Extraits pertinents : [6] Le 27 mars 2012, le demandeur Daniel Tousignant acquiert un immeuble désigné comme étant le lot […] du cadastre du Québec, dont l’adresse civique est le […], à St-Jean-sur-Richelieu («l’Immeuble Tousignant»). M. Tousignant et sa conjointe, la demanderesse Danielle Guillette, résident au 293 et opèrent un salon de bronzage au 291. [7] La défenderesse, Lise Béchard, est propriétaire de l’immeuble voisin désigné comme étant le lot […] du cadastre du Québec, dont l’adresse civique est le [adresse 1], à St-Jean-sur-Richelieu («l’Immeuble Béchard»), où elle réside avec son conjoint, le défendeur Pierre Martin. [12] Les défendeurs nient les gestes reprochés. Suivant leur version des faits, ce sont les demandeurs qui leur causent des problèmes. Ils leurs reprochent plus particulièrement[2] : « [22] Dès leur arrivée, les demandeurs se sont mis à faire des rénovations majeures causant beaucoup de va-et-vient de camions et de vacarme et les contracteurs utilisaient le terrain des défendeurs pour stationner, (…) ; […] [25] Les demandeurs ont même installé des caméras-vidéo qui sont dirigées vers la résidence des défendeurs pour les intimider davantage. Les défendeurs leur ont demandé à plusieurs reprises de les enlever mais ils ont toujours refusé, (…) ; [26] Le comportement harcelant, intimidant et abusif des demandeurs cause un grave préjudice aux défendeurs, en ce qu’ils sont nerveux, anxieux, ils ne dorment presque plus, ils n’ont plus le goût de vivre et leur couple en a grandement souffert, (…) ; [27] En effet, les demandeurs se croyant tout permis ont créé de nombreux troubles et inconvénients aux défendeurs en ce que : a) Ils et leur clientèle obstruent le droit de passage; b) Ils placent leur neige sur le terrain des défendeurs, (…) ; c) Ils utilisent un vocabulaire et des gestes disgracieux à l’endroit des défendeurs. » Les caméras de surveillance [80] Les défendeurs témoignent que les demandeurs ont installé trois caméras sur leur résidence afin de les surveiller. Ils témoignent qu’ils se sentent épiés et que cela les prive de la pleine jouissance de leur propriété et brime leur vie privée. [81] M. Tousignant indique au Tribunal que deux des caméras ont été installées en août 2012 et la troisième en juillet 2013. Les trois caméras fonctionnent en continu, mais le système permet de programmer des alertes basées sur le mouvement. Une des caméras est dirigée vers la résidence des défendeurs et capte le droit de passage ainsi qu’une partie de l’arrière de la résidence et de la cour des défendeurs. La deuxième est dirigée vers l’arrière du droit de passage et capte le droit de passage, le stationnement du salon de bronzage et celui des défendeurs ainsi qu’une partie de leur cour arrière. La troisième est installée à mi-chemin entre les deux premières et est dirigée vers la rue. Elle capte les images dans le droit de passage. [82] M. Tousignant a installé les trois caméras, notamment, pour surveiller et documenter le comportement agressif des défendeurs envers lui et la clientèle du salon de bronzage, de même que leur obstruction du droit de passage. M. Tousignant a d’ailleurs déposé et commenté à l’audience plusieurs des photos et vidéos prises à l’aide de ces trois caméras. [83] Ne voulant pas être en reste, les défendeurs ont, à leur tour pris des photos des demandeurs. Les demandeurs ont témoigné d’un incident où alors qu’ils se reposaient un soir à l’arrière de leur résidence, ils sont soudainement éblouis par les flashs de la caméra des défendeurs qui les prennent en photo. D’ailleurs, les défendeurs ont également déposé plusieurs photos de la propriété des demandeurs et des demandeurs eux-mêmes, et ce, afin de documenter à leur tour les gestes reprochés aux demandeurs. [84] En l’espèce la preuve démontre que les trois caméras de surveillance installées par les demandeurs, de même que les photos prises par les défendeurs n’ont pas uniquement pour but de constituer une preuve devant un tribunal judiciaire. En effet, ces gestes constituent une intrusion dans la vie privée et le Tribunal traitera des dommages dans la section des dommages punitifs ci-dessous. [85] Quant au retrait des caméras de surveillance, le Tribunal est informé à l’audience qu’à la suite d’une décision rendue par la Commission de l’accès à l’information du Québec, le 24 novembre 2014, les demandeurs ont installé des œillères sur les caméras de manière à restreindre leur orientation et l’angle de balayage. Les demandeurs peuvent ainsi surveiller le stationnement utilisé par la clientèle du salon de bronzage de même que l’accès à ses locaux sans porter atteinte à la vie privée des défendeurs. En conséquence, le Tribunal n’ordonnera pas aux demandeurs de retirer les trois caméras de surveillance puisque l’objectif recherché par les défendeurs est atteint. [86] Quant aux photos prises par les défendeurs, le Tribunal recommande à ces derniers de cesser de prendre des photos des demandeurs ou de leur résidence. Aucune ordonnance ne sera émise à cet égard, d’une part, parce qu’aucune n’est demandée et, d’autre part, parce qu’il s’agit d’un geste isolé et qu’il n’existe pas de possibilité assez sérieuse de récidive de la part des défendeurs. Dommages punitifs [94] Quant au respect de la vie privée, les deux parties ont soutenu que le fait d’avoir été filmé ou photographié sur leur propriété constitue une atteinte à la vie privée. Elles ont raison. L’installation de trois caméras permanentes laissant croire aux défendeurs qu’ils sont filmés de manière continue constitue un geste inapproprié. Que les caméras ne soient pas dirigées vers l’intérieur de la résidence des défendeurs comme le soutient M. Tousignant, ne constitue pas une justification dans les circonstances. Les défendeurs se croyaient épiés et tout indique qu’ils l’étaient. [95] Il a été décidé dans Maheux c. Boutin[18] que la surveillance systématique d'un voisin par photographie ou vidéo constituait une atteinte à la vie privée : « La preuve révèle aussi que le dépôt de cette requête du demandeur reconventionnel et de sa conjointe contre le défendeur reconventionnel a aiguisé la méfiance de ce dernier et l'a amené à surveiller systématiquement les allées et venues de son voisin.Pareille surveillance et la prise de nombreuses photos ne peuvent en l'espèce se justifier par un simple réflexe de prudence visant à se ménager des moyens de preuve. Dans les circonstances, le Tribunal estime que s'adonner systématiquement à la surveillance d'un voisin en captant ses faits et gestes sur pellicule photographique constitue une atteinte à la vie privée lorsqu'aucun danger urgent n'existe et que l'évènement est répétitif. En multipliant la prise de photos le jour et la nuit, avec flash, le défendeur Maheux a franchi à son tour la limite de son droit de propriété et il a envahi l'intimité de ses voisins sans que l'obstruction intentionnelle de sa fenêtre ne le justifie. Plusieurs témoins entendus au soutien de la demande reconventionnelle font état de photos prises d'eux par le défendeur Maheux. Le témoignage rendu par la conjointe du demandeur reconventionnel convainc le Tribunal non seulement de l'existence répétée de ce fait mais de l'effet perturbateur qu'il produisait à chaque fois. » [98] Ainsi, le Tribunal entend octroyer aux parties des dommages punitifs pour atteinte à la vie privée et perte de jouissance de la propriété. Quant aux trois caméras de surveillance installées par les demandeurs, elles sont installées depuis plusieurs années et représente une intrusion constante, alors que la prise de photos au flash le soir n’est survenue qu’à une seule occasion. En ce qui concerne la perte de jouissance de la propriété, la multitude des gestes posés par les défendeurs amène le Tribunal à leur attribuer une plus grande part de responsabilité. [99] Le Tribunal veut éviter de cumuler indûment les dommages moraux et les dommages punitifs, car ces deux postes de réclamation procèdent des mêmes faits. Ainsi, considérant la gravité des fautes de l’une et de l’autre, la période au cours de laquelle elles ont été commises, la fonction préventive visée par le législateur, et le fait que les défendeurs ont été condamnés à verser aux demandeurs la somme de 5 000 $ à titre de dommages moraux, le Tribunal condamnera les demandeurs à verser aux défendeurs une somme de 3 500 $ à titre de dommages punitifs et condamnera les défendeurs à verser aux demandeurs, au même titre, une somme de 1 000 $. POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : QUANT À LA DEMANDE PRINCIPALE [104] ORDONNE aux défendeurs de verser aux demandeurs la somme de 5 000 $ à titre de dommages moraux, et ce, dans les trente jours de la date du présent jugement; [105] ORDONNE aux défendeurs de verser aux demandeurs la somme de 1 000 $ à titre de dommages punitifs, et ce, dans les trente jours de la date du présent jugement. [106] LE TOUT avec dépens. QUANT À LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE [111] ORDONNE aux demandeurs de verser aux défendeurs la somme de 3 500 $ à titre de dommages punitifs, et ce, dans les trente jours de la date du présent jugement; [112] LE TOUT avec dépens. Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 17 h 26 min.