Extraits pertinents :

[2] Il allègue que, par leurs interventions vers ou le 2 février 2001, des policiers à l’emploi de la défenderesse ont violé son droit à la vie privée, ont porté atteinte à ses droits fondamentaux et ont utilisé de la violence pour l’obliger à les suivre au poste de police.

[3]  Le demandeur est un médecin généraliste.  Bien qu’il habitait au 1 000, boulevard Beaupré, à Beaupré, où il habite toujours, le demandeur avait aussi un appartement au 9079, boulevard du Jardin, à Charlesbourg, lorsque sont survenus les événements qui forment la base de son action.  Cet appartement était situé dans une conciergerie de huit étages.

[5] Quand le demandeur est arrivé à son appartement, s’y trouvait déjà une personne qu’il qualifie comme étant alors « sa compagne » ou « une amie de cœur », Nathalie Belley.  Bien qu’elle habitait au domicile de ses parents, celle‑ci possédait une clé de l’appartement.  Le 2 février 2001, elle était accompagnée d’une camarade, une dénommée Johanne, esthéticienne de profession mais alors sans emploi.

[7] Le témoignage de Denis Tendland révèle que, chauffeur de taxi, il conduisait assez régulièrement Nathalie Belley à un endroit ou l’autre.  Selon lui, elle exerçait le métier de prostituée et ce, depuis environ deux ans avant sa rencontre avec le demandeur, et elle avait continué à l’exercer.  Le demandeur, en contre‑preuve, a précisé qu’il connaissait un peu les antécédents de son amie de cœur mais que si elle a reçu des individus à l’appartement de Charlesbourg, c’est à son insu.

[8] Il appert donc que le chauffeur de taxi connaissait assez bien Nathalie Belley.  Elle lui avait même déjà raconté que, lorsque le demandeur mélangeait alcool et médicaments, elle avait subi des violences.  Lorsqu’il l’avait reconduite à l’appartement du demandeur, dans l’après‑midi du 2 février 2001, elle lui avait dit qu’elle le rappellerait lorsque ce serait le moment d’aller la chercher.  Or, lorsque le chauffeur était en train de manger, il a reçu un appel de Nathalie Belley qui lui a dit : « le docteur est violent, il est encore sur les pilules, viens me chercher, je me suis enfermée dans la salle de bains ».  Le chauffeur de taxi a immédiatement quitté le restaurant pour se rendre à l’appartement.  Cependant, il a reçu un autre appel téléphonique pressant de Nathalie Belley.

[9] Rendu à destination, le chauffeur de taxi a attendu sa cliente pendant cinq à six minutes.  Comme elle ne se montrait pas, il a décidé de communiquer à l’appartement par l’interphone.  Le demandeur lui a alors répondu qu’elle était dans l’ascenseur.  Ne voyant pas apparaître sa cliente, le chauffeur de taxi déclare qu’il a rappelé à l’appartement et que le demandeur lui a répondu qu’elle était bien partie.  Selon le témoin, il a alors dit au demandeur : « je vais appeler la police ».  Celui‑ci, après lui avoir parlé de Néfertiti, lui a dit d’appeler la police s’il le désirait et il a ajouté : « va te faire foutre ».  Cette référence à une ancienne reine d’Égypte et la réponse plus directe du demandeur n’étaient pas de nature à réconforter le chauffeur de taxi.

[10] Il a alors décidé de faire appel au 9-1-1.  Se rendant à l’immeuble, deux policiers dans une voiture ‑ patrouille, les agents Gagnon et Lebel, ont croisé l’automobile – taxi.  Le chauffeur leur a fait signe d’arrêter.  Il leur a relaté les deux appels téléphoniques que lui avait faits sa cliente, la déclaration qu’elle lui avait déjà faite à l’effet qu’elle avait subi des violences lorsque le docteur mélangeait alcool et médicaments.  Il leur a fait part de ses essais infructueux pour localiser sa cliente et obtenir des renseignements en communiquant à l’appartement par l’interphone.  Il leur a aussi révélé son inquiétude.

[11] Les policiers se sont présentés à la porte de l’appartement en compagnie du concierge de l’immeuble et du chauffeur de taxi.  Ils ont frappé à la porte à plusieurs reprises en s’identifiant.  N’obtenant pas de réponse, les policiers ont demandé au concierge d’ouvrir la porte.

[12] Le concierge a ouvert la porte.  Les policiers ont immédiatement remarqué qu’il y avait un pot de fleurs renversé par terre dans le vestibule à l’entrée de l’appartement.  Sur une patère, un manteau de femme était accroché.  Le chauffeur de taxi l’a identifié comme celui de sa cliente.  Il y avait des escarpins près de la patère.  Un miroir était cassé.  Du vestibule, ils ont vu un homme qui dormait sur le divan du salon adjacent, le visage tourné vers le dossier.  Il y avait à terre des bouteilles de bière et une bouteille de champagne vides.  Les policiers ont visité les pièces de l’appartement pour savoir s’il y avait quelqu’un d’autre que celui qui dormait sur le divan.  Ils ont constaté qu’il y avait un sac à main et deux paires de souliers de femme.  Puis, sans réveiller l’homme qui dormait, les policiers sont sortis.  Ils ont alors parcouru les huit étages de l’immeuble dans l’espoir que la femme soit dans le corridor de l’un ou l’autre des étages.  Sans succès.

[14] À l’enquêteur Dufour, la situation des lieux a semblé présenter des signes de lutte : le miroir cassé, le vase renversé, les bouteilles par terre, le manteau de femme sur la patère.  Ces signes, liés à la disparition de la femme qui avait fait des appels de détresse au chauffeur de taxi, lui semblaient des éléments qui nécessitaient enquête.  D’autant plus que l’enquêteur avait cru déceler des taches de sang sur le tapis, dans le salon, entre la table et la bibliothèque.  Les policiers ont alors fait une visite plus approfondie.  Dans la salle de bains, ils ont découvert un sac à main de femme dans lequel il y avait notamment des médicaments prescrits par le médecin qui occupait l’appartement.

[16] Dans l’ascenseur, l’agent Lebel a fait part de ses droits au demandeur et l’a informé qu’il était arrêté pour avoir exercé des voies de fait contre un agent dans l’exercice de ses fonctions.  Puis les agents ont amené le demandeur au poste de police.  Ils ont enlevé les menottes au demandeur à l’arrivée au poste.  Comme il n’y avait pas moyen de discuter avec le demandeur, qui s’emportait, les agents l’ont mis en cellule pendant environ 45 minutes.  Finalement, un lieutenant du nom de Gendreau a décidé de le libérer.

[17] Selon les agents de police, le demandeur a accepté de signer une formule d’autorisation de perquisition.  Cette autorisation est produite sous la cote P‑6.  Selon l’agent Lebel, il est allé chercher le formulaire dans la salle de garde, au poste de police, lorsque le lieutenant Gendreau lui a dit qu’il était nécessaire de faire signer une autorisation de perquisition.  Selon l’agent Lebel, il a tendu le formulaire au demandeur quand ils furent rendus à la porte de l’appartement de ce dernier.  Le formulaire était sur un bloc‑notes.  Le demandeur l’aurait signé en se tenant debout.  L’agent Lebel précise que l’agent Gagnon était alors à sa droite.  Ce dernier corrobore substantiellement le témoignage de son collègue sur ce point.  Une fois entrés, les agents ont emporté un manteau de femme, un sac à main, deux paires de souliers de femme.

ANALYSE

[21] Le demandeur allègue, à l’appui de sa réclamation en dommages‑intérêts, non seulement l’intrusion sans mandat, mais aussi le rejet des plaintes et l’arrestation, alléguant que celle‑ci fut pratiquée avec violence.  Les dommages invoqués sont d’ailleurs liés non seulement à la violation du droit à la vie privée mais comprennent également l’atteinte à l’intégrité, des dommages psychologiques, des frais de défense et une perte de salaire.

[35] Il convient de citer les articles 5 à 8 et 24.1 de la Charte des droits et libertés de la personne[4] :

« 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition  de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

7. La demeure est inviolable.

8. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite.

24.1. Nul ne peut faire l'objet de saisies, perquisitions ou fouilles abusives. »

[36] Les articles 35 et 36 du Code civil du Québec stipulent par ailleurs ce qui suit :

« 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:

1°         Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit; (…) »

[37] Toute personne a donc droit à sa vie privée et à son intimité.  De plus, aucune perquisition abusive ne peut être effectuée.  L’abus résulte, dans l’espèce, du défaut d’avoir respecté la procédure prescrite.

[38] L’article 5 de la Charte des droits et libertés comprend particulièrement une protection contre l’intrusion injustifiée dans la vie privée, entre autres contre la violation de domicile.  L’article 24.1 de la Charte des droits et libertés contient une protection contre les perquisitions non autorisées.  Par l’effet des articles 35 et 36 (1o) du Code civil du Québec, appliqués en regard de l’article 1457 C.c.Q., une intrusion illégale dans un domicile et une perquisition non autorisée ou sans mandat deviennent une faute civile en plus de constituer une infraction à la Charte des droits et libertés.

[40] Cependant, le demandeur réclame une somme de 15 000 $ pour « atteinte à l’intégrité et violation du droit à la vie privée ».  Or le préjudice moral directement lié à l’intrusion elle‑même est tout de même très relatif.  Quand le demandeur invoque préjudice moral, il le fait par rapport à l’ensemble de tous les faits et non seulement de cette intrusion sans mandat.  La saisie de quelques biens, comme un manteau de femme et des escarpins, ne peut non plus avoir causé un préjudice moral important.  Dans les circonstances, une somme de 5 000 $ constituerait compensation raisonnable du préjudice moral.  Enfin, il ne s’agit pas d’un cas où la preuve révèle une faute intentionnelle même au sens plus large de l’arrêt Hôpital St‑Ferdinand[5], de sorte qu’il n’y a pas lieu d’accorder des dommages punitifs ou exemplaires.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de 5 000 $ en capital avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue par l’article 1619 du Code civil du Québec, avec dépens.


Dernière modification : le 16 novembre 2017 à 11 h 32 min.