Extraits pertinents : [2] Elle lui reproche d’avoir recueilli des renseignements personnels qui n’étaient pas nécessaires à l’objet de son dossier de candidature au poste de caissière. Plus particulièrement, cette plainte porte sur la collecte de renseignements personnels qui ne seraient pas nécessaires à l’évaluation de la candidature d’une personne, plus précisément le numéro d’assurance sociale (NAS), les renseignements relatifs au dossier de crédit et les antécédents judiciaires. Ces derniers auraient été obtenus auprès d’un tiers sans le consentement de la personne concernée. [6] La plaignante a rempli le formulaire de consentement suivant: J’autorise par la présente, Pharmaprix et/ou son mandataire, ... à vérifier les informations que j‘ai fournies en remplissant ma demande d’emploi et à procéder à toute autre enquête pertinente à ma candidature et à mon emploi. Je reconnais que toutes les informations contenues à mon curriculum vitae et autres documents sont vrais et complets, et que toute autre omission et/ou fausseté à cet égard peut entraîner le rejet de ma candidature d’emploi, l’annulation de toute offre qui en découle, incluant la terminaison d’emploi. Cette vérification peut être faite, en personne, par téléphone ou par écrit, auprès d’institutions d’éducation, d’anciens employeurs, de mon employeur actuel ou des personnes citées à titre de références, des agents de renseignements personnels, des bureaux de crédit et des institutions financières autorisées par la présente à fournir des renseignements demandés. Ce présent consentement n‘est valide que pour la durée nécessaire à mon embauche et si je suis embauché, pour la durée de mon emploi. Le signataire s‘engage à informer l’employeur de toute modification à son dossier scolaire, de crédit ou judiciaire afin que de nouvelles vérifications puissent être effectuées. [7] Elle a également fourni son NAS et sa date de naissance. Toutefois, elle précise ne pas avoir fourni son consentement à la collecte sur ses renseignements concernant ses antécédents de crédit. Analyse [10] La Loi sur le privé établit les règles relatives à la protection des renseignements personnels qu’une entreprise doit respecter. Ces règles visent à établir un équilibre entre le droit d’un individu au respect de sa vie privée et les besoins d’une entreprise en matière de collecte, d’utilisation et de communication de renseignements personnels dans le cadre de l’exercice de ses activités. [16] Les renseignements recueillis par l’entreprise constituent des renseignements personnels, c’est-à-dire des renseignements qui concernent une personne physique et qui permettent de l’identifier3. [17] L’entreprise doit démontrer que les renseignements personnels qu’elle recueille sont nécessaires à l’objet du dossier constitué à l’égard de la plaignante, conformément à l’article 5 de la Loi sur le privé qui prévoit que : 5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d'y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier. Ces renseignements doivent être recueillis par des moyens licites. [18] Cette règle de la nécessité de la collecte des renseignements personnels est impérative et une entreprise ne peut y déroger, même avec le consentement de la personne concernée4. En effet, l’obtention du consentement n’autorise pas l’entreprise à recueillir des renseignements qui ne sont pas nécessaires à l’objet du dossier. [19] En l’espèce, l’entreprise recueille des renseignements personnels au sujet des personnes qui souhaitent obtenir un emploi aux fins de l’évaluation de leur candidature pour un emploi à la pharmacie. Chaque candidat complète un formulaire de consentement afin d’autoriser l’entreprise à recueillir des renseignements personnels à son sujet auprès de tiers. [21] Le fardeau de démontrer la nécessité de recueillir certains renseignements personnels repose sur l’entreprise. Elle doit démontrer qu’ils sont nécessaires à l’objet du dossier, l’évaluation d’une candidature à un emploi de caissière, en l’occurrence. [22] Dans la récente décision rendue dans l’affaire Lépine Cloutier Ltée5 , la Commission s’est penchée sur l’interprétation du critère de nécessité que l’on retrouve à l’article 5 de la Loi sur le privé. [23] Dans cette affaire, la Commission était saisie d’une plainte relative à la collecte de renseignements personnels dans le processus d’embauche. Cette analyse est résumée ainsi par la Commission : L’interprétation du critère de nécessité doit se faire à la lumière du test proposé par la Cour du Québec dans la décision Laval, qui se fonde sur la finalité poursuivie par l’entreprise qui recueille des renseignements personnels. Ainsi, selon cette interprétation, un renseignement personnel sera nécessaire lorsque chaque fin spécifique poursuivie par l’entreprise sera légitime, importante, urgente et réelle, et lorsque l’atteinte au droit à la vie privée que pourra constituer la cueillette sera proportionnelle à cette fin. La Commission ajoute que dans un contexte de préembauche, lorsque l’information demandée peut être liée à l’un de motifs de discrimination énoncés à l’article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne6 , la nécessité de la collecte des renseignements doit être établie en lien avec l’exigence essentielle du poste à combler. Il appartient à l’entreprise de faire cette démonstration. [27] À plusieurs reprises, la Commission a conclu que le NAS n’est pas nécessaire pour obtenir le dossier de crédit d’une personne. Son nom, son adresse et sa date de naissance suffisent. [29] La règle de la nécessité de la collecte des renseignements personnels est impérative et une entreprise ne peut y déroger. L’obtention du consentement n’autorise pas l’entreprise à recueillir des renseignements qui ne sont pas nécessaires à l’objet du dossier. Ainsi, la suggestion de ne recueillir que les quatre premiers chiffres du NAS8 ou la mention « optionnel » ne satisfait pas le critère de nécessité. [33] L’entreprise allègue que la collecte des renseignements concernant le dossier criminel et le dossier de crédit vise à prévenir et contrôler les cas de fraude ou de vol d’argent ou de médicaments. De plus, elle ajoute que dans le processus de sélection d’un candidat, les antécédents judiciaires ou le dossier de crédit ne sera pris en compte que lorsqu’il peut y avoir un impact sur les habilités de la personne à assumer ses fonctions et qu’il y a un lien avec l’emploi. [37] Le dossier de crédit d’une personne permet de connaître le comportement passé en matière de crédit et constitue un élément qui peut être pris en compte dans l’évaluation de sa solvabilité. [38] Il n’y a aucun lien rationnel entre la faillite d’un candidat à un poste de caissière et le risque de fraude, de vol d’argent ou de médicament. De plus, la solvabilité d’une personne comme exigence essentielle d’un poste de caissière n’a pas été démontrée. [39] On doit noter que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a déjà invité les employeurs à ne pas procéder à des enquêtes de crédit au stade de la préembauche, le lien entre le dossier de crédit d’un candidat et un emploi éventuel étant susceptible d’entraîner une discrimination fondée sur la condition sociale 9. [40] Par conséquent, l’entreprise n’a pas démontré la nécessité de recueillir les renseignements concernant le dossier de crédit du candidat au poste de caissière et d’exiger son consentement pour colliger ces renseignements auprès de tiers. [43] Dans l’affaire Lépine Cloutier Ltée, la Commission a rappelé que les renseignements contenus au plumitif ont un caractère public et ne sont pas soumis aux règles relatives à la collecte prévus à l’article 5 de Loi sur le privé. [44] Pour sa part, l’article 18.2 de la Charte québécoise prévoit que : 18.2. Nul ne peut congédier, refuser d'embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n'a aucun lien avec l'emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon. [45] La Commission convient qu’il peut y avoir un lien rationnel entre l’emploi de caissière et une infraction criminelle liée au vol ou à la fraude. Toutefois, il ressort de l’enquête que la pratique de l’entreprise est de recueillir systématiquement, dans tous les cas, les renseignements relatifs aux antécédents judiciaires. Ce n’est que lorsque le rapport d’enquête est défavorable, soit après la collecte de renseignements personnels, que l’entreprise évalue si l’infraction est en lien avec les exigences du poste demandé. Ce faisant, l’entreprise collige, par l’entremise d’un tiers, des renseignements non nécessaires à l’objet du dossier, ce qui est contraire à l’article 5 de la Loi sur le privé. [46] Par conséquent, la Commission recommande à l’entreprise de revoir cette pratique de manière à préciser quelles catégories d’infractions criminelles sont en lien avec quel poste afin de limiter, le cas échéant, la collecte de renseignements personnels relatifs aux antécédents au sujet des candidats à des emplois. [47] Par exemple, pour s’assurer de la probité d’un futur employé et de sa capacité à effectuer son travail, l’entreprise pourrait, pour certains postes, s’en remettre à un moyen moins intrusif de sa vie privée, notamment la vérification de ses références auprès d’employeurs précédents. [48] L’entreprise fait signer un formulaire de consentement aux candidats l’autorisant « à vérifier les informations fournies » dans la demande d’emploi auprès d’employeurs, anciens ou actuels, des personnes citées à titre de références, des agents de renseignements personnels, des bureaux de crédit et institutions financières autorisées. La clause autorise également « à procéder à toute autre enquête pertinente ». [49] Un consentement à la collecte de renseignements auprès de tiers doit être conforme aux dispositions de l’article 14 de la Loi sur le privé qui prévoit : 14. Le consentement à la collecte, à la communication ou à l'utilisation d'un renseignement personnel doit être manifeste, libre, éclairé et être donné à des fins spécifiques. Ce consentement ne vaut que pour la durée nécessaire à la réalisation des fins pour lesquelles il a été demandé. Un consentement qui n'est pas donné conformément au premier alinéa est sans effet. [50] Cette disposition a pour but de permettre à la personne concernée de comprendre quels renseignements seront recueillis ou communiqués auprès des tiers, qui sont les tiers et à quelles fins spécifiques ces renseignements seront colligés, utilisés ou communiqués. Le libellé de la clause de consentement doit être suffisamment précis pour bien en circonscrire la portée.11 [52] La clause de consentement, telle que libellée, ne permet pas à la personne concernée de donner un consentement éclairé et visant des fins spécifiques. L’entreprise doit préciser quels renseignements seront colligés et à quelles fins. [53] Par ailleurs, considérant les conclusions de la Commission quant à la collecte du NAS et du dossier de crédit du candidat, les parties qui y réfèrent doivent être retirées du formulaire. Conclusion [55] La Commission conclut que l’entreprise a contrevenu aux articles 5 et 14 de la Loi sur le privé. [56] D’une part, en recueillant des renseignements personnels non nécessaires à l’objet du dossier, soit l’évaluation d’une candidature à un emploi de caissière au sein de son entreprise. [57] D’autre part, en utilisant un formulaire ne permettant pas l’expression d’un consentement éclairé et donné à des fins spécifiques pour la collecte de renseignements personnels auprès de tiers. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [58] DÉCLARE la plainte fondée. [59] ORDONNE à l’entreprise de cesser de recueillir le numéro d’assurance sociale d’un candidat. [60] ORDONNE à l’entreprise de cesser de recueillir le dossier de crédit d’un candidat à moins que cette collecte soit nécessaire à l’évaluation d’une exigence essentielle de cet emploi. [61] ORDONNE à l’entreprise de modifier la clause de consentement de manière à permettre au candidat à un emploi de formuler un consentement éclairé et donné à des fins spécifiques. [62] RECOMMANDE à l’entreprise de revoir ses pratiques en matière de collecte d’antécédents judiciaires afin de déterminer les catégories d’infractions en lien avec des emplois précis, de manière à limiter, le cas échéant, la collecte des renseignements personnels relatifs aux antécédents des candidats. Dernière modification : le 13 décembre 2017 à 15 h 29 min.