Extraits pertinents : [1] Madame Bessette réclame à madame Lemieux la somme de 5 000,00 $ pour avoir utilisé, à des fins commerciales et sans son autorisation, des photographies protégées par la Loi sur les droits d’auteur[1]. [5] Enfin, se portant demanderesse reconventionnelle, madame Lemieux réclame à madame Bessette la somme de 7 000,00 $ pour violation de son droit à l’image suite à l’utilisation de certaines des photos en litige, sans son autorisation, ainsi que pour fausses représentations. LES FAITS [7] Sans reprendre l’ensemble des faits mis en preuve lors de l’audition, les plus pertinents retenus par le Tribunal sont les suivants. [8] Pendant plusieurs années, la demanderesse fut propriétaire de l’école de danse portant le nom de l’Académie de danse orientale-baladi de la Rive-Nord, et ce, jusqu’à la fin du mois de décembre 2013. [9] La défenderesse a agi de titre de professeur de danse pour cette entreprise de l’automne 2012 au mois de mai 2013. [10] Au cours du mois de mai 2012, madame Hains, photographe professionnelle, reçoit le mandat de la demanderesse de procéder à une séance de photographies, des danseuses et professeurs de son école,[2] pour des fins commerciales et promotionnelles. [11] Elles conviennent entre elles que madame Hains pourra les offrir en vente aux personnes ainsi photographiées, lesquelles sont avisées verbalement que dans un tel cas, elles ne pourront les utiliser qu’à des fins personnelles. [13] La défenderesse participe à cette séance photo, mais ne requiert pas, à ce moment, l’achat d’une ou de plusieurs des sept photographies sur lesquelles elle apparaît[3]. [14] Il en va de même à propos d’une autre prise par le conjoint de la demanderesse, monsieur Claude Gagnon, lors d’un événement ou d’un spectacle, montrant la défenderesse lors de l’exécution d’une danse[4]. [15] Contrairement aux autres personnes photographiées, la défenderesse ne signe aucun formulaire autorisant, de façon générale, l’école de danse de la demanderesse de pouvoir les utiliser à son profit. [16] Au cours des mois de mars et avril 2013, après avoir ouvert sa propre page personnelle sur le réseau social en ligne Facebook, la défenderesse obtient gratuitement de la demanderesse des photographies sur lesquelles elle apparaît seule, munie d’un grand voile, lors de l’exécution d’une danse[5]. [17] À cette occasion, elle informe la demanderesse que celles-ci sont requises uniquement à des fins personnelles. [19] Cependant, au début du mois de mai 2013, un conflit éclate entre les parties suite à la décision de la demanderesse de retirer la défenderesse d’une de ses troupes de danse et de lui réclamer le paiement de frais suite à des d’échanges de services conclus entre elles[6]. [20] C’est dans ces circonstances qu’au cours de la première semaine du mois de mai 2013, la défenderesse quitte définitivement l’école de danse de la demanderesse. [21] Le 14 mai suivant, suite à une entente intervenue entre les parties relativement aux frais réclamés par cette dernière, la défenderesse lui fait parvenir le courriel suivant : « Bonjour France, J’accepte ce règlement. Par contre, tu comprendras que, compte tenu que je ne fais plus partie de la troupe depuis le 7 mai 2013, je n’autoriserai aucune utilisation, diffusion, ni distribution de documents dans lesquels ma photo apparaît pour les fins commerciales de l’Académie de danse – Oriental Rive-Nord, que ce soit pour promouvoir la troupe Badira ou l’école de danse (brochures, affiches, banderoles…). Merci de faire le nécessaire.»[7] [22] Le 21 mai suivant, n’ayant reçu aucune réponse de la demanderesse et ayant constaté que des photos de son image sont toujours présentes sur le site internet et la page Facebook de l’école de danse de la demanderesse, la défenderesse lui réitère de nouveau sa demande par courriel. [25] Le jour même, elle fait parvenir une mise en demeure à la défenderesse lui enjoignant de retirer du site internet et de la page Facebook des Productions Nadine Lemieux ainsi que de sa page personnelle de ce réseau social, les sept photographies prises d’elle-même par madame Hains et appartenant à demanderesse[9]. [26] Dans les jours suivants, la demanderesse procède à leur retrait à l’exception d’une dernière, laquelle est demeurée présente sur le site internet de son école de danse jusqu’à l’été 2014, et ce, malgré le transfert de son entreprise à des tiers en décembre 2013. [27] Elle soutient que c’est par inadvertance que celle-ci n’a pas été retirée avant ce moment. [28] Quant à la défenderesse, la preuve révèle qu’après s’être conformée momentanément à la mise en demeure de la demanderesse, certaines photos sont réapparues sur le site internet et la page Facebook de son entreprise ainsi que sur sa page personnelle[10], lesquelles apparaissaient encore au moment de l’audition de la présente cause. [29] La défenderesse a de plus reconnu qu’une partie de sa page personnelle Facebook était utilisée à des fins commerciales, et ce, dans une proportion qui varie selon l’interprétation donnée par chacune des parties. La demande reconventionnelle de la défenderesse est-elle bien fondée? [68] Une réponse affirmative doit être donnée à cette question pour les raisons suivantes. [69] Dans leur texte intitulé «Le droit à l’image et à la vie privée à l’ère des nouvelles technologies»[24] les auteurs Me Geneviève Grenier et Me Nicholas Sapp, rappellent, comme suit, les principes fondamentaux en matière de droit à la vie privée et de droit à l’image se dégageant de la jurisprudence et de la doctrine : « Au Québec, le droit à la vie privée est protégé par le Code civil du Québec et la Charte québécoise des droits et libertés de la personne[25]. Les articles 3, 35 et 36 du Code civil du Québec stipulent que: 3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tel le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée. 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée. Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise. 36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants: 1o Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit; 2o Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée; 3o Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés; 4o Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit; 5o Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public; 6o Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels. (Nos italiques) La Charte québécoise des droits et libertés de la personne reconnaît également le droit à la vie privée à l’article 5 qui stipule: 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée. Cependant, l’article 9.1 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne stipule que les droits fondamentaux doivent s’exercer dans le respect des valeurs démocratiques. Le droit à la vie privée et à l’image n’est pas absolu. Le droit à l’image est donc pondéré par le droit à la liberté d’expression et le droit à l’information. Il faut également se rappeler que ces règles varient selon que les images ont été captées dans un lieu privé ou dans un lieu public. Dans un lieu privé, en règle générale, une image ne peut être captée sans le consentement de la personne visée. De plus, l’image captée dans un lieu privé ne pourra être diffusée sans le consentement implicite ou exprès du sujet photographié. Dans un lieu public, une image peut être captée sans le consentement de la personne visée. Toutefois, l’image ne pourra être diffusée sans le consentement implicite ou exprès de cette personne, sauf si l’intérêt du public à en être informé le justifie. Lorsqu’un consentement est donné pour l’utilisation d’une image à une fin particulière, cette image ne doit être utilisée que pour cette fin. Étant un droit de la personnalité, selon l’article 3 du Code civil du Québec, le droit à la vie privée est incessible. Ainsi, une personne qui détient un droit de publication sur une image ne peut céder ce droit à une autre personne et permettre la republication de cette image.»[26] [70] Bien qu’en acceptant de participer à la séance de photos tenue par madame Hains, la défenderesse ait pu donner son consentement, de manière tacite, à ce que son image apparaisse sur le site internet, la page Facebook ainsi que sur des affiches promotionnelles de l’école de danse de la demanderesse, cette autorisation a cessé définitivement d’exister à compter du 7 mai 2013, [71] À compter de cette date, la demanderesse se devait de retirer du site internet et de la page Facebook de son école de danse, toute photographie sur laquelle apparaissait la défenderesse, et ce, même si elle détenait un droit d’auteur sur celle-ci. [72] Or, la preuve a démontré que la demanderesse a tardé, pendant environ quatre mois, à retirer les principales photos en litige, et ce, malgré la réception de deux courriels et d’une mise en demeure de la part de la défenderesse. [74] La demanderesse a donc, dans ces circonstances, porté atteinte à la vie privée et au droit à l’image de la défenderesse. Dans l’affirmative, la défenderesse est-elle justifiée d’obtenir un dédommagement d’une valeur de 7 000,00 $? [75] Une réponse négative doit être donnée à cette question pour les raisons suivantes. [76] Il revenait à la défenderesse de démontrer, selon la balance des probabilités, les dommages qu’elle a subis suite à la violation, par la demanderesse, de ses droits à la vie privée et à son image. [77] Dans le cas de violation au droit à l’image, comme le rappelait le juge Baudouin de la Cour d’appel du Québec, dans l’arrêt Éditions Vice-Versa inc. c. Aubry[28], à propos du dommage pouvant résulter de la diffusion sans autorisation de l’image d’une personne : « Quant au dommage, je ne puis, de façon liminaire, souscrire à l'opinion d'une certaine partie de la jurisprudence française à l'effet que toute diffusion fautive de l'image fait naître automatiquement un dommage ou bien fait nécessairement présumer celui-ci [Voir: Cass. Civ. ll fév. 1970, D-71, 409]. Cette affirmation me paraît confondre deux éléments pourtant bien distincts de la responsabilité civile et, en outre, poser indirectement les fondements d'une responsabilité absolue dès la faute prouvée ou présumée. La publication ou la diffusion non consentie de l'image est certes une faute. Dans la présente instance, elle consiste pour le photographe en la captation non autorisée et en la diffusion de celle-ci à un tiers et, pour la Revue Vice-Versa, en sa publication sans le consentement préalable de l'intimée. Il ne s'ensuit pas, cependant, nécessairement un droit objectif à la compensation. Comme l'a d'ailleurs reconnu notre jurisprudence, le préjudice existe lorsque l'image est exploitée commercialement sans autorisation [Deschamps c. Renault Canada, (1978) 18 C. de D. 937 (C.S.)], ou à des fins autres que celles qui motivaient le consentement d'origine [Rebeiro c. Shawinigan Chemicals Co.,[1973] C.S. 389; Cohen c. Queenswear International Ltd., (1989) R.A.A. 570 (C.S.); P.T. c. B.R. et P. Inc., C.S.M. no 500-05-015382-912, du 3 mars 1993, commentaires A. POPOVICI, (1994) 28 R.J.T. 291 et s.].»[29] [78] Dans le présent cas, il a été démontré que certaines photos de la défenderesse ont été utilisées à des fins commerciales par la demanderesse, et ce, pendant plusieurs mois. [79] Cependant, la défenderesse n’a pas démontré avoir subi une perte de revenus ni avoir subi des dommages matériels suite à la faute commise par la demanderesse. [80] Par conséquent et suivant les allégués de sa demande reconventionnelle[30], sa réclamation de 7 000,00 $ ne peut être qu’à titre de dommages moraux ou non pécuniaires. [84] En tenant compte de l’ensemble de ces critères et bien qu’il soit difficile de pouvoir déterminer ce que représente une juste réparation, le Tribunal, usant de sa discrétion judicaire, fixe à 1 000,00 $ l’indemnité que la défenderesse est en droit de recevoir de la part de la demanderesse. POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : [87] ACCUEILLE la demande de la demanderesse, madame France Bessette, pour un montant de 5 000,00 $; [88] ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle de la défenderesse, madame Nadine Lemieux, pour un montant de 1 000,00 $; Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 17 h 45 min.