Extraits pertinents :

[2] Le plaignant reproche à l’entreprise d’avoir recueilli des renseignements personnels le concernant qui n’étaient pas nécessaires dans le cadre d’une demande d’emploi. Cette plainte porte particulièrement sur la collecte et la conservation de ses renseignements personnels, alors qu’ils n’étaient pas nécessaires à l’évaluation de sa candidature pour un poste d’assistant-boulanger, à savoir son numéro d’assurance sociale (NAS), à l’aide d’un formulaire intitulé « Demande d’enquête préemploi ». Le plaignant prétend que cette cueillette est effectuée par l’entreprise à des fins de vérification de son dossier de crédit et de ses antécédents judiciaires.

[5] Le 18 juin 2010, le plaignant allègue que, dans le cadre d’une entrevue pré-emploi pour un poste d’assistant-boulanger, le représentant de l’entreprise a exigé qu’il lui fournisse son NAS au moyen d’un formulaire de consentement, ce qu’il a fait, malgré ses réticences. Au cours de l’enquête, l’entreprise reconnaît d’emblée qu’elle a procédé à la collecte du NAS du demandeur à l’étape de la préembauche.

[7] Les dossiers des candidats dont la candidature n’est pas retenue sont détruits dans un délai de trois mois.

[12] Malgré les modifications à la pratique de l’entreprise, la Commission s’interroge sur la nécessité, en vertu de l’article 5 de la Loi sur le privé, de vérifier le dossier de crédit de tous ses candidats.

Analyse 

[15] Les entreprises, comme Les Marchés Louise Ménard inc. (IGA), doivent respecter les règles établies par la Loi sur le privé eu égard à la protection des renseignements personnels. Ces règles visent à établir un équilibre entre le droit d’un individu au respect de sa vie privée et les besoins d’une entreprise en matière de collecte, d’utilisation et de communication de renseignements personnels dans le cadre de l’exercice de ses activités2 .

[16] L’article 1 de la Loi sur le privé prévoit :

1. La présente loi a pour objet d’établir, pour l’exercice des droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil en matière de protection des renseignements personnels, des règles particulières à l'égard des renseignements personnels sur autrui qu'une personne recueille, détient, utilise ou communique à des tiers à l'occasion de l'exploitation d'une entreprise au sens de l'article 1525 du Code civil. Elle s'applique à ces renseignements quelle que soit la nature de leur support et quelle que soit la forme sous laquelle ils sont accessibles: écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre. […]

[17] Dans le cadre de l’enquête, l’entreprise reconnaît qu’elle recueillait le NAS des candidats, y compris celui du plaignant, à l’étape de la préembauche. Il s’agit d’un renseignement personnel qui les concerne et qui permet de les identifier selon les termes de l’article 2 de la Loi sur le privé :

2. Est un renseignement personnel, tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l'identifier.

La vérification systémique du dossier de crédit à l’étape de la préembauche

[21] Toutefois, l’entreprise reconnaît qu’elle procède à la vérification du dossier de crédit de chaque candidat, peu importe le poste convoité, qu’il s’agisse d’un poste de cadre ou d’« assistant-boulanger », comme en l’espèce. Cette vérification implique une collecte de renseignements personnels au sujet de chacun des candidats. L’entreprise doit démontrer que cette vérification est nécessaire pour tous les postes, puisque cette pratique est systématique à l’étape de la préembauche et qu’elle est nécessaire à l’objet du dossier qu’elle constitue à leur sujet.

[22] L’article 5 de la Loi sur le privé indique :

5. La personne qui recueille des renseignements personnels afin de constituer un dossier sur autrui ou d'y consigner de tels renseignements ne doit recueillir que les renseignements nécessaires à l'objet du dossier. Ces renseignements doivent être recueillis par des moyens licites.

[23] Cet article oblige donc une entreprise à démontrer qu’elle ne recueille que des renseignements personnels qui sont nécessaires à l’objet du dossier qu’elle constitue au sujet d’une personne. Soulignons que la règle relative à la nécessité eu égard à la collecte de renseignements personnels est impérative. Une entreprise ne peut y déroger, même avec le consentement de la personne concernée3 . Ainsi, dans le présent cas, l’entreprise doit démontrer que la vérification du dossier de crédit de chacun des candidats sans égard au poste convoité lui est nécessaire afin de procéder à l’évaluation de leur candidature à un emploi.

[24] Dans l’affaire Pharmaprix4 citant Lépine Cloutier Ltée5 , la Commission s’est prononcée sur l’interprétation à donner au critère de nécessité que l’on retrouve à l’article 5 de la Loi sur le privé dans le contexte d’une enquête concernant la collecte de renseignements personnels durant un processus d’embauche. La Commission indique notamment ce qui suit :

[…] l’interprétation du critère de nécessité doit se faire à la lumière du test proposé par la Cour du Québec dans la décision Laval, qui se fonde sur la finalité poursuivie par l’entreprise qui recueille des renseignements personnels.

[25] Dans l’affaire Laval, la Cour du Québec détaille ainsi le test devant être effectué afin de déterminer si la nécessité d’une collecte de renseignements personnels est démontrée. Il y est notamment indiqué :

[44] […] Un renseignement sera donc nécessaire non pas lorsqu’il pourra être jugé absolument indispensable ou, au contraire, simplement utile. Il sera nécessaire lorsque chaque fin spécifique poursuivie par l’organisme, pour la réalisation d’un objectif lié à ses attributions, sera légitime, importante, urgente et réelle, et lorsque l’atteinte au droit à la vie privée que pourra constituer la cueillette, la communication ou la conservation de chaque élément de renseignement sera proportionnelle à cette fin. Cette proportionnalité jouera en faveur de l’organisme lorsqu’il sera établi que l’utilisation est rationnellement liée à l’objectif, que l’atteinte est minimisée et que la divulgation du renseignement requis est nettement plus utile à l’organisme que préjudiciable à la personne. Autrement, le droit à la vie privée et à la confidentialité des renseignements personnels devra prévaloir6 .

[27] L’entreprise décrit ainsi l’un des objectifs qu’elle poursuit en procédant à la vérification du dossier de crédit de ses candidats : « Vu le haut taux de roulement de nos employés, nous nous devons d’évaluer le mieux possible nos candidats et nos employés afin de pouvoir leur offrir le meilleur emploi disponible selon leurs compétences, à la meilleure plage horaire et au meilleur endroit, le tout pour tenter de les garder heureux et à notre emploi le plus longtemps possible » 7 . De prime abord, il semble légitime qu’un employeur veuille offrir le poste le plus approprié à ses employés afin d’assurer la rétention de son personnel.

[28] Toutefois, de l’avis de la Commission, le moyen choisi pour y parvenir, soit la vérification systématique du dossier de crédit des candidats, n’est pas proportionnel à cet objectif. En effet, les éléments au dossier ne permettent pas d’établir un lien rationnel entre cette collecte de renseignements personnels et cet objectif.

[29] D’abord, comme l’a indiqué l’entreprise, le fait d’avoir un bon dossier de crédit ne constitue pas une garantie qu’un candidat sera embauché. De la même manière, un résultat négatif n’équivaut pas automatiquement à un refus d’embauche. Selon l’entreprise, c’est plutôt l’analyse de l’ensemble du dossier du candidat qui lui permet de prendre une décision quant à son embauche. Or, l’entreprise n’a pas expliqué en quoi il est pertinent d’obtenir le dossier de crédit, en plus de toutes les informations déjà colligées au sujet du candidat, afin d’évaluer ses capacités. La nécessité de ce renseignement dans le cadre de l’évaluation « du poste le plus approprié » en lien avec une candidature n’a pas été démontrée par l’entreprise. Il n’est pas suffisant d’affirmer que cette information permet d’obtenir « un portrait plus complet du candidat ».

[30] L’état du dossier de crédit doit avoir un impact sur les capacités d’un candidat à exercer certaines fonctions et doit être en lien avec le poste qu’il sera appelé à occuper. Force est d’admettre que les attentes de l’entreprise ne peuvent pas être les mêmes à l’endroit de tous les candidats aux différents postes, chacun requérant des compétences particulières. En l’espèce, l’entreprise n’a pas démontré en quoi la collecte de ces renseignements personnels est en lien avec le poste offert. En conséquence, la vérification du dossier de crédit de tous les candidats ne peut se justifier au regard de l’objectif énoncé par l’entreprise qui est d’offrir le poste le plus approprié à ses candidats.

[32] Toutefois, l’entreprise n’a pas expliqué de quelle façon le dossier de crédit peut influencer sa décision d’embaucher ou non les candidats aux différents postes. De l’aveu même de l’entreprise, le fait qu’un candidat ait un mauvais dossier de crédit ne l’empêche pas de lui offrir un emploi. Par ailleurs, est-ce que l’entreprise considère que le résultat d’une évaluation de crédit permet d’établir le niveau d’honnêteté et de probité d’un candidat? Si tel est le cas, n’existe-t-il pas d’autres moyens pour parvenir à cette fin, notamment la vérification des références auprès d’anciens employeurs? De plus, cette vérification ne devrait-elle pas être modulée en fonction des exigences particulières aux postes à combler? Ces informations n’ont pas été fournies par l’entreprise. Ainsi, force est de constater que les éléments au dossier sont insuffisants pour établir un lien rationnel entre la vérification du dossier de crédit des candidats et l’atteinte de ce deuxième objectif.

Conclusion 

[35] À la lumière de l’enquête et des observations soumises par l’entreprise, la Commission conclut que l’entreprise a contrevenu à l’article 5 de la Loi sur le privé en recueillant un renseignement personnel non nécessaire à l’objet du dossier, à savoir le NAS du plaignant à l’étape de la préembauche afin d’obtenir un poste d’assistant-boulanger.

[38] En ce qui a trait à la vérification systématique du dossier de crédit de tout candidat à l’étape de la préembauche, l’entreprise doit cesser cette pratique, parce que non nécessaire, et ce, pour les motifs déjà énoncés.

[39] Elle doit de plus détruire tout renseignement concernant le plaignant et qui n’était pas nécessaire à l’étude de son dossier pour le poste d‘assistantboulanger

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[40] DÉCLARE la plainte fondée;

[41] PREND ACTE du fait que l’entreprise a cessé de recueillir le NAS des candidats à l’étape de la préembauche, puisque la demande de fournir ce renseignement personnel n’apparaît plus sur le formulaire « Demande d’enquête préemploi »;

[42] ORDONNE à l’entreprise de cesser de procéder systématiquement à l’étape de la préembauche à la vérification du dossier de crédit de tout candidat au poste d’assistant-boulanger;

[43] ORDONNE à l’entreprise de cesser de procéder systématiquement à l’étape de la préembauche à la vérification du dossier de crédit de tout candidat, et ce, sans distinction à l’égard du poste convoité, à moins que ce soit nécessaire à l’évaluation des compétences particulières du poste à combler.


Dernière modification : le 13 décembre 2017 à 16 h 20 min.