Extraits pertinents : [2] Le plaignant reproche à la SAQ d’avoir communiqué à un tiers un message qu’il a écrit dans la section « Service à la clientèle » de son site Internet, et ce, sans son consentement. La SAQ estime qu’elle était justifiée d’agir ainsi en vertu de l’article 59.1 de la Loi sur l’accès. [3] Le 22 juin 2010, le plaignant envoie un message à la SAQ par le biais de son site Internet afin de se plaindre de la présence d’une personne qui mendiait à l’entrée de l’une de ses succursales (la personne impliquée) lors de son passage le jour même. La plainte vise également la présence de « quêteux, squeegee, robineux et délinquants » dans les rues et l’absence de règlementation à cet égard. Le plaignant évoque finalement des « solutions » visant à faire disparaître ces personnes. [4] Inquiétés par les propos tenus par le plaignant, des employés du Service à la clientèle consultent les Services juridiques internes de la SAQ. Ceux-ci recommandent que les policiers soient informés de l’existence de ce message qu’ils considèrent être des menaces à l’endroit de la personne impliquée. Les policiers répondent que seule la personne visée par les menaces peut porter plainte auprès d’eux. Le ou vers le 30 juin 2010, un directeur de secteur, cadre supérieur de qui relèvent plusieurs directeurs de succursales, transmet une copie du message du plaignant à la personne impliquée, incluant le nom et l’adresse de courrier électronique de ce dernier. Principes de droit applicables en l’espèce [13] La Loi sur l’accès énonce que les renseignements personnels sont confidentiels et ne peuvent être communiqués qu’avec le consentement de la personne concernée, hormis quelques exceptions. L’une de ces dérogations au principe de la confidentialité est prévue à l’article 59.1 de la Loi sur l’accès qui se lit comme suit : 59.1. Outre les cas prévus à l’article 59, un organisme public peut également communiquer un renseignement personnel, sans le consentement des personnes concernées, en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide, lorsqu’il existe un motif raisonnable de croire qu’un risque sérieux de mort ou de blessures graves menace une personne ou un groupe de personnes identifiable et que la nature de la menace inspire un sentiment d’urgence. Les renseignements peuvent alors être communiqués à la ou aux personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou à toute personne susceptible de leur porter secours. La personne ayant la plus haute autorité au sein de l’organisme public doit, par directive, établir les conditions et les modalités suivant lesquelles les renseignements peuvent être communiqués par le personnel de l’organisme. Le personnel est tenu de se conformer à cette directive. Pour l’application du premier alinéa, on entend par «blessures graves» toute blessure physique ou psychologique qui nuit d’une manière importante à l’intégrité physique, à la santé ou au bien-être d’une personne ou d’un groupe de personnes identifiable. [15] Premièrement, l’organisme doit avoir un motif raisonnable de croire qu’il y a un danger de mort ou de blessures graves pouvant résulter d’un acte de violence. Ce critère nécessite la détermination objective de faits permettant de croire à une telle menace et l’appréciation subjective des circonstances par le détenteur de la discrétion. Ces constats doivent engendrer « une croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi ». La menace de danger ou de blessures graves s’évalue en fonction des éléments propres à chaque situation. De simples soupçons ou craintes ne sont pas suffisants pour conclure à l’application de l’article 59.1 de la Loi sur l’accès. Une personne raisonnable ayant à juger de la même situation devrait également en venir à la conclusion qu’il existe un danger imminent de mort ou de blessures graves. [16] Deuxièmement, ce danger doit être imminent. L’imminence s’évalue en termes de temps et de causalité10. La nature de la menace doit inspirer un sentiment d’urgence, notamment en raison de sa gravité, de son sérieux et de sa clarté : La nature de la menace doit être telle qu’elle inspire un sentiment d’urgence. Ce sentiment d’urgence peut se rapporter à un moment quelconque dans l’avenir. Selon la gravité et la clarté de la menace, il ne sera pas toujours nécessaire qu’un délai précis soit fixé. Il suffit qu’il y ait une menace claire et imminente de blessures graves dirigée contre un groupe identifiable et que cette menace soit faite de manière à inspirer un sentiment d’urgence. [17] Troisièmement, ce danger doit menacer une personne ou un groupe de personnes identifiables. Il peut viser toute personne, quel que soit son statut à l’égard de l’organisme public (employé, client, tiers). En tenant compte de toutes les circonstances propres à une affaire, l’organisme public doit être en mesure d’identifier la personne ou le groupe de personnes visées par la menace. [19] Par ailleurs, il importe de souligner que seuls les renseignements nécessaires à la prévention de l’acte de violence doivent être communiqués. L’article 59.1 de la Loi sur l’accès n’autorise que la communication de renseignements « en vue de prévenir un acte de violence ». L’organisme public doit donc également déterminer quels sont ces renseignements avant de les communiquer. [20] Il s’ensuit que s’il existe des solutions alternatives permettant d’obtenir le même résultat sans porter atteinte au caractère confidentiel des renseignements personnels, elles devraient être envisagées par l’organisme public. Enfin, si la communication des renseignements s’avère requise, elle peut être faite à la ou aux personnes exposées au danger, à leur représentant ou à toute personne pouvant leur porter secours. [24] Pour sa part, la Commission est d’avis que la situation n’en est pas une où « les faits font réellement craindre qu’une personne ou un groupe identifiable soit exposé à un danger imminent de mort ou de blessures graves »13 . Les propos tenus, bien que violents et troublants, ne constituent pas des menaces graves, claires et sérieuses de causer des blessures ou la mort d’une personne. Le plaignant, dans son message, ne laisse pas entendre qu’il a l’intention de commettre les actes qu’il énumère. Il se plaint de la présence de certaines personnes dans les rues et du fait que, selon lui, les autorités n’agissent pas pour régler la situation. [27] De plus, il est vrai que le début du message concerne la personne impliquée et qu’il est possible de l’identifier avec les détails qui y sont fournis. Toutefois, la deuxième partie du texte contenant les scénarios violents vise les « quêteux, squeegee, robineux et délinquants » 15 en général et non seulement cette personne. Ainsi, si danger imminent il y avait, toutes ces personnes auraient dû en être prévenues et non seulement la personne impliquée. [29] Enfin, même si les trois critères avaient été démontrés, la Commission doute que la communication de l’ensemble du message à la personne impliquée était nécessaire pour prévenir un acte de violence. Par exemple, informer la personne de l’existence d’un tel message ou sa communication sans l’identité du plaignant aurait permis à la personne impliquée d’être prévenue de cette menace. [31] Même si la Commission constate que la décision de la SAQ de communiquer le message du plaignant a été prise de bonne foi et qu’elle n’est pas représentative de la pratique de l’organisme en matière de protection des renseignements personnels, elle considère que la lecture de ce texte n’aurait pas dû mener une personne raisonnable, ayant à juger de la même situation, à craindre sérieusement pour la vie de la personne impliquée ou d’autres personnes. Par conséquent, la communication du message n’était pas justifiée par l’article 59.1 de la Loi sur l’accès. La Commission en vient donc à la conclusion que la plainte est fondée. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [37] DÉCLARE la plainte fondée; [38] DÉCLARE que la SAQ n’était pas justifiée en vertu de l’article 59.1 de la Loi sur l’accès de transmettre le message du plaignant à la personne impliquée sans son consentement; [39] RECOMMANDE à la SAQ de préciser, dans sa Directive relative aux modalités de communications de renseignements personnels en vue de prévenir un acte de violence, les conditions et les modalités suivant lesquelles les renseignements peuvent être communiqués par son personnel; [40] RECOMMANDE à la SAQ de diffuser auprès de ses employés et de ses cadres, dès leur embauche, sa Directive relative aux modalités de communications de renseignements personnels en vue de prévenir un acte de violence; [41] RECOMMANDE à la SAQ de prendre les mesures nécessaires pour informer et former ses employés et ses cadres, surtout ceux en contact direct avec la clientèle, quant à la façon de faire face aux situations visées par l’article 59.1 de la Loi sur l’accès. Dernière modification : le 13 décembre 2017 à 16 h 21 min.