Extraits pertinents : Le Syndicat a déposé un grief pour contester le volet sur les tests obligatoires aléatoires de dépistage d’alcool d’une politique sur la consommation d’alcool et de drogues que l’employeur, Irving, avait mise en œuvre unilatéralement à son usine de papier. Suivant cette politique, au cours d’une année, 10 % des employés qui occupent un poste à risque allaient être choisis au hasard pour subir l’épreuve de l’éthylomètre sans préavis. Un résultat positif allait emporter des sanctions disciplinaires graves, dont potentiellement le congédiement. Le conseil d’arbitrage a accueilli le grief. Après avoir mis en balance l’intérêt de l’employeur à mener des tests aléatoires de dépistage d’alcool comme mesure de sécurité en milieu de travail, d’une part, et l’atteinte à l’intérêt des employés à l’égard de leur vie privée, d’autre part, une majorité du conseil a conclu que la politique de tests aléatoires n’était pas justifiée vu l’absence d’éléments de preuve révélant l’existence d’un problème de consommation d’alcool en milieu de travail. À l’issue du contrôle judiciaire, la sentence arbitrale a été annulée après avoir été jugée déraisonnable. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a rejeté l’appel. Arrêt (la juge en chef McLachlin et les juges Rothstein et Moldaver sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli. Les juges LeBel, Fish, Abella, Cromwell, Karakatsanis et Wagner : La question juridique au cœur du présent litige est celle de l’interprétation de la clause de la convention collective prévoyant les droits de la direction. L’étendue du pouvoir de la direction d’imposer unilatéralement des règles au titre de la convention collective veut que la règle ou la politique imposée unilatéralement par l’employeur, à laquelle le syndicat n’a pas donné son aval par la suite, soit conforme à la convention collective et raisonnable. Les arbitres ont rejeté massivement l’imposition unilatérale d’une politique de tests obligatoires aléatoires s’appliquant aux employés d’un lieu de travail dangereux, estimant qu’il s’agissait d’une atteinte injustifiée à la dignité et à la vie privée des employés, sauf s’il existe des indices d’un risque accru pour la sécurité, comme un problème généralisé d’alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail. La dangerosité d’un lieu de travail est manifestement pertinente. Cet élément ne met toutefois pas fin à l’analyse; il enclenche plutôt la démarche axée sur la proportionnalité. Les tribunaux n’ont jamais jugé qu’elle justifie automatiquement l’imposition unilatérale d’un régime illimité de tests aléatoires susceptibles d’emporter des sanctions disciplinaires. En l’espèce, le conseil d’arbitrage est arrivé à la conclusion que les avantages attendus sur le plan de la sécurité pour l’employeur se situaient dans la fourchette entre incertains et minimes, tandis que l’atteinte à la vie privée des employés était grave. Selon le conseil d’arbitrage, huit incidents liés à la consommation d’alcool et survenus à l’usine Irving sur une période de 15 ans ne révélaient pas le degré jugé suffisant de problème de consommation d’alcool en milieu de travail. Par conséquent, l’employeur n’avait pas démontré, comme il le devait, l’existence de préoccupations en ce qui a trait à la sécurité qui justifierait l’application universelle de tests aléatoires. Par conséquent, l’employeur a outrepassé les droits de la direction que lui confère la convention collective. La norme de contrôle de la décision d’un arbitre en droit du travail est celle de la décision raisonnable. Il faut considérer la sentence arbitrale comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur. En l’espèce, compte tenu des conclusions de faits et de la jurisprudence pertinente, la décision du conseil arbitrale était raisonnable. Décision [1] La juge Abella — La vie privée et la sécurité sont des intérêts liés au milieu de travail à la fois très importants et très délicats. Ils entrent aussi parfois en conflit, tout particulièrement lorsque le lieu de travail est dangereux. [2] Dans un milieu de travail syndiqué, ces questions sont habituellement traitées dans le cadre de la négociation collective. Toutefois, si un employeur choisit de mettre en place des mesures de sécurité sans les négocier au préalable et si ces mesures emportent des sanctions disciplinaires pour les employés, il doit s’assurer qu’elles relèvent de la clause de la convention collective portant sur les droits de la direction. [4] Il existe une importante jurisprudence arbitrale quant à l’exercice unilatéral des droits de la direction dans le contexte de la sécurité et il en a résulté une démarche axée sur la proportionnalité commandant une « mise en balance des intérêts » soigneusement pondérée. Suivant cette démarche, et compte tenu du principe propre à la négociation collective selon lequel l’employé n’est passible d’une sanction disciplinaire que pour un motif raisonnable, l’employeur ne peut imposer une règle emportant des sanctions disciplinaires que si la nécessité d’adopter une telle règle l’emporte sur l’incidence négative de cette dernière sur les droits à la vie privée des employés. La dangerosité d’un lieu de travail est manifestement pertinente. Cet élément ne met toutefois pas fin à l’analyse; il enclenche plutôt la démarche axée sur la proportionnalité. [6] Toutefois, les arbitres ont rejeté massivement l’imposition unilatérale d’une politique de tests obligatoires, aléatoires et sans préavis s’appliquant à tous les employés d’un lieu de travail dangereux, estimant qu’il s’agissait d’une atteinte injustifiée à la dignité et à la vie privée des employés, sauf si cette politique repose sur un motif raisonnable, comme un problème généralisé d’alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail. Cette jurisprudence arbitrale ne lie certes pas la Cour. Elle constitue néanmoins une référence utile pour évaluer la décision du conseil d’arbitrage en l’espèce. Contexte [9] Irving exploite une usine de papier kraft à Saint John, au Nouveau-Brunswick. De 1991 à 2006, l’entreprise n’avait pas de politique officielle traitant de la consommation d’alcool et de drogue à l’usine. En 2006, elle a adopté unilatéralement, sans négocier avec le syndicat, la [traduction] « Politique sur la consommation d’alcool et d’autres drogues » en vertu de la clause de la convention collective portant sur les droits de la direction. Suivant cette politique, les employés qui occupaient un poste à risque, selon Irving, étaient tenus de subir un test de dépistage d’alcool ou de drogues. [10] Un des volets de la politique prévoyait l’application universelle de tests aléatoires de dépistage d’alcool. Ainsi, au cours d’une année, 10 % de tous les employés qui occupaient un poste à risque allaient être choisis au hasard pour subir l’épreuve de l’éthylomètre sans préavis. Un résultat positif — c’est-à-dire une alcoolémie supérieure à 0,04 % — emporterait des sanctions disciplinaires graves, dont potentiellement le congédiement. Le refus de se soumettre au test justifierait le congédiement immédiat. [13] Il n’est pas contesté que M. Day occupe un poste à risque, ni que le lieu de travail est dangereux. Cela étant dit, au cours de la période de 15 ans s’étendant d’avril 1991 à janvier 2006, seuls huit incidents découlant de la consommation d’alcool ou d’employés aux facultés affaiblies en milieu de travail ont été consignés. De plus, il n’y a eu aucun accident — réel ou évité de justesse — ni blessure causés par la consommation d’alcool. En décembre 2008, soit l’époque où s’est tenue l’audience d’arbitrage, la politique était en vigueur depuis 22 mois, et aucun employé n’avait obtenu de résultat positif, ni par suite d’un test aléatoire, ni par suite d’un test réalisé pour un motif raisonnable. [14] L’absence de quelque élément de preuve que ce soit révélant un risque réel lié à la consommation d’alcool a mené les arbitres majoritaires à conclure qu’il n’était guère avantageux pour l’employeur de maintenir sa politique de tests de dépistage aléatoires. Après avoir mis en balance l’intérêt de ce dernier à mener de tels tests comme mesure de sécurité en milieu de travail et l’atteinte à l’intérêt des employés à l’égard de leur vie privée, le conseil d’arbitrage a accueilli le grief et conclu que le volet relatif aux tests aléatoires n’était pas justifié : [traduction] La question concerne maintenant la proportionnalité. Ce qu’il faut évaluer, ce sont les avantages que procure à l’employeur l’application de la politique de tests aléatoires de dépistage d’alcool par rapport à l’atteinte au droit à la vie privée de l’employé visé. Pour que la politique se justifie, il faut que ces éléments soient proportionnés. C’est là où, pour le régime adopté par l’employeur, le bât blesse. En un mot, au vu de la preuve qui m’a été présentée, je ne peux conclure que l’existence dans ce lieu de travail d’un degré significatif d’augmentation du risque pour la sécurité attribuable à la consommation d’alcool par les employés a été démontrée. Compte tenu du faible pourcentage d’employés testés, j’estime que l’application de la politique permettra probablement rarement, voire jamais, de signaler un employé dont l’alcoolémie serait supérieure au seuil de 0,04 % prévu dans la politique. Par conséquent, j’estime que la politique relative aux tests aléatoires de dépistage d’alcool présente peu d’avantage concret pour l’employeur, voire aucun. Dans l’autre plateau de la balance se trouve le droit de l’employé au respect de la vie privée, que je dois également soupeser. Le droit à la vie privée et le droit à la sécurité de sa personne, qui y est connexe, constituent des attributs importants et prisés de la citoyenneté canadienne. Les réactions que provoque l’atteinte à ces droits ont tendance à être immédiates, viscérales, instinctives et uniformément négatives. Si le test est aléatoire — c’est-à-dire qu’il ne résulte pas d’un motif précis — comme en l’espèce, le critère, déjà exigeant, est alors davantage resserré. Le fardeau de justification qui incombe à l’employeur s’en trouve considérablement accru. L’atteinte à la vie privée que cause la politique de tests aléatoires de dépistage d’alcool n’est pas bénigne. Il s’agit d’un empiétement considérable. Plus précisément, elle implique une atteinte à l’intégrité physique et la production de substances corporelles. Elle implique la contrainte ainsi que la restriction de mouvements. Sous peine de sanction grave, l’employé est tenu de se rendre sans délai au poste muni de l’éthylomètre et doit coopérer en fournissant un échantillon d’haleine. Comme dans le cas de M. Day, la procédure peut causer un certain embarras public. Si on considère l’ensemble des résultats, le régime emporte une perte de liberté et d’autonomie personnelle, des éléments qui se situent au cœur du droit à la vie privée. Au vu de la preuve, les avantages susceptibles de découler, pour l’employeur, de la règle imposant des tests aléatoires de dépistage d’alcool se situent dans la fourchette entre incertains et minimes, au mieux. L’empiétement sur la vie privée de l’employé est considérable et disproportionné par rapport à l’avantage — véritable ou vraisemblable — qu’il procurera à l’employeur selon la preuve. L’employeur n’a pas réussi à faire pencher la balance en sa faveur et, de ce fait, à justifier une telle règle comme s’il s’agissait d’une réponse proportionnée à une augmentation démontrée du risque qu’entraînerait la présence sur le lieu de travail d’employés ayant consommé de l’alcool. Par conséquent, j’estime que les clauses relatives aux tests aléatoires de dépistage d’alcool prévues dans la Politique ne sont pas conformes au critère du caractère raisonnable énoncé dans KVP et qu’elles sont de ce fait inapplicables. Ainsi, cette partie de la Politique est écartée, comme il se doit. [16] À mon avis, la Cour d’appel a fait fi à tort de la directive donnée par la Cour selon laquelle c’est la norme de la décision raisonnable qu’il faut appliquer au contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre en droit du travail et selon laquelle les conclusions de droit et de fait tirées par ce dernier dans l’interprétation d’une convention collective appellent la déférence. En se trompant dans l’application de la norme de contrôle, la Cour d’appel a omis de déterminer, comme elle le devait, si la décision du conseil d’arbitrage faisait partie des issues raisonnables et elle a plutôt substitué à la sentence son propre avis sur le bon cadre juridique ainsi que ses conclusions de fait. En outre, cette erreur a essentiellement mené la Cour d’appel à faire fi de la jurisprudence arbitrale remarquablement constante sur la mise en balance de la sécurité d’une part et de la vie privée d’autre part dans un lieu de travail dangereux et à imposer une solution de droit nouvelle et d’application illimitée et automatique qui ne tient pas compte du consensus et des attentes du secteur des relations du travail sur la façon d’aborder ces questions sous le régime d’une convention collective. Analyse [22] En milieu de travail syndiqué, l’employeur qui impose unilatéralement des règles et des politiques ne peut pas [traduction] « adopter des règles déraisonnables pour ensuite punir les employés qui les violent » (Re United Steelworkers, Local 4487 & John Inglis Co. Ltd. (1957), 7 L.A.C. 240 (Laskin), p. 247; voir également Re United Brewery Workers, Local 232, & Carling Breweries Ltd. (1959), 10 L.A.C. 25 (Cross)). [23] Cette contrainte découle du fait qu’un employeur ne peut congédier un employé ni lui imposer de sanctions disciplinaires que pour un « motif valable » ou un « motif raisonnable » — une protection essentielle pour les employés. Partant, les règles adoptées par l’employeur en matière disciplinaire sont assujetties à l’exigence du motif raisonnable (Re Public Utilities Commission of the Borough of Scarborough and International Brotherhood of Electrical Workers, Local 636 (1974), 5 L.A.C. (2d) 285 (Rayner), p. 288-289; voir également United Electrical, Radio, and Machine Workers of America, Local 524, in re Canadian General Electric Co. Ltd. (Peterborough) (1951), 2 L.A.C. 688 (Laskin), p. 690; Re Hamilton Street Railway Co. and Amalgamated Transit Union, Division 107 (1977), 16 L.A.C. (2d) 402 (Burkett), par. 9-10; Ronald M. Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada(4e éd. 2009), par. 10.1 et 10.96). [27] Pour évaluer le caractère raisonnable — au sens où ce terme était entendu dans la sentence arbitrale KVP — d’une règle ou d’une politique imposée unilatéralement par l’employeur et ayant une incidence sur la vie privée de l’employé, les arbitres ont adopté une démarche axée sur la « mise en balance des intérêts ». Comme le fait remarquer l’Alberta Federation of Labour, intervenante en l’espèce : [traduction] Pour évaluer le caractère raisonnable, les arbitres en droit du travail sont appelés à mettre à profit leur expertise dans ce domaine, à tenir compte de toutes les circonstances et à décider si la politique de l’employeur établit un équilibre raisonnable. Pour ce faire, ils peuvent tenir compte notamment de la nature des intérêts de l’employeur, de l’existence de tout autre moyen moins attentatoire de répondre aux préoccupations de l’employeur ainsi que de l’incidence de la politique sur les employés. [m.i., par. 4] [28] Dans les premières affaires mettant en cause le droit à la vie privée et auxquelles on a appliqué la démarche axée sur la mise en balance des intérêts, les arbitres ont en général conclu que l’employeur n’était autorisé à exercer unilatéralement son droit de fouiller les effets personnels d’un employé que s’il avait un motif raisonnable de soupçonner ce dernier de vol. Les fouilles aléatoires universelles — c’est-à-dire les fouilles pratiquées au hasard sur l’ensemble du personnel — ont été jugées déraisonnables et rejetées, à moins qu’un problème de vol en milieu de travail ne sévisse et que l’employeur n’ait épuisé les autres moyens moins attentatoires de régler le problème (Morton Mitchnick et Brian Etherington, Labour Arbitration in Canada (2e éd. 2012), p. 308-309; Brown et Beatty, sujet 7:3625). [30] Dans un lieu de travail dangereux, l’employeur est généralement autorisé à faire subir un test de dépistage à un employé occupant un poste à risque sans qu’il soit nécessaire de démontrer qu’il a épuisé les autres moyens s’il a un « motif raisonnable » de croire que l’employé a les facultés affaiblies dans l’exercice de ses fonctions, a été impliqué directement dans un accident de travail ou un incident grave ou s’il reprend du service après avoir suivi un traitement pour l’alcoolisme ou la toxicomanie. (Voir Esso Petroleum Canada and C.E.P., Loc. 614, Re (1994), 56 L.A.C. (4th) 440 (McAlpine); Canadian National Railway Co. and C.A.W.-Canada (Re) (2000), 95 L.A.C. (4th) 341 (M. Picher), p. 377-378; Weyerhaeuser Co. and I.W.A. (Re) (2004), 127 L.A.C. (4th) 73 (Taylor), p. 109; Navistar Canada, Inc. and C.A.W., Local 504 (Re) (2010), 195 L.A.C. (4th) 144 (Newman), p. 170 et 177; Rio Tinto Alcan Primary Metal and C.A.W.-Canada, Local 2301 (Drug and Alcohol Policy) (Re) (2011), 204 L.A.C. (4th) 265 (Steeves), par. 37(b)-(d).) [31] Cela étant dit, la dangerosité d’un lieu de travail — que ce dernier soit décrit comme dangereux, intrinsèquement dangereux ou à grand risque —, bien que manifestement fort pertinente, ne constitue que la première étape de l’examen. Les tribunaux n’ont jamais jugé qu’elle justifie automatiquement l’imposition unilatérale d’un régime illimité de tests aléatoires susceptibles d’emporter des sanctions disciplinaires. Ils ont plutôt requis que l’employeur prouve l’existence de risques accrus pour la sécurité, comme des indices d’un problème généralisé d’alcoolisme ou de toxicomanie en milieu de travail. [33] Autrement dit, il est possible de faire subir un test à un employé alcoolique ou toxicomane. Par contre, l’application universelle de tests aléatoires est loin d’aller de soi. Dans la sentence arbitrale Nanticoke, l’arbitre Picher explique pourquoi en ces termes : [traduction] . . . selon une des principales caractéristiques de la jurisprudence en matière de dépistage d’alcool et de drogue au Canada, les arbitres rejettent massivement la thèse selon laquelle l’application obligatoire et sans préavis de tests aléatoires à l’ensemble des employés d’un lieu de travail à risque relève d’un droit de la direction prévu implicitement par une convention collective. Les arbitres ont conclu que l’imposition de tests de dépistage d’alcool ou de drogue sans motif raisonnable le justifiant ou sans que soit survenu un accident — réel ou évité de justesse — et en dehors d’un programme de réadaptation adopté à l’égard d’un employé souffrant d’un problème reconnu de dépendance constitue une atteinte injustifiée à la dignité et à la vie privée des employés qui va au-delà de la mise en balance de l’intérêt légitime de l’employeur, notamment en ce qui concerne la dissuasion et l’application de pratiques sécuritaires. En milieu de travail syndiqué, tel empiétement extraordinaire sur les droits des employés doit clairement et expressément faire l’objet de négociations. Il ne saurait s’inférer uniquement des termes généraux décrivant les droits de la direction ou du libellé des dispositions de la convention collective relatives à la sécurité et aux pratiques sécuritaires. [Italiques ajoutés; par. 101.] [35] Toutefois, dans le cas dont il était saisi, comme rien ne démontrait l’existence d’un problème de toxicomanie au sein du personnel de la raffinerie de pétrole, il a conclu que le volet de la politique prévoyant l’application de tests aléatoires de dépistage de drogue n’était pas justifié (Nanticoke, par. 127). Sa décision a été jugée raisonnable et confirmée par la Cour d’appel de l’Ontario (Imperial Oil Ltd. c. Communications, Energy & Paperworkers Union of Canada, Local 900, 2009 ONCA 420 (CanLII), 96 O.R. (3d) 668). [37] Pourtant, je n’ai trouvé aucune affaire, ni avant Nanticoke, ni depuis, dans laquelle un arbitre aurait conclu au droit d’un employeur d’imposer unilatéralement des tests aléatoires de dépistage d’alcool ou de drogue, même dans un lieu de travail très dangereux, sans indices démontrant un problème à cet égard (Esso Petroleum, p. 447-448; Metropol Security, a division of Barnes Security Services Ltd. and U.S.W.A., Loc. 5296 (Drug and Alcohol testing) (Re) (1998), 69 L.A.C. (4th) 399; Trimac Transportation Services — Bulk Systems and T.C.U. (Re) (1999), 88 L.A.C. (4th) 237; Canadian National, p. 385 et 394; Fording Coal Ltd. c. United Steelworkers of America, Local 7884, [2002] B.C.C.A.A.A. No. 9 (QL), par. 30; ADM Agri-Industries Ltd. c. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers’ Union of Canada (CAW-Canada), Local 195 (Substance Abuse Policy Grievance), [2004] C.L.A.D. No. 610 (QL), par. 77; Petro-Canada Lubricants Centre (Mississauga) and Oakville Terminal and C.E.P., Local 593 (Re) (2009), 186 L.A.C. (4th) 424 (Kaplan), p. 434-437; Rio Tinto, par. 37(a) et (d)) [40] Dans l’affaire GTAA, l’employeur avait adopté une politique de tests aléatoires de dépistage d’alcool et de drogue applicable aux employés occupant des postes à risque à l’aéroport international Pearson, à Toronto. L’arbitre a reconnu que [traduction] « le risque inhérent à un certain secteur ne l’emporte pas, à lui seul, sur l’intérêt qu’a l’employé à la protection de sa vie privée et ne suffit pas pour justifier un régime de tests aléatoires » (par. 251). Il a aussi reconnu que les « arbitres exigent des indices démontrant l’existence d’un problème de consommation d’alcool ou de drogue en milieu de travail qui ne peut être réglé de manière moins attentatoire » (par. 254). [49] Dans l’autre plateau de la balance se trouve le droit de l’employé à sa vie privée. Le conseil d’arbitrage a reconnu que l’épreuve de l’éthylomètre constitue un [traduction] « empiétement considérable » sur le droit à la vie privée qui implique la contrainte ainsi que la restriction de mouvements. Sous peine de sanction grave, l’employé est tenu de se rendre sans délai au poste muni de l’éthylomètre et doit coopérer en fournissant un échantillon d’haleine. [. . .] Si on considère l’ensemble des résultats, le régime emporte une perte de liberté et d’autonomie personnelle, des éléments qui se situent au cœur du droit à la vie privée. [50] Cette conclusion est inattaquable. Peu après l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour a reconnu que « l’utilisation du corps d’une personne, sans son consentement, en vue d’obtenir des renseignements à son sujet, constitue une atteinte à une sphère de la vie privée essentielle au maintien de sa dignité humaine » (R. c. Dyment, 1988 CanLII 10 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 417, p. 431-432). En outre, signalons que, dans l’arrêt R. c. Shoker, 2006 CSC 44 (CanLII), [2006] 2 R.C.S. 399, la Cour n’a établi aucune distinction entre le prélèvement d’échantillons d’urine, de sang ou d’haleine en vue du dépistage d’alcool ou de drogue et a conclu : « Le prélèvement d’échantillons de substances corporelles est une mesure très envahissante et, comme notre Cour l’a souvent confirmé, il est assujetti à des normes et à des garanties rigoureuses qui permettent de satisfaire aux exigences de la Constitution » (par. 23). [52] Cela ne signifie pas que l’employeur ne puisse jamais imposer une politique de tests aléatoires dans un lieu de travail dangereux. S’il s’agit d’une réponse proportionnée, à la lumière tant des préoccupations légitimes quant à la sécurité que du droit à la vie privée, une telle politique pourrait fort bien être justifiée. [53] Qui plus est, non seulement l’adoption par l’employeur d’une politique de dépistage de drogue et d’alcool peut-elle faire l’objet de négociations avec le syndicat, mais, comme il ressort de la sentence arbitrale Nanticoke, [traduction] « [un] tel empiétement extraordinaire sur les droits des employés doit clairement et expressément faire l’objet de négociations » (par. 101 (italiques ajoutés)). Or, lorsque, comme en l’espèce, l’employeur procède plutôt unilatéralement, sans négocier avec le syndicat, il est tenu de démontrer l’existence d’un motif raisonnable — une condition établie de longue date — avant d’assujettir les employés à d’éventuelles sanctions disciplinaires. Vu le consensus qui se dégage de la jurisprudence arbitrale, l’employeur ne saurait s’attendre à ce que la politique de tests aléatoires de dépistage d’alcool qu’il impose unilatéralement sans motif raisonnable survive à l’examen par un arbitre. [54] Il faudrait considérer la sentence arbitrale comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Newfoundland Nurses, par. 14). En l’absence d’une constatation que la sentence, au vu du dossier, se retrouve en dehors du champ des issues possibles raisonnables, elle ne doit pas être modifiée. En l’espèce, la conclusion du conseil d’arbitrage était raisonnable et les cours siégeant en révision n’auraient pas dû intervenir. [55] Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir l’appel avec dépens devant toutes les cours. Dernière modification : le 27 décembre 2017 à 10 h 50 min.