Extraits pertinents :

[1]  Les demandeurs Ste-Croix et Bouchard réclament de Les Portes Nouvelles Dimensions inc. (« Nouvelles Dimensions inc. ») la somme de 5 000 $ pour avoir diffusé des images de leur résidence dans diverses revues sans leur autorisation.

[2] Nouvelles Dimensions inc. plaide qu'elle avait le droit de diffuser ces images et que, de toute façon, les demandeurs n'ont subi aucun préjudice de ces diffusions.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[3] Les principales questions en litige sont les suivantes:

1)   La partie défenderesse était-elle en droit de diffuser des images de la résidence des demandeurs?

2)   Dans la négative, les demandeurs ont-ils droit à une compensation et si oui, à combien?

[8] En décembre 2010, un représentant de Nouvelles Dimensions inc., monsieur Mathieu Audette, se présente à la résidence des demandeurs pour l’ajustement d’une porte.  Il est alors accompagné d'un photographe, monsieur Rhême.  Il fait part à madame Bouchard qu'il désire prendre des photographies de la maison à des fins publicitaires.

[9] Madame Bouchard s'objecte du fait que la construction n'est pas complétée et que l'extérieur est encore malpropre.  Aucune photographie n’est prise à ce moment-là.

[10] Le 27 octobre 2011, monsieur Audette et son photographe reviennent sur place pour prendre des photographies de la maison.  Madame Bouchard n'est pas d'accord puisque le terrassement n'est pas complété.  Puisqu'elle doit quitter rapidement pour un rendez-vous, elle finit par autoriser la prise d'une photographie de la porte d'entrée seulement mais que sa publication devra faire l'objet de discussions ultérieures.

[11] La preuve révèle que la même journée, Nouvelles Dimensions inc. a également photographié une résidence voisine, celle de monsieur Sébastien Labelle, qui a paru dans diverses publications.  Monsieur Labelle témoigne que les photographies ont été prises à son insu et qu’il n’a pas autorisé de telles diffusions; cela n’est pas contesté.

[12] Quelques semaines plus tard, madame Bouchard apprend par des parents et amis que des photographies de sa résidence dans sa totalité paraissent dans diverses revues à grande diffusion (Flèche Mag, Les Idées de ma maison, Décoration chez-soi, la brochure publicitaire et le calendrier de Nouvelles Dimensions inc. et sur son site Internet).

[13] Madame Bouchard communique avec Nouvelles Dimensions inc. pour se plaindre de ces diffusions sans autorisation, ce qui n'était pas conforme à ce qui avait été entendu le 27 octobre précédent.

[15] Le 19 avril 2012, les demandeurs transmettent une mise en demeure à Nouvelles Dimensions inc., suivie du dépôt des procédures judiciaires le 30 mai 2012.

[16] Nouvelles Dimensions inc. s'est engagée à ne plus diffuser la photographie de la résidence des demandeurs.  Toutefois, la photographie a continué à paraître à l'automne 2012 au moins dans une revue publicitaire du Groupe BMR et sur Internet.

LES RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

[19] Le droit de propriété est défini à l'article 947 du Code civil du Québec dans les termes suivants

947. Propriété est le droit d'user, de jouir et de disposer librement et complètement d'un bien, sous réserve des limites et des conditions d'exercice fixées par la loi.

Elle est susceptible de modalités et de démembrements.

[20] Le droit de propriété est protégé par différentes dispositions légales.

[21] Par exemple, les articles 5 à 8 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne [1] se lisent comme suit:

5. Toute personne a droit au respect de sa vie privée.

6.Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

7.La demeure est inviolable.

8. Nul ne peut pénétrer chez autrui ni y prendre quoi que ce soit sans son consentement exprès ou tacite.

[22] De même, les articles 35 et 36 du Code civil du Québec se lisent comme suit:

35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.

Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d'une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l'autorise.

36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d'une personne les actes suivants:

1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;

2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;

3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu'elle se trouve dans des lieux privés;

4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;

5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l'information légitime du public;

6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.

[23]  Comme on peut le constater, la protection de la vie privée et de la propriété jouit d'une protection comparable à celle de l'image d'une personne ou de sa réputation.

[24]  Ce ne sont que dans des circonstances exceptionnelles ou dans des cas prévus par la loi que l'on peut s'approprier à son bénéfice des éléments de la vie privée d'une personne.

[25] Dans l’arrêt Courtemanche [2], la Cour d’appel valide une injonction empêchant de diffuser des images de la résidence privée d’un avocat sans l’autorisation de ce dernier; cela constituerait une atteinte illicite au droit à la vie privée.

[26] La Cour d’appel écrit [3] :

« Le juge de première instance a interdit à Radio-Canada et à ses employés de diffuser et de mettre en circulation les numéro de téléphone et adresse personnels de l'avocat ainsi que tous les enregistrements visuels ou autres pris à l'extérieur de sa résidence pouvant identifier celle-ci ou les biens s'y trouvant. Il est arrivé à cette conclusion parce qu'il était d'avis «que le demandeur avait démontré, par une preuve prima facie suffisamment sérieuse ou convaincante, qu'il avait droit à l'émission d'une injonction interlocutoire afin d'empêcher la défenderesse de violer son droit à la solitude et à l'intimité», garanti par l'article 5 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

À mon avis, que l'on applique la Charte des droits et libertés [art.8] ou la Charte des droits et libertés de la personne [art.5], la conclusion du juge me semble, à première vue, bien fondée puisque l'une et l'autre protègent le droit à la vie privée, un droit fondamental qui est, ici, en apparence du moins, mis en péril. De plus, une preuve prima facie non contredite démontre que les images de la résidence de l'avocat et de ses abords furent filmées à la suite d'une intrusion sur une propriété privée ce qui ne saurait être sanctionné par les tribunaux dans une société libre et démocratique. »

[27] Invoquant l’affaire La Gazette c. Valiquette [4], la Cour d’appel fait sienne la description de l’atteinte illicite au droit à la vie privée qu’on y trouve [5] :

« Atteinte illicite au droit à la vie privée

Qualifié comme l'un des droits les plus fondamentaux des droits de la personnalité (Éditions Vice-Versa inc.), le droit à la vie privée échappe encore à une définition formelle.

Il est possible cependant de relever les composantes du droit au respect de la vie privée, lesquelles sont relativement précises. Il s'agit du droit à l'anonymat et à l'intimité ainsi que le droit à l'autonomie dans l'aménagement de sa vie personnelle et familiale ou encore le droit au secret et à la confidentialité. On inclut le droit à l'inviolabilité du domicile, à l'utilisation de son nom, les éléments relatifs à l'état de santé, la vie familiale et amoureuse, l'orientation sexuelle.

En fait, la vie privée représente une «constellation de valeurs concordantes et opposées de droits solidaires et antagonistes, d'intérêts communs et contraires» évoluant avec le temps et variant d'un milieu culturel à un autre.

Le droit à la solitude et le droit à l'anonymat sont reconnus de façon constante, comme éléments essentiels de la vie privée.

Le droit à la vie privée, par contre, n'est pas absolu. Il est balisé par une série de limites et sa mise en œuvre appelle un équilibre avec d'autres droits fondamentaux dont le droit du public à l'information. On ne pourrait donc qualifier d'illicite ou fautive la violation du droit à la vie privée, s'il existe une justification raisonnable, une fin légitime ou encore si l'on peut conclure au consentement par la personne à l'intrusion dans sa vie privée. »

[28] Lorsqu'une appropriation de l’image d’une personne ou de sa propriété privée a lieu sans justification valable, cela donne à la victime le droit d'être compensée.

[29] Nos tribunaux n'hésitent pas à intervenir lorsqu'il y a intrusion non justifiée sur la propriété d'autrui [6].

ANALYSE ET DÉCISION

[30] La croyance de la partie défenderesse à l'effet qu'elle peut photographier et diffuser des images de n'importe quelle propriété privée sans l'autorisation de son propriétaire est erronée.

[33]  La défenderesse est sûrement consciente de la valeur de la photographie représentant la maison des demandeurs puisqu'elle a diffusé cette image de manière intensive et bien en évidence dans sa publicité.  Or, cette maison ne lui appartient pas et ce n'est que par une entente sur ses conditions d'utilisation qu'elle aurait eu droit de s'en servir. À défaut d’une telle entente, elle doit compenser les demandeurs pour cette atteinte à leur vie privée.

[34]  La recherche jurisprudentielle n'a pas permis de retracer de cas où des indemnités ont été fixées pour la diffusion non autorisée des images d'une propriété privée à des fins publicitaires.

[35]  Puisqu'une telle diffusion s'apparente à la diffusion de l'image d'une personne sans son autorisation, la jurisprudence applicable dans ces derniers cas peut servir de base de référence.

[37] Il faut mentionner que les demandeurs ont dû participer à deux auditions compte tenu que la défenderesse était absente lors de la première audition à cause d'un malentendu avec son avocat.

[38] Dans les circonstances, le Tribunal fixe à 3 500 $ l'indemnité payable aux demandeurs, incluant les troubles, inconvénients et pertes de temps occasionnés par cette affaire.

[39] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[40] CONDAMNE Les Portes Nouvelles Dimensions inc. à payer conjointement aux demandeurs Sébastien Ste-Croix et Marie-Pierre Bouchard la somme de 3 500 $, avec intérêts au taux légal plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter du 19 avril 2012 et les frais judiciaires au montant de 163 $.


Dernière modification : le 2 décembre 2017 à 15 h 21 min.