Extraits pertinents : 

Banque Royale du Canada (« RBC ») est créancière d’un jugement contre Phat et Phuong Trang (les « débiteurs ») et elle sollicite la vente par shérif de leur propriété, à l’égard de laquelle le shérif exige un état de mainlevée d’hypothèque. Comme elle n’a pas été en mesure d’obtenir des débiteurs l’état de mainlevée en question, RBC a présenté une requête visant à obliger Banque de Nouvelle‑Écosse (« Banque Scotia »), la créancière hypothécaire des débiteurs, à produire l’état de mainlevée d’hypothèque. La requête de RBC a été rejetée et les juges majoritaires de la Cour d’appel ont maintenu la décision du juge des requêtes.

 Arrêt : Le pourvoi est accueilli. Il est ordonné à Banque Scotia de communiquer l’état de mainlevée d’hypothèque à RBC.

La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (« LPRPDE ») régit la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels par des organisations dans le cadre d’activités commerciales. De façon générale, la LPRPDE interdit aux organisations de communiquer des renseignements personnels sans la connaissance et le consentement de l’intéressé. Un certain nombre de situations, dans lesquelles la connaissance et le consentement ne sont pas requis pour qu’il y ait communication, font exception, notamment lorsque la communication est « exigée par [. . .] ordonnance d’un tribunal » (al. 7(3)c)).

Une cour peut rendre une ordonnance exigeant la communication si le débiteur ne répond pas à une demande qui lui est faite par écrit de signer un formulaire de consentement à la fourniture de l’état de mainlevée d’hypothèque au créancier, ou s’il ne se présente pas à un simple interrogatoire du débiteur judiciaire. Le créancier qui a déjà obtenu un jugement, produit un bref de saisie‑exécution et accompli l’une ou l’autre des démarches susmentionnées a établi l’existence de sa créance et donné l’avis requis. Une ordonnance de communication devrait être accordée au créancier d’un jugement qui a signifié la requête en communication au débiteur. Le créancier d’un jugement se trouvant dans une telle situation ne devrait pas avoir à entamer une procédure lourde et coûteuse pour réaliser sa créance.

En l’espèce, l’ordonnance sollicitée par RBC constitue une « ordonnance d’un tribunal » au sens de l’al. 7(3)c) de la LPRPDE, et il devrait être ordonné à Banque Scotia de communiquer l’état de mainlevée d’hypothèque à RBC. La LPRPDE ne limite pas le pouvoir de la cour de rendre des ordonnances. Les Règles de procédure civile de l’Ontario ou la compétence inhérente de la cour autorisaient le juge des requêtes à ordonner la communication. Le simple fait que le numéro de l’article pertinent des Règles n’ait pas été plaidé ne porte pas un coup fatal à la demande. Il serait indûment formaliste et préjudiciable à l’accès à la justice de conclure que RBC doit présenter une autre demande, cette fois en invoquant spécifiquement l’article des Règles, pour obtenir l’ordonnance demandée. Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une affaire dans laquelle il était approprié de rendre une ordonnance de communication.

Par ailleurs, l’art. 4.3.6 de l’ann. 1 de la LPRPDE reconnaît que, pour l’application de la loi, le consentement à la communication peut être implicite lorsque les renseignements sont « moins sensibles ». Pour évaluer le caractère sensible de renseignements financiers, il faut tenir compte des renseignements financiers connexes qui sont déjà du domaine public, de la raison pour laquelle les renseignements financiers sont rendus publics et de la nature de la relation entre le débiteur hypothécaire, le créancier hypothécaire et les tiers directement touchés. Les intérêts opérationnels légitimes des autres créanciers constituent un élément pertinent du contexte devant être pris en compte pour apprécier les attentes raisonnables du débiteur hypothécaire. L’identité de la partie qui sollicite la communication et les fins auxquelles elle le fait sont aussi d’autres aspects à prendre en compte. Un état de mainlevée d’hypothèque n’est pas simplement un élément de nature privée entre le créancier hypothécaire et le débiteur hypothécaire, mais plutôt un élément sur lequel reposent les droits appartenant à des tiers, que ceux‑ci sont donc en droit de connaître. Le solde actuel d’une hypothèque indique ce qu’il en est à un moment précis d’une hypothèque faisant déjà partie du domaine public. L’état de compte visant le débiteur hypothécaire et le créancier hypothécaire a une incidence non seulement à l’égard de ces derniers — il a aussi une incidence sur d’autres créanciers. Dans la présente affaire, l’information recherchée est moins sensible que d’autres informations financières. Un débiteur hypothécaire raisonnable saurait que les détails de son hypothèque sont enregistrés contre le titre dans les registres publics, et que le défaut de rembourser un prêt pourrait donner lieu à un jugement autorisant le shérif à saisir et à vendre la propriété hypothéquée. Un débiteur hypothécaire raisonnable saurait que, dans de telles circonstances, le créancier d’un jugement a le droit d’obtenir la communication de l’état de mainlevée de l’hypothèque dans le cadre d’un interrogatoire ou par suite de la présentation d’une requête. Une personne raisonnable qui emprunte de l’argent sait qu’en cas de défaut de paiement, son créancier sera en droit de recouvrer sa créance sur ses biens. Il s’ensuit qu’une personne raisonnable s’attend à ce qu’un créancier soit en mesure d’obtenir les renseignements nécessaires pour exercer son droit de procéder à la réalisation.

[1] La juge Côté — Le présent pourvoi porte sur l’interprétation de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5 (« LPRPDE »). Banque Royale du Canada (« RBC ») est créancière d’un jugement contre Phat Trang et Phuong Trang (les « Trang ») et elle sollicite la vente par shérif de leur propriété, à l’égard de laquelle le shérif exige un état de mainlevée d’hypothèque. Comme elle n’a pas été en mesure d’obtenir des Trang l’état de mainlevée en question, RBC a présenté une requête visant à obliger Banque de Nouvelle‑Écosse (« Banque Scotia »), la créancière hypothécaire des Trang, à produire l’état de mainlevée d’hypothèque. Les Trang et Banque Scotia ne participent pas au présent pourvoi, et les avocats du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (« Commissaire ») ont été nommés amicus curiae.

[2]  La LPRPDE régit la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels par des organisations dans le cadre d’activités commerciales (al. 4(1)a)). De façon générale, la LPRPDE interdit aux organisations de communiquer des « renseignements personnels » sans la connaissance et le consentement de l’intéressé (voir l’ann. 1, art. 4.3). Un certain nombre de situations, dans lesquelles la connaissance et le consentement ne sont pas requis pour qu’il y ait communication, font exception, notamment lorsque la communication est faite « en vue du recouvrement d’une créance que [l’organisation] a contre l’intéressé » (al. 7(3)b)), lorsqu’elle est « exigée par [. . .] ordonnance d’un tribunal » (al. 7(3)c)) ou lorsqu’elle est « exigée par la loi » (al. 7(3)i)). Il s’agit de déterminer si la LPRPDE interdit à Banque Scotia de communiquer l’état de mainlevée d’hypothèque à RBC sans le consentement des Trang.

[3]  Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner à Banque Scotia de communiquer l’état de mainlevée d’hypothèque à RBC. Je conclus, tout comme la juge en chef adjointe Hoy, que le pourvoi doit être accueilli pour deux raisons. Premièrement, la communication est requise pour respecter une ordonnance du tribunal. Deuxièmement, les Trang ont implicitement consenti à la communication dans les circonstances de l’espèce. Bien que la présence de ces deux motifs ne soit pas essentielle pour trancher le présent pourvoi, ils sont effectivement présents, et chacun suffirait à lui seul pour disposer du pourvoi.

I. Les faits 

[4]  En avril 2008, RBC a prêté environ 35 000 $ aux Trang. Ceux‑ci ont fait défaut de rembourser le prêt et le 17 décembre 2010, RBC a obtenu contre eux un jugement au montant de 26 122,76 $ avec intérêts et dépens.

[5] Les Trang sont propriétaires d’un immeuble à Toronto. Banque Scotia détient l’hypothèque de premier rang sur l’immeuble, laquelle garantissait initialement le remboursement d’une somme de 262 500 $. Afin d’exécuter le jugement rendu en sa faveur, RBC a produit un bref de saisie‑exécution auprès du shérif à Toronto, permettant à ce dernier de vendre l’immeuble des Trang conformément à la Loi sur l’exécution forcée, L.R.O. 1990, c. E.24, par. 9(1) :

9. (1) Le bref d’exécution forcée visant des biens‑fonds, remis au shérif aux fins d’exécution forcée, permet à celui‑ci de saisir et de vendre les biens‑fonds du débiteur saisi, y compris tout bien‑fonds dont une autre personne est saisie ou a la possession en qualité de fiduciaire pour le compte du débiteur saisi, ainsi que tout intérêt de ce dernier sur des biens‑fonds détenus en copropriété avec gain de survie.

[7] Dans le but d’obtenir l’état de mainlevée d’hypothèque, RBC a signifié aux Trang des avis d’interrogatoire préalable à la saisie‑exécution, prévus pour le 5 avril 2011. Les Trang ne se sont pas présentés aux interrogatoires. Le 15 novembre 2011, RBC a demandé l’état de mainlevée d’hypothèque à Banque Scotia. Cette dernière a refusé de le fournir au motif que la LPRPDE lui interdisait de le faire sans le consentement des Trang. RBC a par la suite obtenu une ordonnance pour la tenue, le 17 février 2012, d’un deuxième interrogatoire préalable à la saisie‑exécution et cette fois encore, les Trang ne se sont pas présentés. En mai 2012, RBC sollicitait une ordonnance afin d’obliger Banque Scotia à produire l’état de mainlevée d’hypothèque.

[8]  La question soulevée en appel ne se pose généralement que dans les cas où il n’y a pas défaut de paiement relativement à une hypothèque consentie antérieurement, mais qu’un créancier hypothécaire subséquent ou un créancier d’un jugement cherche à faire vendre l’immeuble hypothéqué. En effet, en cas d’un défaut de paiement relativement à l’hypothèque consentie antérieurement, le créancier hypothécaire qui la détient engagerait sa propre procédure d’exécution.

III. Questions en litige 

[18] Le pourvoi soulève la question de savoir si la LPRPDE interdit à un créancier hypothécaire, en l’occurrence Banque Scotia, de produire un état de mainlevée d’hypothèque au créancier d’un jugement, en l’occurrence RBC, sans le consentement explicite du débiteur hypothécaire. Plus précisément, les questions auxquelles il faut répondre sont les suivantes :

1. L’ordonnance sollicitée par RBC constitue‑t‑elle une « ordonnance d’un tribunal » au sens de l’al. 7(3)c) de la LPRPDE?

2. Les Trang ont‑ils implicitement consenti à la communication de l’état de mainlevée d’hypothèque?

V. Analyse 

A. Aperçu 

[22] Comme je l’ai déjà souligné, la LPRPDE est une loi fédérale qui établit des règles en matière de collecte, d’utilisation et de communication de renseignements personnels par des organisations dans le cadre d’activités commerciales (al. 4(1)a)). En bref, il s’agit d’une [traduction] « loi relative à la protection du consommateur dans le contexte de l’économie numérique » (W. Charnetski, P. Flaherty et J. Robinson, The Personal Information Protection and Electronic Documents Act : A Comprehensive Guide (2001), p. 2). L’objet de la partie 1 de la LPRPDE (« Protection des renseignements personnelsdans le secteur privé ») est énoncé comme suit à l’art. 3 :

 La présente partie a pour objet de fixer, dans une ère où la technologie facilite de plus en plus la circulation et l’échange de renseignements, des règles régissant la collecte, l’utilisation et la communication de renseignements personnels d’une manière qui tient compte du droit des individus à la vie privée à l’égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d’utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu’une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

[24] La LPRPDE n’interdit pas de façon absolue la communication sans la connaissance et le consentement de la personne concernée. Le paragraphe 7(3) de la LPRPDE prévoit une liste d’exceptions, décrivant des situations dans lesquelles il n’est pas nécessaire que la communication des renseignements personnels se fasse au su et avec le consentement de l’intéressé :

(3) Pour l’application de l’article 4.3 de l’annexe 1 et malgré la note afférente, l’organisation ne peut communiquer de renseignement personnel à l’insu de l’intéressé ou sans son consentement que dans les cas suivants :. . .

b) elle est faite en vue du recouvrement d’une créance que celle‑ci a contre l’intéressé;

c) elle est exigée par assignation, mandat ou ordonnance d’un tribunal, d’une personne ou d’un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ou exigée par des règles de procédure se rapportant à la production de documents;

...

i) elle est exigée par la loi.

[25]  La présence du par. 7(3) fait en sorte que la LPRPDE ne restreint pas le pouvoir des tribunaux de rendre des ordonnances ni n’interfère avec leurs règles de procédure en matière de production de documents. De plus, la LPRPDE ne fait pas obstacle à la communication faite en vue du recouvrement d’une somme que l’intéressé doit à l’organisation, ou à la communication exigée par la loi. Autrement dit, le par. 7(3) vise à faire en sorte que la LPRPDE n’ait pas d’incidence sur les communications légalement requises.

B. L’ordonnance sollicitée par RBC constitue‑t‑elle une « ordonnance d’un tribunal » au sens de l’al. 7(3)c)?

[26] Je conclus que l’ordonnance sollicitée par RBC constitue une « ordonnance d’un tribunal » au sens de l’al. 7(3)c), et je suis d’avis d’ordonner à Banque Scotia de communiquer l’état de mainlevée d’hypothèque à RBC. Comme le reconnaît l’al. 7(3)c), une ordonnance d’un tribunal exige la communication. Cela contraste, comme nous le verrons, avec le consentement implicite qui a seulement pour effet de permettre à un créancier hypothécaire de communiquer l’état de mainlevée d’hypothèque.

[28] Le juge des requêtes de même que les juges majoritaires de la Cour d’appel ont conclu que l’ordonnance demandée par RBC ne constituait pas une « ordonnance d’un tribunal » au sens de l’al. 7(3)c) au motif qu’il faudrait adopter un raisonnement circulaire pour conclure que Banque Scotia est tenue de communiquer un état de mainlevée d’hypothèque, parce que sa communication est exigée par une ordonnance qui n’a pas encore été rendue. Ce raisonnement découle du propos suivant du juge Blair dans l’arrêt Citi Cards :

[traduction] L’« ordonnance » à laquelle il faut se conformer et sur laquelle s’appuie Citi Cards est l’ordonnance sollicitée par la demande dont je suis saisi. Il faut adopter un raisonnement circulaire pour soutenir que les banques sont tenues de communiquer les états de mainlevée d’hypothèque parce que leur communication est exigée par une ordonnance qui n’a pas encore été rendue. Même une interprétation libérale de la loi ne peut mener à un résultat aussi accommodant. [par. 25]

[29]  Soit dit en tout respect, je rejette ce raisonnement. Je souscris au raisonnement que la juge Hoy expose aux par. 128-135 de ses motifs pour conclure que l’arrêt Citi Cards devrait être écarté, et j’estime que c’est ce qu’il convient de faire. Comme je l’ai déjà expliqué, la LPRPDE ne limite pas le pouvoir de la cour de rendre des ordonnances. Les Règles de procédure civile ou la compétence inhérente de la cour autorisaient le juge des requêtes à ordonner la communication. De plus, le juge des requêtes aurait ordonné la communication s’il avait estimé qu’il pouvait le faire, comme la juge Hoy l’a reconnu : [traduction] « . . . si le juge des requêtes avait jugé être en mesure d’ordonner la communication de l’état de mainlevée, il ressort clairement de ses motifs qu’il l’aurait fait. Il est clair également que cela aurait été approprié » (par. 112). Je suis d’accord. Une ordonnance aurait pu et aurait dû être rendue.

C.            Les Trang ont‑ils implicitement consenti à la communication de l’état de mainlevée d’hypothèque?

[34] L’article 4.3.6 de l’ann. 1 de la LPRPDE reconnaît que, pour l’application de la loi, le consentement peut être implicite lorsque les renseignements sont « moins sensibles » :

La façon dont une organisation obtient le consentement peut varier selon les circonstances et la nature des renseignements recueillis. En général, l’organisation devrait chercher à obtenir un consentement explicite si les renseignements sont susceptibles d’être considérés comme sensibles. Lorsque les renseignements sont moins sensibles, un consentement implicite serait normalement jugé suffisant. Le consentement peut également être donné par un représentant autorisé (détenteur d’une procuration, tuteur).

Selon moi, la juge Hoy a souligné (par. 117) à juste titre que, dans Citi Cards, la cour aurait dû prendre en compte l’art. 4.3.6. Si elle l’avait fait, à l’instar de la juge Hoy et comme je le fais en l’espèce, l’issue de l’arrêt Citi Cards aurait pu être différente.

[35] L’article 4.3.5 de l’ann. 1 de la LPRPDE prévoit que dans l’obtention du consentement, les attentes raisonnables des personnes sont pertinentes :

Dans l’obtention du consentement, les attentes raisonnables de la personne sont aussi pertinentes. Par exemple, une personne qui s’abonne à un périodique devrait raisonnablement s’attendre à ce que l’entreprise, en plus de se servir de son nom et de son adresse à des fins de postage et de facturation, communique avec elle pour lui demander si elle désire que son abonnement soit renouvelé. Dans ce cas, l’organisation peut présumer que la demande de la personne constitue un consentement à ces fins précises. D’un autre côté, il n’est pas raisonnable qu’une personne s’attende à ce que les renseignements personnels qu’elle fournit à un professionnel de la santé soient donnés sans son consentement à une entreprise qui vend des produits de soins de santé. Le consentement ne doit pas être obtenu par un subterfuge.

[36] En ce qui concerne la question du caractère sensible des renseignements, je conviens avec le Commissaire que les renseignements financiers sont généralement des renseignements extrêmement sensibles. Comme notre Cour l’a fait observer dans R. c. Cole2012 CSC 53 (CanLII)[2012] 3 R.C.S. 34, les renseignements d’ordre financier appartiennent à l’une des catégories de renseignements personnels se situant au cœur de « l’ensemble de renseignements biographiques » des particuliers (par. 47‑48). Toutefois, le degré selon lequel un renseignement d’ordre financier précis est sensible est fonction du contexte. Pour évaluer le caractère sensible de renseignements financiers — en l’espèce le solde actuel d’une hypothèque — il faut tenir compte des renseignements financiers connexes qui sont déjà du domaine public, de la raison pour laquelle les renseignements financiers sont rendus publics et de la nature de la relation entre le débiteur hypothécaire, le créancier hypothécaire et les tiers directement touchés. Comme le juge des requêtes et la juge Hoy l’ont fait remarquer, lorsque les hypothèques sont enregistrées électroniquement contre le titre de propriété, le montant du principal de l’hypothèque, le taux d’intérêt, les périodes de paiement et la date d’échéance sont rendues publiques sous le régime de la Loi portant réforme de l’enregistrement immobilier, L.R.O. 1990, c. L.4, par. 3(1)R.R.O. 1990, Règl. 688, par. 2(2); et Règl. de l’Ont. 19/99, art. 6.

[37]  Le législateur a décidé de rendre ces renseignements accessibles au public, notamment pour permettre aux créanciers possédant un intérêt, actuel ou futur, sur le bien‑fonds de prendre des décisions éclairées. Comme le Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario l’a fait observer dans Toronto (City) (Re)2000 CanLII 21004 (ON IPC)2000 CanLII 21004 :

[traduction] Le régime d’enregistrement foncier exige que tous les renseignements pertinents fassent partie des registres publics, et l’atteinte à la vie privée qui en découle, le cas échéant, est justifiable et défendable. Le principe de la transparence fait partie intégrante de l’administration publique du système et il a été incorporé dans le cadre juridique qui régit la publicité foncière en Ontario. Autrement dit, en mettant en place le régime d’enregistrement foncier de l’Ontario, le législateur a jaugé l’équilibre qu’il convient d’établir entre le droit au respect de la vie privée et l’importance de la transparence, et il a déterminé que, dans l’intérêt public, la transparence l’emporte sur la vie privée.

Le raisonnement qui justifie la nécessité de rendre publics les renseignements personnels figurant dans les documents enregistrés s’inscrit dans le contexte d’une transaction immobilière individuelle. L’intérêt public est pris en compte en veillant à ce que les parties à la transaction en cause aient tous les renseignements pertinents concernant le bien. [p. 23]

[38] Le fait de rendre publics les renseignements concernant l’hypothèque sert ce que le chancelier Boyd a décrit — quoique dans le contexte des hypothèques mobilières — comme étant le but de l’enregistrement : [traduction] « Le but est de permettre à ceux qui sont sur le point de devenir créanciers d’autres personnes par le versement de sommes d’argent ou de valeurs, de se renseigner, pour leur propre gouverne, au moyen de recherches au bureau d’enregistrement . . . » (Barker c. Leeson (1882), 1 O.R. 114, p. 117, cité avec approbation dans Grand Trunk Pacific Railway Co. c. Dearborn(1919), 1919 CanLII 47 (SCC)58 R.C.S. 315, p. 318).

[41] Enfin, sur ce point, je suis d’accord avec RBC pour dire que l’état de compte visant le débiteur hypothécaire et le créancier hypothécaire a une incidence non seulement à l’égard de ces derniers — il a aussi une incidence sur d’autres créanciers.

[42] Dans le cas qui nous occupe, je conclus que l’information recherchée est moins sensible que d’autres informations financières.

[44] Selon moi, lorsqu’on détermine les attentes raisonnables d’une personne, l’entièreté du contexte est importante. Cette affirmation trouve appui dans l’examen du contexte par le Commissariat à la protection de la vie privée dans diverses décisions : Rapport de conclusions en vertu de la LPRPDEn2014‑013 (en ligne); Résumé de conclusions d'enquête en vertu de la LPRPDE no 2009‑003 (en ligne); Résumé de conclusions d'enquête en vertu de la LPRPDE no 2005‑311 (en ligne). D’ailleurs, en faisant abstraction du contexte, on accorderait trop d’importance aux intérêts privés par rapport aux préoccupations opérationnelles légitimes que la LPRPDE était également censée prendre en compte, l’objet général de cette loi étant de [traduction] « se soucier tant des préoccupations sur le plan de la protection de la vie privée que des préoccupations opérationnelles légitimes » : L. M. Austin, « Reviewing PIPEDA : Control, Privacy and the Limits of Fair Information Practices » (2006), 44 Rev. can. dr. comm. 21, p. 38.

[45] Comme le juge des requêtes l’a fait observer dans sa décision sur la première requête, et comme je l’ai déjà souligné, un état de mainlevée d’hypothèque [traduction] « n’est pas simplement un élément de nature privée entre le créancier hypothécaire et le débiteur hypothécaire, mais plutôt un élément sur lequel reposent les droits appartenant à des tiers, que ceux‑ci sont donc en droit de connaître » (2012 ONSC 3272 (CanLII), par. 29). En somme, les intérêts opérationnels légitimes des autres créanciers constituent un élément pertinent du contexte devant être pris en compte pour apprécier les attentes raisonnables du débiteur hypothécaire.

[47]  Les Trang ont consenti une hypothèque à Banque Scotia et ils ont une dette envers RBC. Un débiteur hypothécaire raisonnable se trouvant dans leur situation saurait que les détails de son hypothèque sont enregistrés contre le titre dans les registres publics, et que le défaut de rembourser le prêt consenti par RBC pourrait donner lieu à un jugement autorisant le shérif à saisir et à vendre la propriété hypothéquée. Selon moi, un débiteur hypothécaire raisonnable saurait que le solde du prêt hypothécaire impayé serait ultimement communiqué au shérif une fois le bref de saisie‑exécution présenté. Un débiteur hypothécaire raisonnable saurait aussi que, dans de telles circonstances, la propriété serait vendue pour acquitter la créance de RBC, sous réserve de satisfaire les droits de la créancière hypothécaire, Banque Scotia. En outre, un débiteur hypothécaire raisonnable saurait que, dans de telles circonstances, le créancier d’un jugement a le droit d’obtenir la communication de l’état de mainlevée de l’hypothèque dans le cadre d’un interrogatoire ou par suite de la présentation d’une requête.

[49] Dans la présente affaire, une personne raisonnable jugerait approprié qu’un créancier hypothécaire fournisse un état de mainlevée d’hypothèque au créancier d’un jugement qui a obtenu de la cour et déposé auprès du shérif un bref de saisie‑exécution à l’égard du bien hypothéqué. Le créancier d’un jugement qui a complété ces étapes a démontré son intention d’exercer un droit établi conféré par la loi, qui est tributaire de la communication de l’état de mainlevée d’hypothèque. En l’espèce, RBC a aussi demandé l’état de mainlevée d’hypothèque dans le cadre du processus d’interrogatoire, mais cette démarche supplémentaire n’est pas nécessaire. L’obtention d’un bref de saisie‑exécution suivie de sa production auprès du shérif donne effet au consentement à la communication donné par les Trang au moment où ils ont consenti une hypothèque à Banque Scotia. Selon moi, le consentement visant à aider le shérif à donner suite à un bref de saisie‑exécution a été donné implicitement au moment où l’hypothèque a été consentie. En clair, cela ne signifie pas qu’une banque peut communiquer un état de mainlevée d’hypothèque à toute personne qui en fait la demande. Par exemple, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une banque ne communique pas ce renseignement à une personne n’ayant aucun intérêt légal dans le bien.

[50] En conclusion, j’estime que les Trang ont consenti à la communication. La LPRPDE n’empêche donc pas Banque Scotia de communiquer l’état de mainlevée d’hypothèque à RBC.

[51] Étant donné que les deux motifs exposés ci‑dessus suffisent pour trancher le présent pourvoi, je ne me prononce pas sur la question de savoir si la communication est faite « en vue du recouvrement d’une créance », que vise l’exception prévue à l’al. 7(3)b), ou s’il s’agit d’une communication « exigée par la loi », que vise l’exception prévue à l’al. 7(3)i).

VI.        Conclusion

[52] Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner à Banque Scotia de communiquer l’état de mainlevée d’hypothèque à RBC.


Dernière modification : le 7 janvier 2018 à 15 h 03 min.