Extraits pertinents :

[1]  La demanderesse réclame 30 000$ au défendeur à titre de dommages matériels et moraux pour atteinte à sa réputation, son honneur, sa dignité et sa vie privée, 20 000$ à titre de dommages exemplaires pour atteinte illicite et intentionnelle à ses droits, outre 9 000$ en dommages-intérêts en regard des honoraires extrajudiciaires.

[5] La demanderesse et le défendeur ont fait vie commune de 2001 à 2005. Ils sont les parents d’un enfant en bas âge.

[8] En 2007, elle est en onde du lundi au vendredi et ses apparitions sont diffusées régionalement et au niveau de la province, dans certains cas. En bref, la demanderesse est très connue du public.

[9] Le 17 janvier 2007, elle reçoit un courriel anonyme et son auteur l’informe que sa photographie a été vue sur Réseau Contact. Il se dit surpris car ce n’est pas son genre, précise-t-il. La demanderesse n’y croit pas vraiment.

[10] Le lendemain, un collègue de travail l’informe de la présence d’une fiche la concernant sur Réseau Contact et la lui montre (P-1).

[11] La demanderesse est complètement paniquée et dépassée par les événements, car on la décrit en détails (âge, ville, taille, poids, apparence, couleur des yeux, des cheveux, son état civil, un enfant, religion, ethnie, occupation, activités, signe du zodiaque, ses intérêts) et des informations fausses et grivoises y apparaissent ainsi qu’une photographie.

[13] La demanderesse craint pour sa sécurité et celle de sa fille, d’autant plus que l’auteur peut répondre aux demandes de contact et donner ses coordonnées sans qu’elle puisse rien n’y faire.

[14] La demanderesse soupçonne que le défendeur soit responsable de cette publication car la photographie a été prise par lui durant la vie commune, dans leur appartement.

[16] La demanderesse, très craintive, ne veut pas quitter le travail. Elle appelle son conjoint pour l’informer de la situation et demande à sa mère d’aller chercher sa fille. Elle se fait raccompagner par un collègue à sa voiture, stationnée dans un garage souterrain. Pendant 3 semaines, elle garde un contact téléphonique avec son conjoint jusqu’à sa voiture.

[17] Sa fiche a paru 2½ jours sur Réseau Contact.

[19] Le [...] 2007, le téléphone sonne sans arrêt à son domicile tôt, le matin. C’est sa mère, en panique, qui lui apprend que son histoire est sur les ondes.

[20] La nouvelle est notamment reprise et commentée par les stations de radio de Québec, de Montréal.

[21] Le lendemain, le Journal de Québec et celui de Montréal (P-2 en liasse) relatent l’affaire : «[...]». Il en va de même dans d’autres médias dont Actualité et La Presse (P-8).

[22] La demanderesse est complètement bouleversée et en panique car du jour au lendemain, sa vie privée est étalée au grand jour, sans compter les allégations calomnieuses à son sujet notamment qu’elle serait bisexuelle et qu’elle recherche «le mâle parfait, direct et pas gêner de tenter de nouvelles choses… et discret».

[27] La demanderesse témoigne avoir vécu 2 mois intensifs d’angoisse qui s’est estompée tranquillement par la suite.

[28] En avril 2007, monsieur Robert Morais, sergent détective à la police, informe la demanderesse qu’il a obtenu l’adresse IP de l’ordinateur ayant servi à mettre la fiche (P-1) en ligne : c’est celle du défendeur (P-6).  Monsieur Morais précise que la création du profil a été initié sur l’ordinateur du défendeur.

[30] Elle a accepté la suggestion de monsieur Morais d’appeler le défendeur pour lui servir un avertissement suivant lequel il avait de la preuve pour l’accuser, que la demanderesse ne désirait pas le faire à ce moment-là mais que s’il y avait récidive, il déposerait des accusations.

[60] La preuve révèle de façon prépondérante que le défendeur a complété la fiche concernant la demanderesse et qu’il l’a publiée sur Réseau Contact afin de lui nuire.

[66] Le geste fautif commis par le défendeur dans l’intention de nuire à la deman-deresse, lui a causé des dommages à plusieurs égards et elle a rempli le fardeau de preuve qui lui incombait, conformément aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec.

[68] Les articles de la Charte applicables au présent litige sont les suivants :

«4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

49. Une atteinte illicite à un droit ou une liberté reconnu par la présente Charteconfère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires.»

[69]  Le Code civil reconnaît également l’importance de ces droits fondamentaux et les articles suivant trouvent application :

«3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.»

[71] L’évaluation de la compensation à accorder pour les dommages moraux subis, suite à une atteinte à la dignité, à l’honneur et au respect de la vie privée d’une personne, est laissée à la discrétion du Tribunal qui a entendu la preuve.

[74] La diffusion sur le site Réseau Contact (1303937 membres) ne fait pas de doute sur l’objectif poursuivi.

[76] Tous les renseignements publiés (dont certains grivois et faux) et la photographie de la demanderesse permettent de savoir qui elle est, où elle travaille et dans quel secteur de la ville elle vit et la rendent très vulnérables aux personnes mal intentionnées.

[77] La demanderesse a vu, du jour au lendemain, son intimité révélée sur le plus grand site de rencontres au Québec et en plus, la fiche la dépeint comme une bisexuelle à la recherche du mâle parfait et ouverte aux expériences nouvelles.

[86] Dans l’affaire Margareta Podolej précitée, le juge Wery accorde un dédommagement de 30 000$ à la requérante, vu l’atteinte à sa vie privée par le caractère intimé[7] et la durée de diffusion publique (environ 2 semaines).

[87] Dans la cause Raymond Lasalle inc. c. Équipements G. Gagnon inc.[8] dans laquelle les défendeurs ont expédié au franchiseur de la demanderesse, un courriel mensonger, le Tribunal a accordé 5 000$ à chaque demanderesse pour le stress et les inconvénients subis et 5 000$ à titre de dommages exemplaires.

[88] La cause de Madame Zainad Sourour c. Monsieur Roger Clavet et Bloc Québécois[9]concerne l’utilisation de la photographie de madame, non autorisée, sur un dépliant du député Clavet, tiré à 45,000 copies dont 43,000 distribuées par la poste. Bien que le Tribunal rejette dans ce cas, la réclamation en dommages exemplaires puisqu’il conclut que l’atteinte à la vie privée n’était pas intentionnelle, il accorde 7 000$ à titre de dommages moraux.

[89]  Dans L.M. c. S.T.[10], pour la diffusion de messages de nature privée, à 4 collègues, ayant causé une perte d’estime de soi, des troubles anxieux et détérioration de la condition médicale de la partie demanderesse, le Tribunal a accordé 5 000$ pour les dommages moraux et 2 000$ à titre de dommages punitifs, compte tenu des revenus modestes de la partie défenderesse.

[90] L’affaire J.L. c. S.B.[11] comporte quelques similitudes avec le présent dossier. La partie demanderesse invoque une atteinte illicite à sa réputation et à sa vie privée, suite à l’envoi à des tiers, de photos intimes, la représentant nue au cours d’ébats sexuels avec la partie défenderesse qui nie avoir envoyé ces photographies et plaide sa condition de petit salarié.

[92]  Considérant l’impact sur la partie demanderesse qui a dû s’absenter du travail et restreindre sa vie sociale en raison de la honte ressentie, le Tribunal lui a accordé 15 000$ pour compenser le préjudice moral, 5 000$ à titre de dommages punitifs, vu le faible salaire du défendeur (626$ brut par semaine et parce qu’il assume seul une adolescente) et 3 145,28$ à titre de dommages visant les honoraires extrajudiciaires.

[94] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal estime que l’atteinte à l’honneur, à la dignité et au respect de la vie privée de la demanderesse, commise par le défendeur lui a causé des dommages moraux de 10 000$.

[95] En ce qui concerne les dommages exemplaires, il est établi que l’article 49 de la Charte sanctionne toute violation illicite et intentionnelle d’un droit fondamental.

[102] En conséquence, compte tenu de son salaire, du montant de 10 000$ auquel il est condamné en dommages-intérêts compensatoires, le Tribunal le condamne à payer 7 500$ à la demanderesse à titre de dommages punitifs.

[107] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[108] ORDONNE la banalisation du nom des parties;

[109]  ACCUEILLE en partie la requête introductive d’instance;

[110] CONDAMNE le défendeur à payer à la demanderesse 10 000$, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue par la loi, à compter de l’assignation;

[111] CONDAMNE le défendeur à payer à la demanderesse 7 500$ à titre de dommages punitifs;

[112] LE TOUT, avec dépens.


Dernière modification : le 16 novembre 2017 à 11 h 06 min.