Extraits pertinents : [1] M. Sylvain Girard (M. Girard) réclame conjointement des défenderesses Canadian Broadcasting Corporation (CBC), l’Ordre des chiropraticiens du Québec (l’OCQ) et sa compagnie d’assurances AXA Compagnie d’assurances (AXA) la somme de 5 950 000 $ en dommages et intérêts en plus de réclamer 1 000 000 $ au chapitre des dommages exemplaires. [11] À cet égard, le Tribunal souligne que plusieurs patients de M. Girard qui ont témoigné au procès pour les défenderesses et qui ont porté plainte contre ce dernier ont néanmoins réitéré leur satisfaction et leur confiance en M. Girard pour les soins traditionnels de chiropractie prodigués par ce dernier. Les problèmes commencent réellement lorsque ce dernier s’aventure à offrir des services complémentaires non reconnus par l’OCQ. [32] Le 1er septembre 1999, le Syndic de l’OCQ, M. Guy Ricard, dépose une première plainte déontologique contre M. Girard concernant les traitements et surtout la publicité mensongère de ce dernier auprès des patients L... Di... et J... L.... La preuve révèle que le Comité de discipline reconnaît la culpabilité de M. Girard le 18 mai 2000[3]. Ce dernier pourra néanmoins poursuivre sa pratique puisque la sanction se limite à une amende. [35] Au mois d’août 2001, les patients N... et F... B... ainsi que S... Le... se plaignent des services de M. Girard auprès du Syndic de l’OCQ. Ce dernier amorce alors une nouvelle enquête et exige de M. Girard des informations additionnelles sur l’utilisation des cartes magnétiques dans le cadre de sa thérapie menée avec le « vegatest ». [37] Le 9 janvier 2002, une autre patiente de M. Girard, J... G... se plaint auprès du Syndic de l’OCQ des nombreux débours liés aux soins prodigués par M. Girard avec l’appareil « vegatest ». M. Girard lui révèle que son système immunitaire est déficient. Il l’assure alors qu’il peut régler ce problème au moyen des cartes magnétiques. [38] Une plainte disciplinaire est déposée par le Syndic le 15 février 2002 et par décision du 26 mai 2003, le Comité de discipline reconnaît la culpabilité de M. Girard d’avoir contrevenu à l’article 60.2 du Code des professions en faisant de fausses représentations quant à son niveau de compétence ou quant à l’étendue et l’efficacité des services qu’il peut offrir. Le processus connaîtra son dénouement par décision du Comité de discipline le 25 novembre 2003 et entraîne la radiation permanente de M. Girard et la révocation de son permis d’exercice. [39] La preuve démontre que Mme C... D... connaît bien Mme Sandra Shatilla, qui travaillait auparavant au réseau anglais de la télévision d’État et qui maintient de bons liens d’amitié avec certains journalistes. Elle lui exprime ses doléances concernant les agissements de M. Girard. Cette dernière servira dorénavant de courroie de transmission avec M. Wagschall, producteur de l’émission « Disclosure » à CBC, afin de dénoncer les agissements du demandeur. [40] L’émission « Disclosure » est une émission d’affaires publiques et diffusée alors chaque semaine sur le réseau de CBC et dont l’objectif est la dénonciation de pratiques controversées dans plusieurs domaines de l’activité économique. Cette émission dont le succès dépend du sérieux de l’enquête journalistique s’accompagne, à l’occasion, d’une facture spectaculaire et explosive dont se plaint d’ailleurs le demandeur en l’instance. [42] La preuve révèle qu’aucune piste n’est écartée et l’équipe de CBC tente d’obtenir le plus d’informations sur la personne de M. Girard, tant auprès des greffes civil et criminel qu’auprès de ses amis et même de son ancienne conjointe. Elle tentera d’obtenir en vain la version de M. Girard, du fabricant et du distributeur de l’appareil « vegatest ». [43] Le 29 janvier 2002, CBC diffuse son reportage de 22 minutes qui porte sur l’utilisation, par M. Girard, du « vegatest » et des « vertus inédites » de cet appareil. Dès le lendemain, le Dr Martin Lamarre, assistant de M. Girard quitte la clinique de ce dernier. [70] Le Tribunal souligne que dans une ère d’information immédiate soumise à une concurrence implacable et quotidienne, les médias s’exposent à un lourd fardeau pour assurer l’exactitude de l’information, sa pertinence et son utilité afin d’éviter qu’un préjudice ne soit causé à un justiciable, qu’il soit personne morale ou individu. [71] Le Tribunal reconnaît que le pouvoir des médias est énorme dans une société libre et démocratique. Il entraîne en corollaire l’obligation d’assurer un traitement rigoureux, impartial et complet de l’information sans succomber à des impératifs de sensationnalisme à saveur de voyeurisme, et ce, pour respecter la règle de droit et notamment le droit à la vie privée. [72] Le reportage dépeint une situation d’intérêt public. Le demandeur, comme professionnel de la santé, soumis au Code des professions et exerçant dans un champ d’activité réservé, utilisait un appareil contesté non reconnu par l’Ordre professionnel et facturait à ses patients des honoraires professionnels exorbitants tout en représentant qu’il pouvait détecter la présence de cellules cancéreuses et soigner des pathologies qui ne relèvent pas de la chiropractie. [74] L’enquête journalistique de CBC débute le 17 juillet 2001 et se termine par la diffusion du reportage le 29 janvier 2002. [75] La preuve démontre que CBC et ses représentants ont contacté près d’une centaine de personnes ou d’entreprises commerciales dans le cadre de leur enquête[10]. [77] La preuve à l’audience démontre que CBC a tenté en vain d’obtenir la collaboration de M. Girard et des représentants du manufacturier Greishaber et du distributeur BioMed. [90] La preuve révèle que M. Girard a mandaté le Dr Michel Bazinet par l’intermédiaire de son avocat Me Serge Racine pour évaluer le bien-fondé et la valeur scientifique du « vegatest ». Or, le Dr Bazinet confirme l’absence de toute valeur scientifique de l’appareil. L’information a d’ailleurs été transmise à M. Girard à la fin de l’année 2001. [91] Le Tribunal peut concevoir, de façon magnanime, que M. Girard ait pu entretenir une croyance initiale d’une certaine valeur scientifique et des bienfaits potentiels de l’utilisation d’un tel appareil lors de sa découverte en 1998 au Congrès de l’OCQ. [92] Cependant, cette croyance légitime fait place au mieux à l’aveuglement volontaire ou pis encore à l’omission latitudinaire lorsque M. Girard persiste à utiliser un tel appareil une fois informé de l’absence de toute valeur scientifique. UTILISATION DE LA CAMÉRA CACHÉE [96] M. Girard allègue que l’utilisation d’une caméra cachée a porté atteinte à sa vie privée selon les articles 35 et suivants C.c.Q. [97] La preuve révèle que dans le cadre de l’enquête journalistique, M. Wagschall se présente à la clinique comme nouveau patient et utilise une caméra cachée pour enregistrer les propos et l’image de M. Girard lors de la consultation. Un tel procédé a également été utilisé dans le cadre d’une consultation demandée par Mme Lise Fleury. [99] D’ailleurs, CBC a adopté une politique pour encadrer son utilisation[12]. Le Tribunal reconnaît que l’utilisation d’une caméra cachée s’inscrit dans le registre des procédures particulières et requiert un plus grand discernement quant à son utilisation. L’enregistrement de propos ou de l’image d’un individu, à son insu, emporte toujours l’obligation pour son auteur de justifier la pertinence et la nécessité d’un tel procédé. [100] Le Tribunal est d’avis qu’il doit déterminer l’objectif recherché par l’utilisation d’un tel procédé et les circonstances qui le justifient avant de décider si ce dernier enfreint les dispositions relatives à la vie privée. À cet égard, le Tribunal est d’avis que le droit à la vie privée appelle un juste équilibre avec d’autres droits fondamentaux, tel que le droit à l’information. [101] Dans le cas sous étude, l’objectif recherché par CBC est de confirmer la nature des propos tenus par M. Girard à son égard, en tant que nouveau patient. M. Wagschall pouvait d’ailleurs lui-même rapporter les mêmes propos directement dans le cadre du reportage. Il n’y a donc pas de ouï-dire ni d’interception d’échanges entre des tierces parties. [102] Ainsi, à la lumière des témoignages des ex-patients de M. Girard et en raison des représentations de ce dernier quant aux résultats escomptés de ses traitements, le Tribunal est d’avis que l’utilisation d’une caméra cachée, dans de telles circonstances, ne contrevient pas aux dispositions du Code civil et ne constitue pas une atteinte à la vie privée. [137] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL : [138] REJETTE la déclaration introductive d’instance du demandeur Sylvain Girard; [139] Avec dépens. [140] REJETTE la demande reconventionnelle. [141] Sans frais Dernière modification : le 29 novembre 2017 à 11 h 22 min.