Extraits pertinents : LES QUESTIONS [4] Les propos et les agissements du défendeur constituaient-ils une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ? [5] Dans l'affirmative, quelles indemnités sont dues à monsieur Litalien ? LES FAITS [8] Selon les concierges de l'immeuble et un locataire, durant les mois de mai à juillet 1994, monsieur Michaud a utilisé à de nombreuses occasions des expressions offensantes pour décrire vulgairement l'orientation sexuelle de monsieur Litalien. [10] Les nouveaux concierges ont reçu instructions de monsieur Michaud de ne pas effectuer de réparations au logement de monsieur Litalien puisqu'il désire le départ de ce locataire le plus tôt possible. [11] Lorsque monsieur Michaud parle de ce locataire, il n'utilise pas son nom de famille mais il le désigne par son orientation sexuelle. [12] Durant cette même période, le fils des concierges a été engagé par monsieur Michaud pour repeindre tous les balcons de l'immeuble sauf celui de monsieur Litalien qu'il ne désigne pas, encore une fois, par son nom mais bien plutôt par son orientation sexuelle. [13] De façons répétées, monsieur Michaud reproche à son concierge de porter trop d'attentions à ce locataire en particulier, qu'il désigne non par son nom mais par son orientation sexuelle. [14] Monsieur Litalien a témoigné que le comportement de monsieur Michaud l'avait blessé et profondément humilié. Il ne jouissait pas toujours paisiblement de son logement et a même souffert d'insomnies et d'anxiété : les propos et la conduite de monsieur Michaud l'enrageaient. [16] Il convient de reproduire ici les articles pertinents de la Charte : 4. Toute personne a drot à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation. 5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée. 10.1 Nul ne doit harceler une personne en raison de l'un des motifs visés dans l'article 10. 49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte. En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages exemplaires [25] Le Tribunal tient à rappeler que l'article 5 de la Charte consacre le droit au respect de la vie privée. Cette notion constitue une valeur essentielle à laquelle le législateur a accordé une protection particulière. Le droit à la vie privée réfère généralement à ce domaine de la vie personnelle qui bénéficie d'une confidentialité que nul ne peut violer. À cet égard, la protection que l'on accorde à la vie privée peut se définir comme "la barrière que ne franchissent pas certaines informations, séparant les intéressés des autres"6. [26] Tant l'État que les individus sont tenus de respecter ce principe fondamental. Dans l'affaire Toonen 7, le Comité des droits de l'homme a rappelé que le droit à la vie privée, qu'énonce l'article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, doit s'entendre de telle sorte que les activités consensuelles entre adultes, en privé, sont protégées par la notion de vie privée et de ce fait ne peuvent être criminalisées par l'État. Elles ne peuvent non plus constituer un motif de discrimination. [27] Les questions relatives à l'orientation sexuelle font partie intégrante de la vie privée des individus. Il appartient à chacun de déterminer quelles informations de sa vie privée demeureront confidentielles et quelles autres il divulguera. Ainsi, un individu pourra librement décider de révéler qu'il est homosexuel à un futur employeur ou à un futur locateur. Il est aussi libre de ne pas en faire état. Le respect de la vie privée, qu'énonce l'article 5 de la Charte, protège les individus contre toute ingérence dans l'exercice de ce droit. [28] En l'espèce, en utilisant des expressions vulgaires, dégradantes et offensantes pour décrire à ses concierges et à d'autres locataires l'orientation sexuelle du plaignant, le défendeur a contrevenu au droit au respect de la vie privée que lui garantissait la Charte. [29] C'est ainsi que le Tribunal conclut que le défendeur a porté atteinte au droit du plaignant d'être traité en toute égalité, sans distinction, ni exclusion fondée sur son orientation sexuelle alors qu'il était locataire d'un de ses appartements. Par ses propos, le défendeur a également contrevenu au droit au respect à la vie privée du plaignant. LES DOMMAGES [31] La fréquence des agissements et la répétition des propos blessants justifient amplement l'octroi de dommages moraux au montant de 2 000,00 $ puisque le plaignant n'a pas pu jouir en toute tranquillité de son logement, qu'il a ressenti beaucoup de tensions, qu'il a souffert d'anxiété et d'insomnies et qu'il a été injustement humilié. [35] Dans la détermination du montant des dommages exemplaires, le Tribunal doit tenir compte de la gravité de la faute, de la situation patrimoniale du défendeur ainsi que de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier. Prenant en considération ces éléments et particulièrement le fait que le défendeur ne semble pas réaliser que ses abus verbaux sont dégradants et offensants, le Tribunal estime que le montant réclamé de 1 000,00 $ à titre de dommages exemplaires n'est ni exagéré, ni déraisonnable. [36] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : CONDAMNE le défendeur à payer 3 000,00 $ à la demanderesse, à l'acquit du plaignant, avec intérêts depuis la signification de la demande introductive, avec intérêts suivant l'article 28 de la Loi sur le Ministère du revenu (L.R.Q., c. M-31) ;LE TOUT avec dépens. 6 E. SHILLS, "Privacy : Its Constitution and Vicissitudes", (1966) 31 Law and Contemporary Problems, 281, 282, cité dans Richard A, GOREHAM, "Le droit à la vie privée des personnes homosexuelles", (1984) 25 :4 Les Cahiers de Droit, 843, 846. 7 Toonen c. Australie, Comm. No. 488/1992, U.N. GAOR Hum. Rts Comm., 49th Sess., Supp. No. 40, vol. II at 226, U.N. Doc A/49/40 (1994). Dernière modification : le 29 novembre 2017 à 12 h 46 min.