Extraits pertinents : [2] Plus précisément, le plaignant reproche à l’entreprise de lui avoir demandé de fournir des renseignements concernant son occupation, les coordonnées de son employeur ainsi que les coordonnées de sa conjointe et de l’employeur de cette dernière en vue de l’ouverture de ce compte. Selon le plaignant, l’entreprise aurait refusé de lui ouvrir ce compte s’il n’avait pas fourni ces informations. [5] Dans le cadre de l’enquête, l’entreprise a invoqué plusieurs motifs pour justifier la nécessité de recueillir les renseignements faisant l’objet de la plainte. En résumé, elle a soutenu qu’elle est tenue de le faire selon les règles prescrites par l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (OCRCVM), la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes2 et le Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes3. [7] L’entreprise a également soutenu qu’à titre de firme de courtage, elle a une obligation de diligence raisonnable en vertu de la réglementation relative au blanchiment d’argent. Cette obligation lui impose de recueillir des informations suffisantes, notamment quant au risque que représente un client, la provenance de ses revenus et la valeur des opérations qui seront portées à son compte, de manière à déceler les opérations douteuses. Le cas échéant, l’entreprise pourra ainsi déterminer quelles informations complémentaires sont requises d’un client et quelles mesures supplémentaires de contrôle et de diligence raisonnable doivent être exigées pour un compte particulier. Analyse [15] La plainte porte sur la collecte, par l’entreprise, de renseignements concernant l’occupation du plaignant, les coordonnées de son employeur ainsi que les coordonnées de sa conjointe et de l’employeur de cette dernière en vue de l’ouverture d’un compte de REÉÉ autogéré. [16] La Loi sur le privé prévoit qu’une entreprise qui recueille des renseignements personnels sur autrui ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l’objet du dossier. De plus, sauf dans les circonstances prévues par la loi, elle ne peut refuser d’acquiescer à une demande de bien ou de service à cause du refus de la personne qui formule la demande de lui fournir un renseignement personnel : 5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d'y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier. Ces renseignements doivent être recueillis par des moyens licites. 9. Nul ne peut refuser d'acquiescer à une demande de bien ou de service ni à une demande relative à un emploi à cause du refus de la personne qui formule la demande de lui fournir un renseignement personnel sauf dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes: 1° la collecte est nécessaire à la conclusion ou à l’exécution du contrat; 2° la collecte est autorisée par la loi; 3° il y a des motifs raisonnables de croire qu'une telle demande n'est pas licite. En cas de doute, un renseignement personnel est réputé non nécessaire. [17] Il appartient à l’entreprise de démontrer la nécessité de recueillir un renseignement personnel en fonction de l’objet du dossier et de la finalité poursuivie. [18] En effet, tel que l’ont souligné l’AMF et l’OCRCVM, le critère de nécessité appliqué par la Commission et la Cour du Québec est celui développé dans l’affaire Société de transport de la Ville de Laval c. X.4, qui requiert une analyse tenant compte du contexte de chaque situation et de la finalité poursuivie par la collecte des renseignements personnels : [44] […] Un renseignement sera donc nécessaire non pas lorsqu’il pourra être jugé absolument indispensable, ou au contraire simplement utile. Il sera nécessaire lorsque chaque fin spécifique poursuivie par l’organisme, pour la réalisation d’un objectif lié à ses attributions, sera légitime, importante, urgente et réelle, et lorsque l’atteinte au droit à la vie privée que pourra constituer la cueillette, la communication ou la conservation de chaque élément de renseignement sera proportionnelle à cette fin. Cette proportionnalité jouera en faveur de l’organisme lorsqu’il sera établi que l’utilisation est rationnellement liée à l’objectif, que l’atteinte est minimisée et que la divulgation du renseignement requis est nettement plus utile à l’organisme que préjudiciable à la personne. Autrement, le droit à la vie privée et à la confidentialité des renseignements personnels devra prévaloir. [20] Il ressort de l’ensemble des observations présentées par l’entreprise, l’AMF et l’OCRCVM que les renseignements sont recueillis essentiellement pour les fins suivantes : Respecter l’obligation faite aux courtiers en valeurs mobilières de « Bien connaître son client », selon les paramètres prescrits par l’AMF, l’OCRCVM et le Centre d’analyse des opérations et des déclarations financières du Canada (le « CANAFE »). Cette obligation vise deux objectifs5 : Remplir ses obligations de vérification et de déclarations qui lui incombent en vertu de diverses lois visant à préserver l’intégrité des marchés financiers, plus particulièrement la réglementation fédérale en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes. Application du critère de nécessité [23] La protection du client qui souhaite investir et l’intégrité des marchés financiers constituent très certainement des objectifs légitimes, importants réels et urgents. Certaines situations décrites dans l’actualité ces dernières années ont conduit les gouvernements provinciaux et fédéral à encadrer le marché des valeurs mobilières et à mettre en place des programmes de protection et d'indemnisation des investisseurs. [25] La Cour suprême a déjà affirmé que la réglementation de ce secteur d’activité vise à protéger les investisseurs et à assurer le rendement du marché et la confiance du public dans le système. Elle a conclu que ces objectifs sont de première importance7. [26] L’obligation imposée aux courtiers en valeurs mobilières de bien connaître leurs clients s’inscrit dans cet encadrement normatif. Il s’agit d’une obligation importante faisant partie de la réglementation des marchés financiers : 13.2. Connaissance du client Principes généraux Les personnes inscrites ont comme fonction de préserver l’intégrité des marchés financiers. Elles doivent se garder, même par omission, de contribuer à des comportements qui entachent la réputation des marchés. Dans l’exercice de cette fonction, elles doivent s’acquitter de l’obligation de connaissance du client prévue à l’article 13.2, obligation qui est un exercice de diligence raisonnable et qui requiert d’établir l’identité du client. Son respect peut aider à ce que les opérations soient effectuées conformément aux lois sur les valeurs mobilières. L’information servant à connaître le client est à la base de l’évaluation de la convenance des opérations. Elle contribue à protéger le client, la personne inscrite et l’intégrité des marchés financiers. Pour remplir leur obligation de connaissance du client, les personnes inscrites doivent prendre des mesures raisonnables pour obtenir cette information et la mettre à jour régulièrement8. [27] La Commission conclut donc que les objectifs poursuivis par la collecte des renseignements en cause dans le présent dossier sont légitimes, importants, urgents et réels. [28] La collecte de ces renseignements est également rationnellement liée aux objectifs visés. En effet, les informations demandées au sujet de l’employeur du client et de son conjoint permettent au courtier de s’acquitter de son obligation de diligence raisonnable et de son rôle de « Gatekeeper » du marché des valeurs mobilières, notamment en vérifiant si le client et son conjoint sont associés, administrateurs ou employés d’un courtier ou d’une société de courtage, membres de leur groupe ou s’ils ont des liens avec eux. Ces renseignements peuvent également servir à identifier des personnes considérées comme initiées ou actionnaires dominants d’une société cotée en bourse. [31] Dans le formulaire no 2 - « Ouverture de compte », prescrit par l’OCRCVM, la section 3 « Employeur du client » prévoit que le courtier doit indiquer la profession du client, l’identité de son employeur, son adresse et le genre d’entreprise. La section 4 de ce formulaire requiert que le courtier recueille notamment le nom du conjoint, sa profession, le nom de son employeur et le genre d’entreprise. [32] Ainsi, la collecte, par l’entreprise, des renseignements concernant la profession et l’employeur du plaignant et de sa conjointe constitue une exigence qui découle de la réglementation applicable aux courtiers en valeurs mobilières. Il n’appartient pas à la Commission de remettre en cause cette réglementation. [33] Dans ce contexte, la Commission considère qu’il n’existe pas d’autres moyens portant moins atteinte à la vie privée des personnes concernées pour atteindre ces objectifs. Le plaignant souligne que l’entreprise pourrait atteindre ces objectifs en recueillant moins d’informations, notamment en demandant uniquement la nature de la profession ou en posant des questions générales : êtes-vous employé d’une société de courtage ou conjoint d’un employé d’une société de courtage? Êtes-vous « initié » ou conjoint d’initié? [37] Dans l’affaire Branch précitée9 , la Cour suprême a souligné que les participants au marché des valeurs mobilières, secteur fortement réglementé, ont des attentes en matière de vie privée moins élevées en ce qui concerne les éléments permettant de « protéger le public et de décourager les formes préjudiciables de comportement commercial ». [39] Dans le contexte de la présente plainte, la divulgation de ces renseignements est nettement plus utile à l’entreprise qu’elle n’est préjudiciable à la personne concernée. [40] À la lumière des faits du présent dossier, la Commission conclut donc que la collecte des renseignements personnels faisant l’objet de la plainte est proportionnelle aux finalités poursuivies par l’entreprise. [41] L’entreprise a donc démontré la nécessité de recueillir l’identité et les coordonnées du conjoint d’un client de même que les renseignements au sujet de son employeur et de celui de son conjoint au moyen du formulaire « Demande d’ouverture de compte et conventions – Compte pour les opérations exécutées sans conseil ». [42] Aussi, puisque cette collecte est requise par la réglementation et nécessaire à la conclusion ou à l’exécution du contrat de courtage, l’entreprise pouvait refuser l’ouverture d’un compte au client ayant refusé de lui fournir ces informations. CONCLUSION [43] En conclusion, l’entreprise n’a pas contrevenu aux articles 5 et 9 de la Loi sur le privé. POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION : [44] DÉCLARE la plainte non fondée Dernière modification : le 13 décembre 2017 à 16 h 22 min.