Extraits pertinents :

1  Les demandeurs Yvon Ethier, artiste connu sous le nom de Patrick Norman (Patrick Norman) et Di Cesare Management Inc. (Di Cesare) demandent au tribunal d'émettre une ordonnance d'injonction permanente enjoignant aux défenderesses Boutique à Coiffer Tonic (Tonic) et Communications Voir Inc. (Voir), de s'abstenir d'utiliser la photographie ou l'image de l'artiste Patrick Norman en association avec la commandite de la défenderesse Tonic, de cesser et s'abstenir de publier toute publicité de Tonic incorporant l'image ou l'effigie de l'artiste Patrick Norman et de remettre aux demandeurs toutes les planches ou clichés ou photographies ayant servi à la confection de la publicité de Tonic.

  1. Les Faits

4  Voir est un journal hebdomadaire dont le contenu porte essentiellement sur la culture, les arts et le divertissement. Il est publié à 90 000 copies et disponible gratuitement dans la région métropolitaine. Tonic est un salon de coiffure pour hommes et femmes, qui recrute une bonne partie de sa clientèle parmi les lecteurs de Voir.

5  Dans son édition du 5 au 11 mai 1994, Voir a publié une annonce publicitaire pour Tonic qui représente la photographie du demandeur Patrick Norman. Dans cette annonce qui couvre environ le tiers de la page 7, on retrouve en gros caractère sous la photo de Patrick Norman les mots “Problème de look! La solution”. Sous cette inscription,apparait le coût d'une coiffure pour homme femme et étudiant de même que l'adresse de Tonic et son logo.

6  Cette photo de Patrick Norman a été tirée de la pochette du disque “Patrick Norman, Hommage à Kenny Rogers”, qui remonte à la fin des années 1970.

  1. Décision

13  Dans le cas présent, il ne fait aucun doute que l'auteur de la photo est monsieur Benoit Levac. En vertu de l'article 13(1) de la Loi, il serait, à titre d'auteur, le premier titulaire du droit d'auteur de cette photographie. Il existe également en sa faveur une présomption de propriété en vertu de l'article 34.1 (1)b. Cependant, le paragraphe 2 del'article 13 prévoit que:

lorsqu'il s'agit ... d'une photographie, (qui) a été commandée par une tierce personne et confectionnée contre rémunération, en vertu de cette commande, celui qui a donné la commande est, à moins de stipulation contraire, le premier titulaire du droit d'auteur.

16  Les demandeurs ont reproché aux défendeurs d'avoir modifié la photo de Patrick Norman. Une preuve non-contredite a en effet démontré qu'on a modifié, c'est-à-dire élargi la photo d'environ 10%. Ceci aurait été fait par le graphiste à qui Tonic avait confié le mandat de produire la page publicitaire. Or, envertu du chapitre traitant des droits moraux de la Loi et notamment l'article 14.1(1), c'est l'auteur d'une oeuvre qui possède le droit à l'intégrité de l'oeuvre. Selon le paragraphe 2 du même article, ces droits moraux sont incessibles. C'est donc uniquement monsieur Benoit Levac, à titre d'auteur de la photographie et non les demandeurs, qui auraient pu reprocher aux défenderesses d'avoir porté atteinte à l'intégrité de la photo de Patrick Norman.

22  Le tribunal en vient à la conclusion que Voir n'avait pas l'obligation de s'assurer que Tonic avait obtenu l'autorisation des demandeurs pour utiliser la photo de Patrick Norman et qu'elle n'a donc commis aucune faute qui pourrait engager sa responsabilité. Ceci est d'autant plus vrai en ce qui concerne les dommages moraux, puisqu'il n'y a aucune preuve d'intention malicieuse de la part de Voir.

23  La faute de Tonic ne fait aucun doute. Elle a été reconnue par monsieur Chabot, le représentant et un des principaux actionnaires de Tonic. Non seulement l'a-t-il reconnu lors de son témoignage, mais Tonic, a fait paraître une annonce comportant des excuses à l'endroit de monsieur Patrick Norman dans l'édition du 19 au 26 mai 1994 de Voir. Cette annonce se trouvait à la page 7, et occupait le même espace que l'annonce publicitaire controversée. Ces excuses se lisaient ainsi:

Monsieur Patrick Norman, nous tenons à vous offrir nos excuses les plus sincères, ainsi que toute notre compassion à l'égard de toute peine ou inconvénient qué nous avons pu involontairement vous infliger.

Sincèrement et en toute humilité.

L'équipe Tonic.

Suivaient le logo de même que le numéro de téléphone de Tonic.

28  Les demandeurs ont également réclamé un montant de 250 000 $ pour atteinte à leur honneur et à leur réputation. Selon la preuve, Patrick Norman n'a éprouvé aucun problème de santé physique ou psychologique suite à la publication de l'annonce. Les demandeurs n'ont présenté aucune preuve d'une quelconque perte de revenus ni que la carrière de Patrick Norman en a été affectée. Il n'y a aucune preuve que l'honneur et la réputation de Patrick Norman ou de Di Cesare aient souffert de quelque façon que ce soit de la publication de cette annonce.

29  La preuve a démontré qu'à peine quelques jours après la publication de l'annonce publicitaire de Tonic, les demandeurs ont décidé de tenir une conférence de presse pour “dénoncer” la publication de cette annonce. Et ceci, avant même d'adresser une mise en demeure aux défenderesses. Cette conférence de presse, de même que la publicité entourant l'injonction, ont certes accru la “visibilité” de toute l'affaire. En somme, les demandeurs ont eux-mêmes donné à cette publicité une dimension “nationale” alors que celle provenant de l'annonce dans Voir, bien qu'ayant une certaine importance, était tout demême restreinte et limitée à la région métropolitaine.

30  Il ressort également de la preuve que Patrick Norman acceptait volontiers qu'on se moque de son apparence physique et notamment de sa chevelure frisée, soit dans des caricatures, dans des spectacles ou à l'occasion d'émissions de télévision. En décembre 1994, il a même participé à l'émission “Bye, Bye1994”, où il se moquait lui-même de son look. Pour sa participation d'une trentaine de secondes, il a reçu un cachet d'environ 5 000 $. On peut raisonnablement en déduire que si cette allusion au look de Patrick Norman de la fin des années 1970 ou du début des années 1980 avait été fait dans le Journal Voir sous forme decaricature, Patrick Norman n'en aurait fait aucun cas. En somme, c'est parce que cette moquerie a été faite à l'aide d'une photo dont les demandeurs n'avaient pas autorisé la publication que ces derniers ont intenté les présentes procédures.

33  Dans l'arrêt André Arthur c. Raymond Gravel 4 la Cour d'appel a reconnu que les politiciens, qui sont des personnes publiques, peuvent faire l'objet de plaisanteries et de satires. Selon le tribunal, ceci vaut également pour les artistes. Ceux-ci et notamment ceux qui jouissent d'une grande notoriété comme Patrick Norman doivent accepter qu'on les imite, qu'on se moque d'eux ou de leur apparence et qu'onfasse des plaisanteries à leur endroit. Toutefois, comme l'écrit l'honorable Lebel dans la décision André Arthur c. Raymond Gravel plus haut citée, il ne faut pas:

...faire passer des mensonges ou des erreurs de faits pour la vérité, il faut s'en tenir à la vie publique des personnes visées.5

36  Les demandeurs réclament conjointement et solidairement des défendeurs la somme de 50 000 $ à titre de dommage et intérêts liquidés pour publication à des fins commerciales de l'image de l'artiste Patrick Norman. Tonic a reconnu avoir commis une faute en utilisant l'image de Patrick Norman sans autorisation. Même si l'annonce publicitairede Tonic ne laissait aucunement croire que Patrick Norman utilisait les services de Tonic, il n'en demeure pas moins que cette dernière a utilisé l'image de Patrick Norman à des fins commerciales.

40  Le tribunal doit déterminer le montant des dommages qui doit être accordé aux demandeurs. Il ne fait aucun doute que le bénéfice financier qu'a pu procurer à Tonic l'utilisation illicite de l'image de Patrick Norman, a de loin été anéanti par les honoraires professionnels que Tonic a dû supporter pour défendre laprésente cause. Une revue de la jurisprudence soumise par les parties démontre que dans des cas d'utilisation illicite de l'image de quelqu'un, les montants accordés varient de 500 $ à 5 000 $.

Par Tous ces Motifs, le tribunal:

44  ACCUEILLE en partie l'action des demandeurs;

45  CONDAMNE la défenderesse Boutique à coiffer Tonic Inc. à payer aux demandeurs conjointement et solidairement la somme de 5 000 $ avec intérêts, depuis la date de l'assignation.

46  LE TOUT AVEC DÉPENS.

47  REJETTE l'action des demandeurs contre la défenderesse Communications Voir Inc.

48  AVEC DÉPENS.

 


Dernière modification : le 29 novembre 2017 à 11 h 11 min.