Extraits pertinents :

[1] Le 14 décembre 2010, Monsieur C… R… (le demandeur) s’adresse à Loto-Québec (l’organisme) afin d’obtenir une copie des enregistrements de deux conversations téléphoniques qu’il a eues en décembre 2010 avec des membres du personnel de l’organisme; l’une avec un représentant d’Espacejeux et l’autre avec un employé du Service de sécurité.

[2]  Le 13 janvier suivant, la responsable de l’accès aux documents de l’organisme, Madame Lynne Roiter, invite le demandeur à venir faire l’écoute de ces enregistrements aux bureaux de l’organisme.

[3] Insatisfait de cette réponse, le demandeur s’adresse à la Commission d’accès à l’information (la Commission), le 26 janvier 2011, afin qu’elle révise cette décision de l’organisme.

ANALYSE

[106] L’organisme refuse de transmettre une copie des deux enregistrements en litige au motif que cela permettrait au demandeur d’obtenir un renseignement personnel confidentiel au sujet de ses deux employés, leur voix.

[107] L’avocat de l’organisme cite les articles 44 et 45 de la Loi cadre afin d’appuyer sa prétention voulant que la communication d’une copie des documents en litige permettrait au demandeur d’obtenir une donnée biométrique au sujet des employés de l’organisme, l’empreinte de leur voix.

[108]  Ces dispositions se lisent comme suit

44. Nul ne peut exiger, sans le consentement exprès de la personne, que la vérification ou la confirmation de son identité soit faite au moyen d'un procédé permettant de saisir des caractéristiques ou des mesures biométriques. L'identité de la personne ne peut alors être établie qu'en faisant appel au minimum de caractéristiques ou de mesures permettant de la relier à l'action qu'elle pose et que parmi celles qui ne peuvent être saisies sans qu'elle en ait connaissance.

Tout autre renseignement concernant cette personne et qui pourrait être découvert à partir des caractéristiques ou mesures saisies ne peut servir à fonder une décision à son égard ni être utilisé à quelque autre fin que ce soit. Un tel renseignement ne peut être communiqué qu'à la personne concernée et seulement à sa demande.

Ces caractéristiques ou mesures ainsi que toute note les concernant doivent être détruites lorsque l'objet qui fonde la vérification ou la confirmation d'identité est accompli ou lorsque le motif qui la justifie n'existe plus.

45. La création d'une banque de caractéristiques ou de mesures biométriques doit être préalablement divulguée à la Commission d'accès à l'information. De même, doit être divulguée l'existence d'une telle banque qu'elle soit ou ne soit pas en service.

La Commission peut rendre toute ordonnance concernant de telles banques afin d'en déterminer la confection, l'utilisation, la consultation, la communication et la conservation y compris l'archivage ou la destruction des mesures ou caractéristiques prises pour établir l'identité d'une personne.

La Commission peut aussi suspendre ou interdire la mise en service d'une telle banque ou en ordonner la destruction, si celle-ci ne respecte pas ses ordonnances ou si elle porte autrement atteinte au respect de la vie privée.

[110]  Ces dispositions visent donc un objectif précis, qui n’est pas lié à la détermination de l’accessibilité des documents en litige. Elles n’établissent pas le caractère personnel ou non, au sens de l’application de la Loi sur l’accès, de la voix d’une personne contenue dans un enregistrement audio d’une conversation téléphonique.

[112]  La seule question que doit déterminer la Commission est si la voix des employés qui se trouve sur l’enregistrement des deux conversations téléphoniques en litige constitue un renseignement personnel confidentiel au sujet de ces employés, au sens des articles 53 et 54 de la Loi sur l’accès.

[113]      L’affaire Segal[9] a précisé les trois critères permettant de déterminer si un renseignement est personnel :

-      Il doit s’agir d’un « renseignement » (doit faire connaître quelque chose);

-      Il doit « concerner » (avoir rapport à) une personne physique;

-   Il doit permettre de « l’identifier » (le reconnaître par rapport à quelqu’un d’autre, par rapport aux différentes classes ou catégories d’individus, de reconnaître sa nature).

[114] La voix d’une personne est un renseignement qui la concerne et permet de l’identifier, tel que l’a déjà décidé la Commission dans les décisions citées par le procureur de l’organisme. Toutefois, toutes ces décisions portent sur la voix de citoyens.

[115] Cette conclusion s’applique-t-elle à la voix d’un employé d’un organisme public?

[116] L’avocat de l’organisme soumet que les employés d’un organisme public ont aussi un droit au respect de leur vie privée et que ce ne sont pas tous les renseignements à leur sujet qui revêtent un caractère public.

[117] La Commission en convient. Toutefois, quelle expectative raisonnable de vie privée peut avoir un employé d’un Service à la clientèle d’un organisme public quant à sa voix lorsque la fonction qu’il exerce consiste à répondre aux questions des citoyens qui appellent et qu’en plus, les appels sont enregistrés?

[118] Comme l’a souligné Me Aylwin, la Loi sur l’accès comporte deux volets : l’accès aux documents, dans un objectif de transparence de l’Administration publique, et un volet relatif à la protection des renseignements personnels. Ce dernier vise à mettre en œuvre la dimension informationnelle du droit au respect de la vie privée consacré par la Charte des droits et libertés de la personne[10] dans le contexte des relations entre le citoyen et l’État. Il attire l’attention de la Commission sur le passage suivant :

[12] La Loi (sur l’accès) est une loi prépondérante à caractère quasi constitutionnel consacrant au citoyen, dans une société libre et démocratique, un droit à l’information des activités dans le champ de compétence de l’administration publique tout en le protégeant de l’envahissement de l’État dans sa vie privée :

9. Toute personne qui en fait la demande a droit d'accès aux documents d'un organisme public.

Ce droit ne s'étend pas aux notes personnelles inscrites sur un document, ni aux esquisses, ébauches, brouillons, notes préparatoires ou autres documents de même nature.

168. Les dispositions de la présente loi prévalent sur celles d'une loi générale ou spéciale postérieure qui leur seraient contraires, à moins que cette dernière loi n'énonce expressément s'appliquer malgré la présente loi.

[13] La Loi prend source dans la Charte et constitue en fait une loi d’application du droit à la vie privée (art. 5 de la Charte) et du droit à l’information (art. 44 de la Charte) :

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

44. Toute personne a droit à l'information, dans la mesure prévue par la loi.

[14] Ce droit d’accès aux documents détenus par un organisme public vise donc à assurer la transparence de l’exercice de toute fonction à caractère public, condition essentielle au maintien d’un lien de confiance, particulièrement quant à la gestion des fonds publics. Il permet au citoyen de jeter un regard critique et d’accroître son contrôle sur les organismes publics imputables de leur gestion, qu’il est appelé à financer en tant que contribuable[11]. (nos soulignements)

[119] L’interprétation de la notion de renseignement personnel doit tenir compte de cet objectif et du nécessaire équilibre entre les deux volets de la Loi sur l’accès[12].

[123] Revenant aux critères établis dans l’affaire Segal, lorsque la Commission évalue s’il s’agit d’un renseignement qui « concerne une personne physique », elle doit se demander si le renseignement concerne l’employé à titre personnel et individuel ou s’il le concerne en tant que représentant d’un organisme public.

[127] D’abord, les documents en litige contiennent les propos exprimés par des employés de l’organisme dans l’exercice de leurs fonctions. Ces propos ne contiennent aucun renseignement personnel au sujet de ces employés. Ils ne concernent pas l’individu mais sont exprimés au nom de l’organisme qu’il représente.

[128] La voix et les propos tenus par les employés dans l’exercice de leurs fonctions qui se trouvent sur ces enregistrements sont des éléments indissociables. Le contenu des documents ne devient pas à caractère personnel au sujet des employés du seul fait que leur voix s’y trouve.

[129] Le raisonnement qu’adopte l’organisme en l’espèce contrevient à l’objectif visé par l’article 58 de la Loi sur l’accès :

58. Le fait qu'une signature apparaisse au bas d'un document n'a pas pour effet de rendre personnels les renseignements qui y apparaissent.

[130] Cette disposition établit que le contenu d’un document sur support papier ne devient pas personnel à son signataire, du seul fait qu’il y appose une marque distinctive, sa signature[16].

[135] Par ailleurs, même si elle concluait que la voix d’un employé d’un organisme public qui communique avec un citoyen dans l’exercice de ses fonctions est un renseignement personnel, la Commission ne croit pas que la Loi sur l’accès accorde un caractère confidentiel à cette information.

[136] L’employé qui communique avec la clientèle dans le cadre de ses fonctions consent implicitement à ce que les clients aient accès à sa voix. Dans le cas d’employés dont les fonctions consistent précisément à communiquer par téléphone avec la clientèle, comme en l’espèce, ils ne peuvent raisonnablement s’attendre à ce que leur voix demeure confidentielle.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[144] REJETTE la demande de l’organisme d’être autorisé à ne pas tenir compte de la demande d’accès en vertu de l’article 137.1 al. 2 de la Loi sur l’accès;

[145]  REJETTE la requête de l’organisme formulée en vertu de l’article 137.2 de la Loi sur l’accès;

[146] ACCUEILLE la demande de révision du demandeur du 26 janvier 2011;

[147] ORDONNE à l’organisme de communiquer au demandeur, dans les trente jours de la réception de la présente décision, copie des enregistrements en litige, soit :

-         L’enregistrement d’une conversation téléphonique entre le demandeur et un employé du Service à la clientèle d’Espacejeux en date du 5 décembre 2010, d’une durée de 2 minutes 20 secondes;

-         L’enregistrement d’une conversation téléphonique entre le demandeur et M. Michel Duranceau, enquêteur à l’emploi de l’organisme, en date du 9 décembre 2010, d’une durée de 14 minutes 41 secondes;

[148] AUTORISE l’organisme à masquer ou omettre de l’enregistrement du 5 décembre 2010, le nom de l’employé qui s’identifie au tout début de la conversation.


Dernière modification : le 16 novembre 2017 à 20 h 12 min.