Extraits pertinents :

[1] À la suite d’une information reçue par la Commission d’accès à l’information (la Commission) à l’effet que des caméras de surveillance avaient été installées dans les locaux de la Garderie Cœur d’enfant inc. (la garderie), la Commission a procédé à une enquête afin de vérifier la conformité de cet usage de la vidéosurveillance avec les prescriptions de la Loi sur le privé. De façon plus précise, le mandat d’enquête visait à vérifier la conformité des pratiques de la garderie en matière de collecte, de détention et d’utilisation de renseignements personnels dans le contexte de l’utilisation d’un système de vidéosurveillance.

Les faits 

[7] Ainsi, à l’exception…………….. Description des lieux…………………………...………………………………………….. toutes les activités des éducatrices et des enfants qui fréquentent la garderie sont filmées de manière constante.

[8] Deux affiches indiquent la présence des caméras de surveillance : l’une est située sur une porte menant à l’escalier principal de la garderie et l’autre sur la porte permettant l’accès au deuxième étage. Il n’existe aucune affiche à l’extérieur de la garderie ni à l’entrée.

[10] Questionnée au sujet de la finalité poursuivie par la présence de ces caméras de surveillance, la propriétaire mentionne que le système lui permet de visionner les faits et gestes de ses employées et de s’assurer du bon déroulement des activités de la garderie. Elle indique qu’elle peut, par exemple, vérifier les heures d’arrivée et de départ des employées et s’assurer que ces dernières s’occupent adéquatement des enfants qui leur sont confiés :

[...] ces caméras ont été installées afin que je puisse voir au bon fonctionnement de la garderie, tel que le travail des éducatrices, car je ne peux être à toutes les places en même temps, de plus pour la sécurité de tous, tel qu’un accident soit d’une éducatrice ou d’un enfant, d’une plainte faite par une éducatrice ou d’un parent (nous pouvons visualiser l’évènement passé). Pour toute forme de vol, geste brutal envers les enfants, etc. Les images sont conservées sur un disque dur……Description des lieux…….., et ce, pour une période de deux semaines. Chaque deux semaines, les évènements s’enregistrent par-dessus. Ces images peuvent être aussi vues de chez moi (exclusivement) via internet. Pour les mêmes raisons, car à l’occasion, je travaille à la maison.

[11] L’éducatrice rencontrée par les analystes enquêteurs de la Commission confirme cette version des faits en précisant qu’aucun événement particulier pouvant justifier cette décision ne s’est produit avant l’installation des caméras.

Analyse 

[23] L’article 2 de la Loi sur le privé stipule qu’un renseignement personnel est un renseignement qui concerne une personne physique et permet de l’identifier. Par conséquent, l’image d’une personne captée sur un enregistrement vidéo constitue un renseignement personnel lorsque cette personne peut être identifiée.

[24] Comme l’a déjà souligné la Commission, les règles établies par la Loi sur le privé visent à établir un équilibre entre le droit d’un individu au respect de sa vie privée et les besoins d’une entreprise en matière de collecte, d’utilisation et de communication de renseignements personnels dans le cadre de l’exercice de ses activités.

[26] En vertu de l’article 4 de cette loi et de l’article 37 du Code civil du Québec3, une entreprise doit avoir un intérêt sérieux et légitime pour constituer un dossier sur autrui.

[27] En vertu de l’article 5 de la Loi sur le privé, l’entreprise doit également démontrer que les renseignements personnels qu’elle recueille sont nécessaires à l’objet du dossier :

5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d'y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier.

Ces renseignements doivent être recueillis par des moyens licites.

[29] Il s’ensuit que la règle relative à la nécessité de la collecte des renseignements personnels est impérative et qu’une entreprise ne peut y déroger, même avec le consentement de la personne concernée4 .

[31] Dans l’affaire Laval (Société de transport de la Ville de) c. X5 , la Cour du Québec a eu à se prononcer sur l’interprétation du critère de nécessité applicable à la collecte de renseignements personnels.

[32] S’écartant des deux courants que l’on retrouvait dans la jurisprudence jusqu’alors, la Cour conclut qu’une « interprétation isolée, uniforme et figée du critère de nécessité » ou une « application technique » ne convient pas au contexte d’application d’une législation visant la protection des renseignements personnels. Elle propose d’interpréter ce critère à la lumière de la finalité poursuivie par l’organisme qui recueille des renseignements personnels :

[33] Ce principe d’interprétation, voulant que la nécessité doit être évaluée relativement aux fins pour lesquelles un renseignement est requis, est conforme à la lettre et à l’esprit de la loi. Il ne s’agit pas de déterminer ce qu’est la nécessité en soi, mais plutôt de chercher, dans le contexte de la protection des renseignements personnels, et pour chaque situation, ce qui est nécessaire à l’accomplissement de chaque fin particulière pour laquelle un organisme public plaide la nécessité. […]

[33] La Cour rappelle ensuite l’objet des lois sur la protection des renseignements personnels, soit le droit au respect de la vie privée, un droit fondamental protégé par la Charte des droits et libertés de la personne6 , et le principe voulant que les lois doivent être interprétées d’une manière qui favorise l’exercice des droits fondamentaux. Elle propose d’interpréter l’exigence de nécessité en la développant autour des deux volets du test élaboré par la Cour suprême dans l’arrêt Oakes7 , bien que ce test vise plutôt à déterminer si une atteinte à un droit fondamental est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique au sens des articles 1 de la Charte canadienne des droits et libertés8 et 9.1 de la Charte québécoise :

[44] […] Un renseignement sera donc nécessaire non pas lorsqu’il pourra être jugé absolument indispensable, ou au contraire simplement utile. Il sera nécessaire lorsque chaque fin spécifique poursuivie par l’organisme, pour la réalisation d’un objectif lié à ses attributions, sera légitime, importante, urgente et réelle, et lorsque l’atteinte au droit à la vie privée que pourra constituer la cueillette, la communication ou la conservation de chaque élément de renseignement sera proportionnelle à cette fin. Cette proportionnalité jouera en faveur de l’organisme lorsqu’il sera établi que l’utilisation est rationnellement liée à l’objectif, que l’atteinte est minimisée et que la divulgation du renseignement requis est nettement plus utile à l’organisme que préjudiciable à la personne. Autrement, le droit à la vie privée et à la confidentialité des renseignements personnels devra prévaloir.

[35] Dans le contexte du présent dossier, la garderie doit donc démontrer que la collecte des images des enfants, des éducatrices et de toute autre personne susceptible de se trouver dans l’angle des caméras de surveillance de ses installations est nécessaire pour atteindre certaines finalités particulières liées à l’objet du dossier.

Application du test de nécessité 

[37] Selon la garderie, l’installation des caméras de surveillance vise trois objectifs (finalités) : la sécurité des enfants, la qualité des interventions du personnel et leur supervision et la réduction des pertes de ressources matérielles.

[38] Ces trois objectifs sont légitimes et importants. En effet, à titre de prestataire d’un service de garde au Québec, la propriétaire de la garderie a l’obligation de prendre les mesures appropriées en vue d’assurer la santé, la sécurité, le développement et le bien-être des enfants qui lui sont confiés10 . Il est également légitime pour la propriétaire de la garderie de vouloir s’assurer d’une utilisation adéquate et de la sécurité des biens de son entreprise.

[39] Toutefois, la décision d’installer des caméras de surveillance dans les locaux de la garderie ne semble pas avoir été motivée par un événement particulier ou une situation problématique (ex. : plainte d’un parent au sujet des agissements d’une éducatrice, vols, vandalisme). Le caractère « urgent » et « réel » des objectifs poursuivis n’apparaît donc pas à la lumière des faits du présent dossier.

[40] La question de la proportionnalité soulève également des interrogations. L’atteinte au droit à la vie privée que constitue la collecte systématique de l’image des personnes se trouvant dans les locaux de la garderie est-elle proportionnelle aux finalités poursuivies par l’installation du système de vidéosurveillance ?

[45] Au sujet des droits des employés de la garderie dans un tel contexte, la CDPDJ rappelle que, selon la jurisprudence et la doctrine en droit du travail, l’expectative de vie privée d’un employé sur les lieux de son travail est plus restreinte. Elle conclut que la surveillance complète et constante des travailleurs, par des moyens électroniques tel l’usage des caméras en circuits fermés, constituerait plutôt une « condition de travail déraisonnable » au sens de l’article 46 de la Charte québécoise et que cette pratique pourrait porter atteinte au droit à la dignité des travailleurs (article 4 de la Charte québécoise).

[46] La Cour suprême, pour sa part, a reconnu que le droit à la vie privée n’est pas sujet à une limitation géographique comme la résidence d’une personne; il suit l’individu12. Bien que l’expectative de vie privée d’une personne sur les lieux de son travail ou dans des lieux publics soit généralement moindre, ce droit bénéficie tout de même d’une certaine protection13 .

[47] Par ailleurs, le droit à l’image d’une personne est une composante du droit à la vie privée :

[…] le droit à l’image, qui a un aspect extrapatrimonial et un aspect patrimonial, est une composante du droit à la vie privée […] Dans la mesure où le droit […] consacré par l’art. 5 de la Charte québécoise cherche à protéger une sphère d’autonomie individuelle, ce droit doit inclure la faculté de contrôler l’usage qui est fait de son image puisque le droit à l’image prend appui sur l’idée d’autonomie individuelle, c’est-à-dire sur le contrôle qui revient à chacun sur son identité [...]14 .

[49] En l’espèce, la Commission constate que la collecte de renseignements personnels effectuée par la garderie est très étendue. En effet, selon l’enquête, chaque local de la garderie est muni d’une caméra dont l’angle permet d’enregistrer des images en continu de l’ensemble des faits et gestes de toute personne qui s’y trouve. De plus, les caméras permettent de capter les images des personnes qui circulent dans la presque totalité des lieux….......................... ………………………Description des lieux…………………………………………………... ……………….

[50] Dans ce contexte, la Commission conclut que cette collecte systématique constitue une atteinte au droit à la vie privée des enfants qui fréquentent la garderie et, dans une moindre mesure, du personnel qui y travaille.

[53] La garderie n’a pas expliqué en quoi ces mesures ou celles en place avant l’installation des caméras de surveillance étaient insuffisantes. Elle n’a pas davantage soutenu que la collecte des images par le biais des caméras de surveillance a mis fin à une situation problématique ou permis d’accroître la sécurité des enfants.

[56] De plus, compte tenu de l’objectif général visant la sécurité des enfants, la collecte systématique de renseignements personnels au moyen de l’enregistrement en continu des images captées par le système de caméras de surveillance actuel de la garderie ne constitue pas une mesure permettant l’atteinte minimale aux droits à la vie privée des individus concernés. Les mesures généralement mises en place par les garderies comme celles énumérées précédemment visent cet objectif de sécurité des enfants, en minimisant l’atteinte à la vie privée des individus concernés.

[58] La Commission conçoit que le fait de filmer les éducatrices en continu, par le biais des quatorze caméras installées dans la garderie, est un moyen d’observer leurs interventions et de superviser leur travail. Il existe donc un certain lien rationnel entre l’objectif poursuivi et la collecte des renseignements personnels.

[60] Or, il existe bien d’autres façons, beaucoup moins attentatoires au droit à la vie privée de ces personnes, de superviser le travail des employées et d’observer leurs interventions dans un objectif d’amélioration des services offerts par la garderie.

[61] De plus, la garderie n’a pas expliqué en quoi les mesures en place avant l’installation des caméras ou celles généralement utilisées dans les autres garderies ne lui permettent pas d’atteindre cet objectif. Elle n’a souligné aucun événement particulier justifiant le recours à cette collecte étendue de renseignements personnels.

[62] Dans ce contexte, la Commission conclut que cette collecte ne constitue pas une atteinte minimale aux droits des personnes concernées en l’espèce.

Conclusion 

[69] En résumé, la Commission conclut, à la lumière des faits révélés dans le présent dossier et des observations de la garderie, que cette dernière n’a pas démontré la nécessité de colliger systématiquement les images des personnes se trouvant dans ses locaux par le biais du système de vidéosurveillance en place.

[70] Les finalités poursuivies par cette collecte de renseignements sont toutes de nature générale et susceptibles d’être communes à l’ensemble des entreprises de ce secteur d’activité. Aucune circonstance ni besoin particulier n’a été soulevé par la garderie.

[71] Dans ce contexte, la garderie n’a pas démontré que les objectifs poursuivis par cette collecte très étendue de renseignements personnels sont réels et urgents, même s’ils peuvent être importants.

[72] De plus, cette collecte systématique de renseignements personnels qui comporte un potentiel d’atteinte au droit à la vie privée des personnes qui se trouvent dans les locaux de la garderie est disproportionnée par rapport aux objectifs généraux poursuivis par la garderie.

[73] La garderie n’a pas démontré en quoi d’autres moyens, portant moins atteinte à la vie privée de ces individus, ne permettent pas d’atteindre ces objectifs.

[74] À la lumière de l’enquête et des observations de la garderie, la Commission conclut que celle-ci a contrevenu à l’article 5 de la Loi sur le privé en recueillant des renseignements personnels non nécessaires à l’objet du dossier.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[76] ORDONNE à l’entreprise de cesser de recueillir de façon systématique les images des enfants, des employés et de toute autre personne se trouvant sur les lieux de la garderie par le biais du système de vidéosurveillance qui y est installé;

[77] ORDONNE à l’entreprise de détruire tous les renseignements personnels recueillis au moyen du système de vidéosurveillance dans un délai de 30 jours de la réception de la présente décision.


Dernière modification : le 13 décembre 2017 à 16 h 11 min.