Extraits pertinents :

[1] Les demandeurs demandent à être déclarés propriétaires d’une lisière de terrain. Ils allèguent qu’en joignant leur possession à celle de leur auteur, ils en sont devenus propriétaires par prescription acquisitive.

[3] À titre de demande reconventionnelle, la succession réclame 15 000$ pour atteinte à la vie privée en raison de l’installation par les demandeurs d’une caméra qui capte les mouvements sur une partie du terrain Cyr. Elle demande que ces caméras soient enlevées ainsi que les bateaux entreposés sur son terrain

[21] En 2010, Viens a rencontré Côté alors qu’il cherchait un endroit pour entreposer un surplus de bateaux. Côté a accepté de louer une partie de son terrain pour l’entreposage de bateaux[4]. Les demandeurs y ont installé des bateaux, une boîte de camion, une cabane à pêche et des bouées et ils ont placé des bateaux sur la lisière de terrain litigieuse. En haute saison, les demandeurs se rendent sur les lieux 4 à 5 fois par semaine, alors qu’en basse saison c’est plutôt une fois par semaine.

[22] Pour entreposer et sortir les bateaux, les demandeurs utilisent le chemin de gravier entre la grange et la clôture. Au début, ils ont déjà utilisé le chemin entre la grange et la maison, mais cela s’est avéré difficile puisqu’il est étroit et à pic. Le passage de ce chemin a été bloqué par des blocs de ciment de sorte qu’il n’est plus utilisé depuis quelques années.

[24]  Le 25 mai 2013, Côté décède.

[25] Viens installe une barrière fermée à clef entre la grange et la clôture. Il fait également installer une caméra en haut de la porte de la grange et à un autre endroit, et ce, afin de protéger leur actif important d’environ 125 bateaux.

POSITION DES DEMANDEURS

[40] En ce qui concerne les dommages réclamés pour atteinte à la vie privée, ils soutiennent que la caméra n’a pas été installée dans le but de provoquer, d’intimider, de nuire ou d’épier la famille des défendeurs mais bien pour surveiller et contrôler de potentielles intrusions sur leur terrain.

POSITION DE LA SUCESSIONS CYR

[42] La succession Cyr allègue que la caméra installée au haut de la porte de grange porte atteinte à la vie privée et à ce titre, elle réclame des dommages au montant de 15 000$.

QUESTIONS EN LITIGE

[72] L’installation de caméras cause-t-elle des dommages à la succession mise en cause? Si oui, y a- t-il lieu d’accorder les dommages réclamés?

[74] Les articles 35 et 36 du Code civil du Québec se lisent :

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants:

(…)

4°  Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

(…)

[75] La succession Cyr allègue également la violation des articles 5 et 6 de la Charte des droits et libertés de la personne qui se lisent[21]:

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

[77] La preuve a établi que la caméra détecte les mouvements sur une partie du terrain Cyr et qu’à ce moment, il y a une lumière qui allume et capte l’image. La caméra ne filme pas en tout temps.

[78] Viens explique qu’elles sont positionnées de façon stratégique pour viser les deux entrées de leur terrain. Il souligne que les caméras de surveillance ont été installées sans opposition de Cyr et dans le seul but de prévenir les infractions sur leur terrain vu la grande valeur des bateaux qui y sont entreposés. Il réfute l’allégué à l’effet que les caméras de surveillance ont été installées dans le but d’épier la propriété et la famille Cyr.

[79] Dans l’affaire Moisescu c. Lecours, la demanderesse réclame des dommages de son voisin qui, le soir jusque tard dans la soirée, a photographié sans raison sa propriété au moyen d’un appareil photo. Le juge écrit[22] :

« [55] La Demanderesse a le droit de pouvoir vivre en paix dans sa maison et elle allègue que la prise intempestive de photos au flash de soir et de nuit viole sa demeure au sens des dispositions de la Charte québécoise.

[56] Il a été décidé dans Maheux c. Boutin 2005 QCCA 110 (CanLII), [2005] R.J.Q. 414 (C.A.) que la surveillance systématique d’un voisin par photographie ou vidéo constituait une atteinte à la vie privée.

« La preuve révèle aussi que le dépôt de cette requête du demandeur reconventionnel et de sa conjointe contre le défendeur reconventionnel a aiguisé la méfiance de ce dernier et l’a amené à surveiller systématiquement les allées et venues de son voisin.  Pareille surveillance et la prise de nombreuses photos ne peuvent en l’espèce se justifier par un simple réflexe de prudence visant à se ménager des moyens de preuve.  Dans les circonstances, le Tribunal estime que s’adonner systématiquement à la surveillance d’un voisin en captant ses faits et gestes sur pellicule photographique constitue une atteinte à la vie privée lorsqu’aucun danger urgent n’existe et que l’événement est répétitif.  En multipliant la prise de photos le jour et la nuit, avec flash, le défendeur Maheux a franchi à son tour la limite de son droit de propriété et il a envahi l’intimité de ses voisins sans que l’obstruction intentionnelle de sa fenêtre ne le justifie.  (…)

[57] Voir au même effet Poiré c. Sévère, 2012 QCCS 1619 (CanLII)

[58] Compte tenu de l’historique des relations entre les parties et des événements relatés précédemment, le Tribunal est d’avis que le stress qui découle de l’installation de ces caméras est décuplé.  Leur seule présence, même si elles n’étaient pas en fonction, constitue un trouble de voisinage.  Cela excède les inconvénients normaux que des voisins doivent tolérer.

[59] M. Sévère a mis en place une mesure de protection excessive et abusive dont il se sert pour intimider les Grégoire.  Ce faisant, il les prive de la pleine jouissance de leur propriété, brime leur vie privée, leur intimité et leur occasionne un stress injustifié.

[81] En l’instance, la preuve n’a pas démontré pas que les demandeurs ont installé leurs caméras dans le but de surveiller leur voisin. Il n’en demeure pas moins que la détection de mouvement et la captation d’image sur le terrain voisin constituent une intrusion dans la vie privée et entravent la pleine jouissance paisible de leur propriété. Il est impératif que la caméra de surveillance cesse de capter les mouvements et prendre des images sur le terrain de la succession Cyr.

[82] Au soutien de la réclamation de 15 000$ pour dommages, Gaudreau témoigne à l’effet que la caméra la dérange parce qu’elle ne se sent plus chez elle et que cela lui cause un stress. Dès qu’elle entre dans sa cour en auto ou encore qu’arrive un de ses enfants ou de la visite, un voyant lumineux atteste que la caméra est déclenchée. Elle ne peut plus se promener dans la section captée par la caméra sans que celle-ci se déclenche. Son fils précise que le soir, la lumière de la caméra allume dès qu’elle détecte un mouvement et cela est désagréable. Malgré l’inconfort et l’indignation que cela suscite, Viens n’a pas voulu enlever la caméra ou la repositionner.

[83] La mise en cause soutient qu’il y a intrusion dans leur vie privée même si la caméra ne filme pas en continu et elle a raison. Un propriétaire a le droit de s’attendre à ce que la caméra de son voisin ne balaie pas sur sa propriété, et ce, jusqu’à quelques pieds de sa galerie.

[84] Considérant la jurisprudence en semblable matière, le tribunal estime qu’un montant 2 500$ à titre de dommages est approprié dans les circonstances.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[87] ORDONNE aux demandeurs de payer à la succession Cyr, mise en cause, 2 500$ à titre de dommages, et ce, au plus tard dans les trente (30) jours du présent jugement;

[88] ORDONNE aux demandeurs de veiller à ce que la caméra installée au haut de la grange ne capte plus les mouvements sur le terrain de la succession Cyr, mise en cause;


Dernière modification : le 3 décembre 2017 à 22 h 50 min.