Extraits pertinents : 

[1] Les demandeurs réclament 20 000$ aux défendeurs en dommages compensatoires pour troubles de voisinage, 10 000$ à titre de dommages exemplaires et 960$ en remboursement des dépenses encourues pour le présent litige.

[4]  En 1991, les demandeurs achètent une maison sise au 50, rue McKee à Stoneham qu'ils rénovent et habitent à compter de 1992.

[5]  Les défendeurs habitent depuis près de trente ans, la maison voisine, située à environ 150 pieds de celle des demandeurs.

[8]  À l'été 1998, les demandeurs soumettent avoir des problèmes avec l'un des chats des défendeurs qui a tendance à faire ses besoins sous leur galerie, ce qui dégage des odeurs désagréables. Les demandeurs posent une clôture de treillis pour limiter l'accès du chat et pour aussi restreindre la visibilité des défendeurs sur leur terrain. D'autres voisins ont des chats mais ils n'iraient pas chez les demandeurs. À leur avis, c'est celui des défendeurs qui leur cause des désagréments.

[10] Le demandeur le chasse en lui faisant peur mais l'animal récidive. À une occasion, il lance son balai à feuilles en sa direction non pas pour l'atteindre prétend-il, mais pour lui faire peur et c'est à compter de ce moment que la situation dégénère avec le défendeur qui l'a vu faire. Il l'avise de ne pas toucher à son chat car à défaut de cesser il aura affaires à lui, selon la version du demandeur.

[11]  À partir de 1999, les demandeurs remarquent que le défendeur se promène souvent devant leur maison, mais sans plus.

[12]  À compter de mai 2000, il intensifie ses aller-retour dans la rue plusieurs fois par jour. Il ralentit sa marche et observe ce qui se passe chez eux, d'un regard envahissant et insistant soutiennent-ils.

[13] Les demandeurs prétendent qu'en juin 2000, le défendeur commence à les harceler dès qu'ils sortent de chez eux et à marmonner dans leur direction. Ça devient ensuite des injures que les deux défendeurs crient à tue-tête, du claquage de porte pour faire du bruit. Le défendeur épie également leurs départs et arrivées.

[15] Toujours en juin 2000, le défendeur prend son vélo, passe et repasse sans arrêt devant leur entrée et pour importuner davantage, active avec insistance et à répétition la sonnette de son vélo.

[16] Témoin de ce manège, la demanderesse voit que son conjoint commence à s'impatienter; elle sort et rejoint le défendeur à qui elle demande de s'arrêter pour lui parler. Elle lui demande pourquoi il agit de la sorte; il ne répond pas et continue à rouler. Elle répète sa question et le défendeur lui répond par des injures; il ne parle pas à des niaiseux et l'envoie se faire redresser les jambes.

[18] Il augmente d'un cran sa surveillance à l'égard de la demanderesse. Celle-ci qui travaille à compter de 15h00, quatre jours/semaine, prétend que le défendeur l'épie derrière les arbres; il est toujours là quand elle quitte la maison peu importe l'heure. Il l'observe avec un regard insistant soutient-elle. Elle devient stressée d'être ainsi surveillée.

[19] En novembre 2001, à une dizaine de reprises selon la demanderesse, le défendeur l'attend au coin de la rue, se place à côté de sa voiture afin de lui bloquer le champ de vision. Elle le craint de plus en plus. À une occasion, elle évite de justesse un accident en raison du manège du défendeur.

[22] Ils se procurent également une caméra vidéo que le demandeur installe à l'arrière de la voiture de la demanderesse pour filmer les gestes disgracieux que le défendeur posent à l'endroit de madame (R-3). L'achat de ces appareils leur occasionne des frais d'environ 800$.

[23] Les défendeurs fouilleraient dans leurs ordures des demandeurs pour mieux les insulter sur leurs habitudes de vie; ils savent ce qu'ils mangent et ajoutent à leur concert d'injures, les marques d'aliments qu'ils utilisent.

[24] Ces gestes répétés empêchent les demandeurs de jouir de leur propriété. Ils doivent aller ailleurs que dans leur rue pour prendre une marche. La demanderesse dit avoir peur.

[26] Le 6 novembre 2002, ils transmettent une mise en demeure aux défendeurs de leur verser 22 000$ dans les cinq jours. Monsieur Sylvain Hawey, enquêteur de la Sûreté du Québec, écoute et visionne les cassettes et se rend rencontrer les défendeurs le 14 novembre 2002. Il leur fait la mise en garde d'usage et leur offre de contacter leur avocat, ce qu'ils font, suite à quoi ils décident de ne pas faire de déclaration. Monsieur Hawey s'assoit pour discuter avec eux. Informés qu'ils ont été enregistrés et filmés par les demandeurs, les défendeurs réagissent mal à tel point que le policier croit à un certain moment devoir appeler une ambulance pour le défendeur. Monsieur Hawey rapporte que la défenderesse a dit au défendeur "Je te l'avais dit d'arrêter de faire ça". Le dossier est transmis à un procureur de la Couronne qui décide par la suite de ne pas porter de plainte au criminel.

Analyse

[45] Les articles 3, 35 et 36 (par. 3 et 4) du Code civil du Québec prévoient ce qui suit:

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité,  tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

Ces droits sont incessibles.

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que la loi l'autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:

(…)

3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;

4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

(…)

[46] Le droit de jouir de sa propriété et d'avoir une vie privée est assujetti notamment à deux tempéraments, prévus aux articles 7 et976 du Code civil du Québec, ainsi libellés:

7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d'une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l'encontre des exigences de la bonne foi.

8. Les voisins doivent accepter les inconvénients normaux du voisinage qui n'excèdent pas les limites de la tolérance qu'ils se doivent, suivant la nature ou la situation de leurs fonds, ou suivant les usages locaux.

[50]  Ces prémisses étant établis, revenons au litige qui nous est soumis. En ce qui concerne la demande principale, le Tribunal conclut que les demandeurs ont prouvé en partie que le défendeur surtout, et la défenderesse n'ont pas respecté leur vie privée ni leur droit de propriété à partir du printemps 2000. Les nombreuses promenades quotidiennes du défendeur seraient banales s'il ne regardait pas de façon persistante chez les demandeurs. La cassette vidéo (R-3) déposée en preuve, permet de constater à quel point cette insistance peut troubles la vie privée et la jouissance paisible des demandeurs. Le défendeur a pris sa retraite en 1998 et on peut comprendre qu'il a plus de temps pour se promener à pieds ou en vélo; cependant, cette liberté retrouvée doit s'exercer à l'aune du droit de ses voisins de jouir de leur intimité. Oui, il peut se promener comme bon lui semble dans la rue et aussi souvent qu'il le veut, mais il doit s'abstenir de regarder sans cesse chez les demandeurs.

[58] Les inconvénients subis par les demandeurs au cours des deux, trois dernières années méritent compensation mais certainement pas à la hauteur de leur réclamation. Les dommages subis sont difficilement quantifiables puisque reliés à une atteinte à la vie privée et à une privation de jouissance d'un droit de propriété. Le Tribunal fixe à 2 000$ les dommages auxquels ont droit les demandeurs. Le Tribunal condamne par ailleurs les défendeurs au paiement d'une somme de 1 000$ à titre de dommages punitifs, considérant la persistance des gestes des défendeurs et le degré de malice.

[65] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[66]  ACCUEILLE en partie la demande principale;

[67]  ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle;

[68] CONDAMNE  solidairement les demandeurs principaux et les demandeurs par reconvention à se payer mutuellement 2 000$ en dommages-intérêts pour abus du droit de propriété et non-respect de leur vie privée et opère compensation  judiciaire entre les deux condamnations;

[69] CONDAMNE les demandeurs à payer aux défendeurs 1 000$ à titre de dommages punitifs avec intérêts au taux légal plus l'indemnité additionnelle à compter du présent jugement;

[70]  CONDAMNE les défendeurs à payer aux demandeurs 1 000$ à titre de dommages punitifs avec intérêts au taux légal plus l'indemnité additionnelle à compter du présent jugement;

[71]  Chaque partie payant ses frais.


Dernière modification : le 29 novembre 2017 à 12 h 42 min.