Extraits pertinents :

[2] Cette plainte porte sur la collecte de renseignements personnels par le biais de caméras de surveillance situées sur le côté de l’immeuble appartenant à l’entreprise. Les caméras de surveillance capteraient les allées et venues des plaignants puisqu’elles sont orientées vers le droit de passage entre les deux entrées de l’entreprise et la cour extérieure des plaignants.

[5] Selon l’enquête réalisée en 2013, l’entreprise exploite un salon de bronzage dans l’immeuble voisin des plaignants. Cette propriété a été acquise en 2012 et des travaux majeurs ont été effectués, notamment l’ajout à la
résidence du propriétaire de l’entreprise d’un étage pour y installer son salon de bronzage. Le conflit entre les deux voisins a débuté à cette époqueprincipalement quant à l’utilisation du droit de passage et des espaces de
stationnement, spécialement par la clientèle de l’entreprise.

[6] L’entreprise a installé trois caméras de surveillance, de marque Swann pro-séries DVR4-1300, sur le côté de son immeuble. Ces caméras recueillent des images vidéo du droit de passage entre les deux immeubles et de la cour des plaignants.

[7] Des images sur les allées et venues des plaignants ainsi que leurs visiteurs sont captées sans que des affiches indiquent la présence de caméras de surveillance. Un autocollant a été collé sur une porte située sur le côté de
l’immeuble, mais cet affichage ne permet pas au public d’être adéquatement informé de la présence des caméras de surveillance.

[8] Les images collectées par le biais des caméras de surveillance servent principalement à recueillir de la preuve dans le cadre d’une cause pendante devant la Cour supérieure entre l’entreprise et les plaignants.

[13] L’entreprise ne possède pas de politique de gestion écrite concernant la collecte, l’utilisation, la communication, la conservation et la destruction des renseignements personnels recueillis par les caméras de surveillance.

Analyse 

[15] La Loi sur le privé établit des règles en matière de protection de renseignements personnels qu’une personne recueille, détient, utilise ou communique à des tiers à l’occasion de l’exploitation d’une entreprise au sens de l’article 1525 du Code civil. Ces règles s’appliquent aux renseignements, quel que soit la forme ou le support sur lequel ils sont accessibles.

[19] En l’espèce, l’enquête a démontré que les caméras ont été installées pour surveiller les contacts entre les plaignants et la clientèle de l’entreprise relativement à l’utilisation du stationnement et à recueillir des preuves pour soutenir une demande d’injonction permanente et une poursuite de 70,000$ contre les plaignants4. Les propriétaires de l’immeuble habitent au rez-dechaussée, leur entreprise est située au deuxième étage et dispose d’une entrée distincte. Les procédures judiciaires ont été entreprises au nom des propriétaires de l’immeuble et non de l’entreprise.

[22] Une entreprise doit avoir un intérêt sérieux et légitime pour constituer un dossier sur autrui. De plus, elle doit démontrer que les renseignements personnels qu’elle recueille sont nécessaires à l’objet de ce dossier :

37. Toute personne qui constitue un dossier sur une autre personne doit avoir un intérêt sérieux et légitime à le faire. Elle ne peut recueillir que les renseignements pertinents à l'objet déclaré du dossier et elle ne peut, sans le consentement de l'intéressé ou l'autorisation de la loi, les communiquer à des tiers ou les utiliser à des fins incompatibles avec celles de sa constitution; elle ne peut non plus, dans la constitution ou l'utilisation du dossier, porter autrement atteinte à la vie privée de l'intéressé ni à sa réputation.

Loi sur le privé

4. Toute personne qui exploite une entreprise et qui, en raison d'un intérêt sérieux et légitime, peut constituer un dossier sur autrui doit, lorsqu'elle constitue le dossier, inscrire son objet. Cette inscription fait partie du dossier.

5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d'y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier. Ces renseignements doivent être recueillis par des moyens licites.

[23] Un renseignement personnel est un renseignement concernant une personne physique et qui permet de l’identifier. Par conséquent, l’image d’une personne est considérée comme un renseignement personnel à partir du moment où l’identification de la personne est possible.

2. Est un renseignement personnel, tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l’identifier.

[24] L’entreprise soutient qu’elle ne recueille pas de renseignements personnels sur autrui, puisque la qualité des images ne permet pas d’identifier ces personnes

[25] Il est vrai que les images transmises avec les observations de l’entreprise sont d’une piètre qualité et ne permettent pas d’identifier les personnes qui y apparaissent. Toutefois, dans une affaire récente, la Cour du Québec a décidé qu’une personne ne devient pas méconnaissable du seul fait que son visage a été brouillé sur une photo. Les autres informations se trouvant sur l’image sont des éléments qui doivent être pris en compte pour déterminer si une personne peut être identifiée.

[55] Par ailleurs, Google plaide que la demanderesse n'a subi aucun véritable préjudice parce que son identification était devenue impossible, sinon très difficile, en raison du floutage de son visage.

[56] Le Tribunal est plutôt d'avis qu'une personne ne devient pas méconnaissable du seul fait que son visage a été brouillé. Les autres informations ou données se trouvant dans l'image peuvent tout aussi conduire à son identification. En accord avec l'approche européenne, le Tribunal estime que ces autres informations ou données doivent aussi être considérées comme étant des informations personnelles5

[27] L’entreprise recueille donc des renseignements personnels sur les personnes qui circulent dans le droit de passage et qui utilisent le stationnement, principalement ses clients et les plaignants.

[28] Dans l’affaire Garderie Cœur d’enfants6 , la Commission explique que le critère de nécessité doit s’interpréter à la lumière du test proposé dans la décision Laval (Société de transport de la Ville de) c. X7 qui se fonde sur la finalité poursuivie par l’entreprise qui recueille des renseignements personnels. Un renseignement personnel sera nécessaire lorsque chaque fin spécifique poursuivie par l’entreprise sera légitime, importante, urgente et réelle, et lorsque l’atteinte au droit à la vie privée que pourra constituer la cueillette, la communication ou la conservation de chaque élément de renseignement sera proportionnelle à cette fin.

[36] Selon le test proposé par la Cour du Québec, la nécessité de la collecte de ces renseignements sera démontrée si elle vise la réalisation d’un objectif lié à l’objet du dossier qui est légitime, important, urgent et réel, et si l’atteinte au droit à la vie privée des individus concernés que constitue cette collecte est proportionnelle à cette fin (lien rationnel entre l’objectif poursuivi et la collecte des renseignements, atteinte au droit minimale et collecte nettement plus utile à l’organisme que préjudiciable à l’individu)8 .

[29] Il appartient à l’entreprise de démontrer la nécessité de recueillir des renseignements personnels par le biais de caméra de surveillance.

[31] Cependant, l’utilisation de caméras de surveillance porte atteinte au droit à la vie privée des personnes qui utilisent le droit de passage ou le stationnement de l’entreprise puisqu’elles captent leur image. Considérant l’objectif visé, l’entreprise a-t-elle minimisé l’atteinte au droit à la vie privée des personnes filmées? En effet, la surveillance doit être menée de la manière la moins intrusive possible.

[38] L’étendue de la collecte de renseignements personnels, qui implique un potentiel d’atteinte au droit à la vie privée des personnes concernées, particulièrement des plaignants, est disproportionnée par rapport à l’objectif recherché qui vise à protéger la clientèle et à s’assurer de la libre circulation dans le stationnement.

[39] On ne peut parler ici d’une atteinte minimale au droit à la vie privée. En effet, bien que les caméras fonctionnent sur alerte, il ressort de l’enquête que le fait pour les plaignants ou leurs invités, qui ne sont pas clients de l’entreprise, de circuler dans leur cour arrière déclenche le fonctionnement des caméras.

[41] Par ailleurs, il ressort de l’enquête que les images sont conservées sur un disque dur pour une période de 22 jours. L’entreprise conserve sur une clé USB les images pertinentes pouvant lui servir dans le cadre de sa poursuite.

[42] L’article 8 de la Loi sur le privé prévoit :

8. La personne qui recueille des renseignements personnels auprès de la personne concernée doit, lorsqu'elle constitue un dossier sur cette dernière, l'informer:

1° de l’objet du dossier;

2° de l’utilisation qui sera faite des renseignements ainsi que des catégories de personnes qui y auront accès au sein de l'entreprise;

3° de l’endroit où sera détenu son dossier ainsi que des droits d'accès ou de rectification.

Conclusion 

[48] L’entreprise n’a pas démontré qu’il est nécessaire, au sens de la Loi sur le privé, de recueillir ces renseignements personnels. Elle doit donc cesser de recueillir des images vidéo de la propriété des plaignants, soit de leur entrée et de leur cour arrière et détruire les renseignements qu’elle détient sur eux, à l’exception des images déjà déposées devant le tribunal.

[49] Finalement, l’entreprise devra informer ses clients que des caméras sont dirigées vers le stationnement sur sa propriété.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

DÉCLARE la plainte fondée en partie.

ORDONNE à l’entreprise de :

  • cesser de recueillir des renseignements personnels, au moyen de caméras de surveillance, qui ne sont pas nécessaires à la surveillance du stationnement utilisé par la clientèle et des accès aux locaux de l’entreprise;
  • cesser de recueillir les images vidéo de la cour des plaignants et de leur entrée;
  • détruire les renseignements personnels qu’elle détient sur les plaignants qui ne sont pas nécessaires à l’objet du dossier soit la surveillance du stationnement utilisé par la clientèle et des accès aux locaux de l’entreprise;
  • prendre les moyens nécessaires pour informer la clientèle du fait que des caméras sont installées et respecter les obligations prévues à l’article 8 de la Loi sur le privé.

 

 

 


Dernière modification : le 13 décembre 2017 à 16 h 10 min.