Extraits pertinents :

  1.       INTRODUCTION

[1] La Cour est saisie d’une demande en dommages‑intérêts présentée aux termes du paragraphe 14(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, LC 2000, c 5 [LPRPDE]. Le demandeur, M. Chitrakar, demande 20 000 $ pour atteinte à sa vie privée et aux droits qu’il tire de la Charte, des dommages‑intérêts majorés liés à la douleur émotionnelle, à l’angoisse, à l’anxiété et à l’humiliation, et des dommages‑intérêts punitifs de 15 000 $ en raison de la conduite malveillante et autoritaire et de la négligence de Bell TV.

[5]  L’installation du service a eu lieu le 31 décembre 2010. À ce moment‑là, M. Chitrakar a apposé sa signature sur un dispositif permettant d’obtenir une preuve de livraison. Une photo d’un appareil semblable a été déposée en preuve. L’appareil est muni d’une petite zone carrée numérique de 3 po x 3 po juste assez grande pour contenir une signature. En signant, M. Chitrakar croyait qu’il confirmait seulement la livraison de son système de télévision par satellite.

[6]  Bell a inséré cette signature dans le contrat de location de Bell TV de M. Chitrakar – un document de plusieurs pages écrit en petits caractères –, et donné suite au contrat de location. M. Chitrakar n’a pas reçu d’exemplaire du document en question au moment de la signature.

[7]   À ce processus de passation de contrat douteux s’ajoute la clause 5 du contrat de location, qui vient aggraver les choses, Bell étant par celle‑ci autorisée à vérifier la solvabilité de ses clients.

[10] M. Chitrakar a appelé Bell en mars 2011 pour obtenir des précisions sur la vérification de solvabilité et a déposé une plainte auprès de l’agent de la protection de la vie privée de Bell. Par messagerie vocale, un préposé au service à la clientèle [PSC] de Bell s’est excusé au nom de l’entreprise du fait que M. Chitrakar n’avait pas été informé, au moment où il a commandé les services de télévision par satellite, qu’une vérification de solvabilité serait faite.

[11] Insatisfait des excuses laissées sur sa messagerie vocale, M. Chitrakar a fait un certain nombre d’appels entre mars et mai et a discuté avec plusieurs employés de Bell, y compris des gestionnaires. M. Chitrakar a informé la Cour que, à un moment donné, un représentant de Bell lui a dit qu’il ne voulait tout simplement plus lui parler. On peut dire qu’au cours de ses échanges Bell a tout fait pour se défiler.

[12] Toutefois, en mai, Bell a accepté d’annuler le contrat de M. Chitrakar, mais n’a pas donné suite à ses préoccupations liées à la vie privée. M. Chitrakar a donc déposé une plainte à la commissaire à la protection de la vie privée.

[14] La commissaire à la protection de la vie privée a souligné poliment que ces circonstances étaient « troublantes ». En disant ne pas connaître l’identité du PSC, mais en affirmant tout de même savoir qu’il ne travaillait plus pour elle, Bell a répondu de façon fallacieuse.

[15] La commissaire à la protection de la vie privée a déterminé que la plainte de M. Chitrakar était fondée. Certaines recommandations ont été formulées à Bell, mais, puisque l’entreprise n’a pas comparu (même si un avis de comparution lui a été signifié), sa réponse aux recommandations est inconnue.

  1. ANALYSE

[16]  Bien qu’il ne soit pas nécessaire que la commissaire à la protection de la vie privée conclue que la plainte est « fondée » pour que le plaignant ait droit à des dommages‑intérêts, c’est ce qu’elle a fait.

[17]  La Cour estime que le rapport de la commissaire donne une description exacte des faits.

[18] En l’espèce, le comportement de Bell à l’égard des droits à la vie privée de M. Chitrakar est répréhensible. L’entreprise a non seulement violé ces droits, mais elle n’a démontré aucune intention d’indemniser le demandeur, ni de prendre des mesures pour pallier au comportement du PSC, ni de suivre les recommandations de la commissaire à la protection de la vie privée en ce qui a trait aux possibles mesures de réparation. Sa décision de ne pas se présenter devant la Cour reflète aussi son manque d’égards pour les droits à la vie privée de M. Chitrakar.

[20]  En ce qui a trait aux répercussions de l’atteinte, une « vérification » peut avoir des conséquences négatives puisqu’elle peut entraîner une diminution de la cote de solvabilité de la personne visée.

[23] M. Chitrakar demande des dommages‑intérêts relativement à l’atteinte à ses droits en matière de vie privée et aux droits qu’il tire de la Charte. La LPRPDE ne confère pas le droit d’octroyer des dommages‑intérêts pour une atteinte aux droits issus de Charte.

[24] Il est difficile de fixer les dommages‑intérêts en cas d’atteinte aux droits en matière de vie privée en l’absence de preuve d’une perte directe. Cependant, l’atteinte n’a pas à être grave pour qu’on puisse accorder des dommages‑intérêts. Une telle exigence minerait l’objectif de l’alinéa 16c), qui porte que l’on peut accorder au plaignant des dommages‑intérêts, notamment pour remédier à l’humiliation subie.

[25] On reconnaît de plus en plus l’importance des droits à la vie privée à une époque où les renseignements personnels sont facilement accessibles, même sans consentement. Il est important qu’il soit reconnu que l’atteinte à ces droits donne ouverture à une indemnisation convenable.

[27]  En l’espèce, les droits de M. Chitrakar ont réellement été violés, et cela est susceptible d’avoir eu des conséquences négatives. Bell est une grande entreprise pour laquelle une condamnation à payer des dommages‑intérêts peu élevés aurait bien peu d’incidence. M. Chitrakar a consacré beaucoup de temps à traiter avec la bureaucratie de Bell et à faire reconnaître ses droits. La prise en compte de ces facteurs porte à conclure qu’il ne faut pas accorder des dommages‑intérêts minimes.

  1. CONCLUSION

[28]  Par conséquent, je suis d’avis d’accorder à M. Chitrakar des dommages‑intérêts de 10 000 $, ainsi que des dommages‑intérêts exemplaires de 10 000 $ en raison du comportement de Bell au moment de l’atteinte à la vie privée et par la suite. Je tiens compte du comportement de Bell avec M. Chitrakar et de sa réponse aux interventions et recommandations de la commissaire de la protection à la vie privée, ainsi que du fait que l’entreprise n’a pas pris les présentes procédures au sérieux.

[29]  J’accorde aussi 1 000 $ pour les débours et autres dépens.


Dernière modification : le 16 novembre 2017 à 20 h 53 min.