments que la Commission prendrait en considération dans l’évaluation de la légalité de cette collecte, l’entreprise n’a offert aucune précision ni élément concret concernant cet élément ni au sujet de la proportionnalité de cette collecte de renseignements par rapport à ces finalités.

[33] Ce principe d’interprétation, voulant que la nécessité doit être évaluée relativement aux fins pour lesquelles un renseignement est requis, est conforme à la lettre et à l’esprit de la loi. Il ne s’agit pas de déterminer ce qu’est la nécessité en soi, mais plutôt de chercher, dans le contexte de la protection des renseignements personnels, et pour chaque situation, ce qui est nécessaire à l’accomplissement de chaque fin particulière pour laquelle un organisme public plaide la nécessité. […]

 

[31] Ainsi, la Commission conclut que le caractère « urgent » et « réel » des objectifs poursuivis n’est pas démontré, l’entreprise n’ayant fourni aucun élément probant ni précision au sujet de cette question.

[32] La Commission analysera tout de même la deuxième étape du test de nécessité de cette collecte, soit la proportionnalité.

[34] La Commission a conclu que cette collecte systématique constituait une atteinte au droit à la vie privée des enfants qui fréquentaient la garderie et, dans une moindre mesure, du personnel qui y travaillait.

[36] La Cour suprême, pour sa part, a reconnu que le droit à la vie privée n’est pas sujet à une limitation géographique comme la résidence d’une personne; il suit l’individu13. Bien que l’expectative de vie privée d’une personne sur les lieux de son travail ou dans des lieux publics soit généralement moindre, ce droit bénéficie tout de même d’une certaine protection14.

[37] Par ailleurs, le droit à l’image d’une personne est une composante du droit à la vie privée :

[…] le droit à l’image, qui a un aspect extrapatrimonial et un aspect patrimonial, est une composante du droit à la vie privée […] Dans la mesure où le droit […] consacré par l’art. 5 de la Charte québécoise cherche à protéger une sphère d’autonomie individuelle, ce droit doit inclure la faculté de contrôler l’usage qui est fait de son image puisque le droit à l’image prend appui sur l’idée d’autonomie individuelle, c’est-à- dire sur le contrôle qui revient à chacun sur son identité [...] 15.

[42] Selon la CDPDJ, l’installation de caméras de surveillance pourrait être justifiée, dans certaines situations, si elle est limitée dans le temps et qu’elle vise à remédier à une problématique spécifique.

[43] Elle aborde également le respect de la vie privée des employés de la garderie ainsi filmés. Rappelant que, selon la jurisprudence et la doctrine en droit du travail, l’expectative de vie privée d’un employé sur les lieux de son travail est plus restreinte, la CDPDJ conclut que la surveillance complète et constante des travailleurs, par des moyens électroniques, tel l’usage des caméras en circuits fermés, constituerait plutôt une « condition de travail déraisonnable » au sens de l’article 46 de la Charte québécoise et que cette pratique pourrait porter atteinte au droit à la dignité des travailleurs (article 4 de la Charte québécoise).

[45] Pour ce faire, tel qu’exposé précédemment, la Commission doit évaluer :si la collecte des renseignements personnels est rationnellement liée à l’objectif de sécurité; - si l’atteinte au droit à la vie privée des personnes concernées est minimisée; - si la collecte des renseignements personnels est nettement plus utile à l’entreprise que préjudiciable aux personnes concernées.

[46] Sur ce point, l’enquête et les observations soumises par la garderie ne permettent pas à la Commission de conclure que l’atteinte au droit à la vie privée des personnes concernées est proportionnelle à l’objectif d’assurer la sécurité.

[50] Mais surtout, compte tenu de l’objectif général visant la sécurité, la collecte systématique de renseignements personnels au moyen de l’enregistrement en continu des images captées par le système de caméras de surveillance actuel de l’entreprise ne constitue pas une mesure permettant de limiter l’atteinte aux droits à la vie privée des individus concernés. Les mesures généralement mises en place par les garderies, comme celles énumérées précédemment, visent cet objectif de sécurité des enfants, en minimisant l’atteinte à la vie privée des individus concernés.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[58] ORDONNE à l’entreprise de cesser de recueillir de façon systématique les images des enfants, des employés et de toute autre personne se trouvant sur les lieux de la garderie par le biais du système de vidéosurveillance qui y est installé;

[59] ORDONNE à l’entreprise de détruire tous les renseignements personnels recueillis au moyen du système de vidéosurveillance dans un délai de 30 jours de la réception de la présente décision;

[60] ORDONNE à l’entreprise d’informer la Direction de la Surveillance de la Commission des mesures prises afin de respecter la présente décision, dans un délai de 60 jours de la réception de la présente décision.


Dernière modification : le 14 décembre 2017 à 16 h 01 min.